Géraste, Daphnis, Florame, Célie, Amarante
Daphnis
Voici ce cher amant qui me tient engagée,
À qui sous votre aveu ma foi s’est obligée.
Changez de volonté pour un objet nouveau :
Daphnis épousera Florame, ou le tombeau.
Géraste
Que vois-je ici, bons dieux ?
Daphnis
Mon amour, ma constance.
Géraste
Et sur quoi donc fonder ta désobéissance ?
Quel envieux démon, et quel charme assez fort,
Faisait entrechoquer deux volontés d’accord ?
C’est lui que tu chéris, et que je te destine ;
Et ta rébellion dans un refus s’obstine !
Florame
Appelez-vous refus de me donner sa foi,
Quand votre volonté se déclara pour moi ?
Et cette volonté, pour une autre tournée,
Vous peut-elle obéir après la foi donnée ?
Géraste
C’est pour vous que je change, et pour vous seulement
Je veux qu’elle renonce à son premier amant.
Lorsque je consentis à sa secrète flamme,
C’était pour Clarimond qui possédait son âme ;
Amarante du moins me l’avait dit ainsi.
Daphnis
Amarante, approchez ; que tout soit éclairci.
Une telle imposture est-elle pardonnable ?
Amarante
Mon amour pour Florame en est le seul coupable :
Mon esprit l’adorait : et vous étonnez-vous
S’il devint inventif, puisqu’il était jaloux ?
Géraste
Et par là tu voulais…
Amarante
Que votre âme déçue
Donnât à Clarimond une si bonne issue,
Que Florame, frustré de l’objet de ses vœux,
Fût réduit désormais à seconder mes feux.
Florame
Pardonnez-lui, monsieur ; et vous, daignez, madame,
Justifier son feu par votre propre flamme.
Si vous m’aimez encor, vous devez estimer
Qu’on ne peut faire un crime à force de m’aimer.
Daphnis
Si je t’aime, Florame ? Ah ! ce doute m’offense.
D’Amarante avec toi je prendrai la défense.
Géraste
Et moi, dans ce pardon je vous veux prévenir ;
Votre hymen aussi bien saura trop la punir.
Daphnis
Qu’un nom tu par hasard nous a donné de peine !
Célie
Mais que, su maintenant, il rend sa ruse vaine,
Et donne un prompt succès à vos contentements.
Florame
, à Géraste.
Vous, de qui je les tiens…
Géraste
Trêve de compliments :
Ils nous empêcheraient de parler de Florise.
Florame
Il n’en faut point parler, elle vous est acquise.
Géraste
Allons donc la trouver : que cet échange heureux
Comble d’aise à son tour un vieillard amoureux.
Daphnis
Quoi ! je ne savais rien d’une telle partie !
Florame
Je pense toutefois vous avoir avertie
Qu’un grand effet d’amour, avant qu’il fût longtemps,
Vous rendrait étonnée, et nos désirs contents.
Mais différez, monsieur, une telle visite ;
Mon feu ne souffre point que sitôt je la quitte ;
Et d’ailleurs je sais trop que la foi du devoir
Veut que je sois chez nous pour vous y recevoir.
Géraste
, à Célie.
Va donc lui témoigner le désir qui me presse.
Florame
Plutôt fais-la venir saluer ma maîtresse :
Ainsi tout à la fois nous verrons satisfaits
Vos feux et mon devoir, ma flamme et vos souhaits.
Géraste
Je dois être honteux d’attendre qu’elle vienne.
Célie
Attendez-la, monsieur, et qu’à cela ne tienne :
Je cours exécuter cette commission.
Géraste
Le temps en sera long à mon affection.
Florame
Toujours l’impatience à l’amour est mêlée.
Géraste
Allons dans le jardin faire deux tours d’allée,
Afin que cet ennui que j’en pourrai sentir
Parmi votre entretien trouve à se divertir.