Scène première

Philiste
Secrets tyrans de ma pensée,

Respect, amour, de qui les lois

D’un juste et fâcheux contre poids

La tiennent toujours balancée ;

Que vos mouvements opposés,

Vos traits, l’un par l’autre brisés,

Sont puissants à s’entre-détruire !

Que l’un m’offre d’espoir ! que l’autre a de rigueur !

Et tandis que tous deux tâchent à me séduire,

Que leur combat est rude au milieu de mon cœur !

Moi-même je fais mon supplice

À force de leur obéir ;

Mais le moyen de les haïr ?

Ils viennent tous deux de Clarice ;

Ils m’en entretiennent tous deux,

Et forment ma crainte et mes vœux

Pour ce bel œil qui les fait naître ;

Et de deux flots divers mon esprit agité,

Plein de glace, et d’un feu qui n’oserait paraître,

Blâme sa retenue et sa témérité.

Mon âme, dans cet esclavage,

Fait des vœux qu’elle n’ose offrir ;

J’aime seulement pour souffrir ;

J’ai trop, et trop peu de courage ;

Je vois bien que je suis aimé,

Et que l’objet qui m’a charmé

Vit en de pareilles contraintes.

Mon silence à ses feux fait tant de trahison,

Qu’impertinent captif de mes frivoles craintes,

Pour accroître son mal, je fuis ma guérison.

Elle brûle, et par quelque signe

Que son cœur s’explique avec moi,

Je doute de ce que je voi,

Parce que je m’en trouve indigne.

Espoir, adieu ; c’est trop flatté :

Ne crois pas que cette beauté

Daigne avouer de telles flammes ;

Et dans le juste soin qu’elle a de les cacher,

Vois que si même ardeur embrase nos deux âmes,

Sa bouche à son esprit n’ose le reprocher.

Pauvre amant, vois par son silence

Qu’elle t’en commande un égal,

Et que le récit de ton mal

Te convaincrait d’une insolence.

Quel fantasque raisonnement !

Et qu’au milieu de mon tourment

Je deviens subtil à ma peine !

Pourquoi m’imaginer qu’un discours amoureux

Par un contraire effet change l’amour en haine,

Et malgré mon bonheur me rendre malheureux ?

Mais j’aperçois Clarice. Ô dieux ! si cette belle

Parlait autant de moi que je m’entretiens d’elle !

Du moins si sa nourrice a soin de nos amours,

C’est de moi qu’à présent doit être leur discours.

Une humeur curieuse avec chaleur m’emporte

À me couler sans bruit derrière cette porte,

Pour écouter de là, sans en être aperçu,

En quoi mon fol espoir me peut avoir déçu.

Allons. Souvent l’amour ne veut qu’une bonne heure ;

Jamais l’occasion ne s’offrira meilleure,

Et peut-être qu’enfin nous en pourrons tirer

Celle que nous cherchons pour nous mieux déclarer.

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