Scène VII

Daphnis, Florame

Daphnis
Je n’osais t’aborder les yeux baignés de pleurs,

Et devant ce rival t’apprendre nos malheurs.

Florame
Vous me jetez, madame, en d’étranges alarmes.

Dieux ! et d’où peut venir ce déluge de larmes ?

Le bonhomme est-il mort ?

Daphnis
Non, mais il se dédit,

Tout amour désormais pour toi m’est interdit :

Si bien qu’il me faut être ou rebelle ou parjure,

Forcer les droits d’amour ou ceux de la nature,

Mettre un autre en ta place ou lui désobéir,

L’irriter, ou moi-même avec toi me trahir.

À moins que de changer, sa haine inévitable

Me rend de tous côtés ma perte indubitable ;

Je ne puis conserver mon devoir et ma foi,

Ni sans crime brûler pour d’autres ni pour toi.

Florame
Le nom de cet amant, dont l’indiscrète envie

À mes ressentiments vient apporter sa vie ?

Le nom de cet amant, qui, par sa prompte mort

Doit, au lieu du vieillard, me réparer ce tort,

Et qui, sur quelque orgueil que son amour se fonde,

N’a que jusqu’à ma vue à demeurer au monde ?

Daphnis
Je n’aime pas si mal que de m’en informer ;

Je t’aurais fait trop voir que j’eusse pu l’aimer.

Si j’en savais le nom, ta juste défiance

Pourrait à ses défauts imputer ma constance,

À son peu de mérite attacher mon dédain,

Et croire qu’un plus digne aurait reçu ma main.

J’atteste ici le bras qui lance le tonnerre,

Que tout ce que le ciel a fait paraître en terre

De mérites, de biens, de grandeurs et d’appas,

En même objet uni, ne m’ébranlerait pas :

Florame a droit lui seul de captiver mon âme ;

Florame vaut lui seul à ma pudique flamme

Tout ce que peut le monde offrir à mes ardeurs

De mérites, d’appas, de biens et de grandeurs.

Florame
Qu’avec des mots si doux vous m’êtes inhumaine !

Vous me comblez de joie, et redoublez ma peine.

L’effet d’un tel amour, hors de votre pouvoir,

Irrite d’autant plus mon sanglant désespoir.

L’excès de votre ardeur ne sert qu’à mon supplice.

Devenez-moi cruelle, afin que je guérisse.

Guérir ! ah ! qu’ai-je dit ? ce mot me fait horreur.

Pardonnez aux transports d’une aveugle fureur ;

Aimez toujours Florame ; et quoi qu’il ait pu dire,

Croissez de jour en jour vos feux et son martyre.

Peut-il rendre sa vie à de plus heureux coups,

Ou mourir plus content, que pour vous, et par vous ?

Daphnis
Puisque de nos destins la rigueur trop sévère

Oppose à nos désirs l’autorité d’un père,

Que veux-tu que je fasse ? En l’état où je suis,

Être à toi malgré lui, c’est ce que je ne puis ;

Mais je puis empêcher qu’un autre me possède,

Et qu’un indigne amant à Florame succède.

Le cœur me manque. Adieu. Je sens faillir ma voix.

Florame, souviens-toi de ce que tu me dois.

Si nos feux sont égaux, mon exemple t’ordonne

Ou d’être à ta Daphnis, ou de n’être à personne.

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