Angélique
Dure condition de mon malheur extrême !
Si j’aime, on me trahit ; je trahis, si l’on m’aime.
Qu’accuserai-je ici d’Alidor ou de moi ?
Nous manquons l’un et l’autre également de foi.
Si j’ose l’appeler lâche, traître, parjure,
Ma rougeur aussitôt prendra part à l’injure ;
Et les mêmes couleurs qui peindront ses forfaits
Des miens en même temps exprimeront les traits.
Mais quel aveuglement nos deux crimes égale,
Puisque c’est pour lui seul que je suis déloyale ?
L’amour m’a fait trahir (qui n’en trahirait pas ?),
Et la trahison seule a pour lui des appas.
Son crime est sans excuse, et le mien pardonnable :
Il est deux fois, que dis-je ? il est le seul coupable ;
Il m’a prescrit la loi, je n’ai fait qu’obéir ;
Il me trahit lui-même, et me force à trahir.
Déplorable Angélique, en malheurs sans seconde,
Que veux-tu désormais, que peux-tu faire au monde,
Si ton ardeur sincère et ton peu de beauté
N’ont pu te garantir d’une déloyauté ?
Doraste tient ta foi ; mais si ta perfidie
A jusqu’à te quitter son âme refroidie,
Suis, suis dorénavant de plus saines raisons,
Et sans plus t’exposer à tant de trahisons,
Puisque de ton amour on fait si peu de conte,
Va cacher dans un cloître et tes pleurs et ta honte.