Scène première

Célidan, Alcidon

Célidan
Ce n’est pas que j’excuse ou la sœur, ou le frère,

Dont l’infidélité fait naître ta colère ;

Mais à ne point mentir, ton dessein à l’abord

N’a gagné mon esprit qu’avec un peu d’effort.

Lorsque tu m’as parlé d’enlever sa maîtresse,

L’honneur a quelque temps combattu ma promesse :

Ce mot d’enlèvement me faisait de l’horreur ;

Mes sens, embarrassés dans cette vaine erreur,

N’avaient plus la raison de leur intelligence.

En plaignant ton malheur, je blâmais ta vengeance,

Et l’ombre d’un forfait amusant ma pitié,

Retardait les effets dus à notre amitié.

Pardonne un vain scrupule à mon âme inquiète ;

Prends mon bras pour second, mon château pour retraite.

Le déloyal Philiste, en te volant ton bien,

N’a que trop mérité qu’on le prive du sien :

Après son action la tienne est légitime ;

Et l’on venge sans honte un crime par un crime.

Alcidon
Tu vois comme il me trompe, et me promet sa sœur,

Pour en faire sous main Florange possesseur.

Ah ciel ! fut-il jamais un si noir artifice ?

Il lui fait recevoir mes offres de service ;

Cette belle m’accepte, et fier de son aveu,

Je me vante partout du bonheur de mon feu :

Cependant il me l’ôte, et par cette pratique,

Plus mon amour est su, plus ma honte est publique.

Célidan
Après sa trahison, vois ma fidélité ;

Il t’enlève un objet que je t’avais quitté.

Ta Doris fut toujours la reine de mon âme ;

J’ai toujours eu pour elle une secrète flamme,

Sans jamais témoigner que j’en étais épris,

Tant que tes feux ont pu te promettre ce prix :

Mais je te l’ai quittée, et non pas à Florange.

Quand je t’aurai vengé, contre lui je me venge,

Et je lui fais savoir que jusqu’à mon trépas,

Tout autre qu’Alcidon ne l’emportera pas.

Alcidon
Pour moi donc à ce point ta contrainte est venue !

Que je te veux du mal de cette retenue !

Est-ce ainsi qu’entre amis on vit à cœur ouvert ?

Célidan
Mon feu, qui t’offensait, est demeuré couvert ;

Et si cette beauté malgré moi l’a fait naître,

J’ai su pour ton respect l’empêcher de paraître.

Alcidon
Hélas ! tu m’as perdu, me voulant obliger ;

Notre vieille amitié m’en eût fait dégager.

Je souffre maintenant la honte de sa perte,

Et j’aurais eu l’honneur de te l’avoir offerte,

De te l’avoir cédée, et réduit mes désirs

Au glorieux dessein d’avancer tes plaisirs.

Faites, dieux tout-puissants, que Philiste se change !

Et l’inspirant bientôt de rompre avec Florange,

Donnez-moi le moyen de montrer qu’à mon tour

Je sais pour un ami contraindre mon amour.

Célidan
Tes souhaits arrivés, nous t’en verrions dédire ;

Doris sur ton esprit reprendrait son empire :

Nous donnons aisément ce qui n’est plus à nous.

Alcidon
Si j’y manquais, grands dieux ! je vous conjure tous

D’armer contre Alcidon vos dextres vengeresses.

Célidan
Un ami tel que toi m’est plus que cent maîtresses.

Il n’y va pas de tant ; résolvons seulement

Du jour et des moyens de cet enlèvement.

Alcidon
Mon secret n’a besoin que de ton assistance.

Je n’ai point lieu de craindre aucune résistance :

La beauté dont mon traître adore les attraits

Chaque soir au jardin va prendre un peu de frais ;

J’en ai su de lui-même ouvrir la fausse porte ;

Étant seule, et de nuit, le moindre effort l’emporte.

Allons-y dès ce soir ; le plus tôt vaut le mieux ;

Et surtout déguisés, dérobons à ses yeux,

Et de nous, et du coup, l’entière connaissance.

Célidan
Si Clarice une fois est en notre puissance,

Crois que c’est un bon gage à moyenner l’accord,

Et rendre, en le faisant, ton parti le plus fort.

Mais pour la sûreté d’une telle surprise,

Aussitôt que chez moi nous pourrons l’avoir mise,

Retournons sur nos pas, et soudain effaçons

Ce que pourrait l’absence engendrer de soupçons.

Alcidon
Ton salutaire avis est la même prudence ;

Et déjà je prépare une froide impudence

À m’informer demain, avec étonnement,

De l’heure et de l’auteur de cet enlèvement.

Célidan
Adieu ; j’y vais mettre ordre.

Alcidon
Estime qu’en revanche

Je n’ai goutte de sang que pour toi je n’épanche.

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