Scène IV

Chrysante, Géron

Chrysante
Ils se sont vus enfin.

Géron
Je l’avais déjà su,

Madame, et les effets ne m’en ont point déçu,

Du moins quant à Florange.

Chrysante
Eh bien ! mais qu’est-ce encore ?

Que dit-il de ma fille ?

Géron
Ah ! madame, il l’adore !

Il n’a point encor vu de miracles pareils :

Ses yeux, à son avis, sont autant de soleils ;

L’enflure de son sein un double petit monde ;

C’est le seul ornement de la machine ronde.

L’Amour à ses regards allume son flambeau,

Et souvent pour la voir il ôte son bandeau ;

Diane n’eut jamais une si belle taille ;

Auprès d’elle Vénus ne serait rien qui vaille ;

Ce ne sont rien que lis et roses que son teint ;

Enfin de ses beautés il est si fort atteint…

Chrysante
Atteint ? Ah ! mon ami, tant de badinerie

Ne témoigne que trop qu’il en fait raillerie.

Géron
Madame, je vous jure, il pèche innocemment,

Et s’il savait mieux dire, il dirait autrement.

C’est un homme tout neuf : que voulez-vous qu’il fasse ?

Il dit ce qu’il a lu. Daignez juger, de grâce,

Plus favorablement de son intention ;

Et pour mieux vous montrer où va sa passion,

Vous savez les deux points (mais aussi, je vous prie,

Vous ne lui direz pas cette supercherie).

Chrysante
Non, non.

Géron
Vous savez donc les deux difficultés

Qui jusqu’à maintenant vous tiennent arrêtés ?

Chrysante
Il veut son avantage, et nous cherchons le nôtre.

Géron
« Va, Géron, m’a-t-il dit ; et pour l’une et pour l’autre,

Si par dextérité tu n’en peux rien tirer,

Accorde tout plutôt que de plus différer.

Doris est à mes yeux de tant d’attraits pourvue,

Qu’il faut bien qu’il m’en coûte un peu pour l’avoir vue. »

Mais qu’en dit votre fille ?

Chrysante
Elle suivra mon choix,

Et montre une âme prête à recevoir mes lois ;

Non qu’elle en fasse état plus que de bonne sorte :

Il suffit qu’elle voit ce que le bien apporte,

Et qu’elle s’accommode aux solides raisons

Qui forment à présent les meilleures maisons.

Géron
À ce compte, c’est fait. Quand vous plaît-il qu’il vienne

Dégager ma parole, et vous donner la sienne ?

Chrysante
Deux jours me suffiront, ménagés dextrement,

Pour disposer mon fils à son contentement.

Durant ce peu de temps, si son ardeur le presse,

Il peut hors du logis rencontrer sa maîtresse.

Assez d’occasions s’offrent aux amoureux.

Géron
Madame, que d’un mot je vais le rendre heureux !

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