Scène III

Philiste, la Nourrice

Philiste
Je te ferai cracher cette langue traîtresse.

Est-ce ainsi qu’on me sert auprès de ma maîtresse,

Détestable sorcière ?

La Nourrice
Eh bien ! quoi ? qu’ai-je fait ?

Philiste
Et tu doutes encor si j’ai vu ton forfait ?

La Nourrice
Quel forfait ?

Philiste
Peut-on voir lâcheté plus hardie ?

Joindre encor l’impudence à tant de perfidie !

La Nourrice
Tenir ce qu’on promet, est-ce une trahison ?

Philiste
Est-ce ainsi qu’on le tient ?

La Nourrice
Parlons avec raison ;

Que t’avais-je promis ?

Philiste
Que de tout ton possible

Tu rendrais ta maîtresse à mes désirs sensible,

Et la disposerais à recevoir mes vœux.

La Nourrice
Et ne la vois-tu pas au point où tu la veux ?

Philiste
Malgré toi mon bonheur à ce point l’a réduite.

La Nourrice
Mais tu dois ce bonheur à ma sage conduite,

Jeune et simple novice en matière d’amour,

Qui ne saurais comprendre encore un si bon tour.

Flatter de nos discours les passions des dames,

C’est aider lâchement à leurs naissantes flammes ;

C’est traiter lourdement un délicat effet ;

C’est n’y savoir enfin que ce que chacun sait :

Moi, qui de ce métier ai la haute science,

Et qui pour te servir brûle d’impatience,

Par un chemin plus court qu’un propos complaisant,

J’ai su croître sa flamme en la contredisant ;

J’ai su faire éclater, mais avec violence,

Un amour étouffé sous un honteux silence,

Et n’ai pas tant choqué que piqué ses désirs,

Dont la soif irritée avance tes plaisirs.

Philiste
À croire ton babil, la ruse est merveilleuse,

Mais l’épreuve, à mon goût, en est fort périlleuse.

La Nourrice
Jamais il ne s’est vu de tours plus assurés.

La raison et l’amour sont ennemis jurés ;

Et lorsque ce dernier dans un esprit commande,

Il ne peut endurer que l’autre le gourmande :

Plus la raison l’attaque, et plus il se roidit ;

Plus elle l’intimide, et plus il s’enhardit.

Je le dis sans besoin, vos yeux et vos oreilles

Sont de trop bons témoins de toutes ces merveilles ;

Vous-même avez tout vu, que voulez-vous de plus ?

Entrez, on vous attend ; ces discours superflus

Reculent votre bien, et font languir Clarice.

Allez, allez cueillir les fruits de mon service ;

Usez bien de votre heur et de l’occasion.

Philiste
Soit une vérité, soit une illusion

Que ton esprit adroit emploie à ta défense,

Le mien de tes discours plus outre ne s’offense,

Et j’en estimerai mon bonheur plus parfait,

Si d’un mauvais dessein je tire un bon effet.

La Nourrice
Que de propos perdus ! Voyez l’impatiente

Qui ne peut plus souffrir une si longue attente.

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