Alidor
Que par cette retraite elle me favorise !
Alors que mes desseins cèdent à mes amours,
Et qu’ils ne sauraient plus défendre ma franchise,
Sa haine et ses refus viennent à leur secours.
J’avais beau la trahir, une secrète amorce
Rallumait dans mon cœur l’amour par la pitié ;
Mes feux en recevaient une nouvelle force,
Et toujours leur ardeur en croissait de moitié.
Ce que cherchait par là mon âme peu rusée,
De contraires moyens me l’ont fait obtenir ;
Je suis libre à présent qu’elle est désabusée,
Et je ne l’abusais que pour le devenir.
Impuissant ennemi de mon indifférence :
Je brave, vain Amour, ton débile pouvoir,
Ta force ne venait que de mon espérance,
Et c’est ce qu’aujourd’hui m’ôte son désespoir.
Je cesse d’espérer et commence de vivre ;
Je vis dorénavant, puisque je vis à moi ;
Et quelques doux assauts qu’un autre objet me livre,
C’est de moi seulement que je prendrai la loi.
Beautés, ne pensez point à rallumer ma flamme ;
Vos regards ne sauraient asservir ma raison ;
Et ce sera beaucoup emporté sur mon âme,
S’ils me font curieux d’apprendre votre nom.
Nous feindrons toutefois, pour nous donner carrière,
Et pour mieux déguiser nous en prendrons un peu ;
Mais nous saurons toujours rebrousser en arrière,
Et quand il nous plaira nous retirer du jeu.
Cependant Angélique enfermant dans un cloître
Ses yeux dont nous craignions la fatale clarté,
Les murs qui garderont ces tyrans de paroître
Serviront de remparts à notre liberté.
Je suis hors de péril qu’après son mariage
Le bonheur d’un jaloux augmente mon ennui,
Et ne serai jamais sujet à cette rage
Qui naît de voir son bien entre les mains d’autrui.
Ravi qu’aucun n’en ait ce que j’ai pu prétendre,
Puisqu’elle dit au monde un éternel adieu,
Comme je la donnais sans regret à Cléandre,
Je verrai sans regret qu’elle se donne à Dieu.