Au lecteur

Si tu n’es homme à te contenter de la naïveté du style et de la subtilité de l’intrigue, je ne t’invite point à la lecture de cette pièce : son ornement n’est pas dans l’éclat des vers. C’est une belle chose que de les faire puissants et majestueux : cette pompe ravit d’ordinaire les esprits, et pour le moins les éblouit ; mais il faut que les sujets en fassent naître les occasions ; autrement c’est en faire parade mal à propos, et pour gagner le nom de poète, perdre celui de judicieux. La comédie n’est qu’un portrait de nos actions et de nos discours, et la perfection des portraits consiste en la ressemblance. Sur cette maxime je tâche de ne mettre en la bouche de mes acteurs que ce que diraient vraisemblablement en leur place ceux qu’ils représentent, et de les faire discourir en honnêtes gens, et non pas en auteurs. Ce n’est qu’aux ouvrages où le poète parle qu’il faut parler en poète ; Plaute n’a pas écrit comme Virgile, et ne laisse pas d’avoir bien écrit. Ici donc tu ne trouveras en beaucoup d’endroits qu’une prose rimée, peu de scènes toutefois sans quelque raisonnement assez véritable, et partout une conduite assez industrieuse. Tu y reconnaîtras trois sortes d’amours aussi extraordinaires au théâtre qu’ordinaires dans le monde : celle de Philiste et Clarice, d’Alcidon et Doris, et celle de la même Doris avec Florange, qui ne paraît point. Le plus beau de leurs entretiens est en équivoques, et en propositions dont ils te laissent les conséquences à tirer. Si tu en pénètres bien le sens, l’artifice ne t’en déplaira point. Pour l’ordre de la pièce, je ne l’ai mis ni dans la sévérité des règles, ni dans la liberté qui n’est que trop ordinaire sur le théâtre français : l’une est trop rarement capable de beaux effets, et on les trouve à trop bon marché dans l’autre, qui prend quelquefois tout un siècle pour la durée de son action, et toute la terre habitable pour le lieu de sa scène. Cela sent un peu trop son abandon, messéant à toutes sortes de poèmes, et particulièrement aux dramatiques, qui ont toujours été les plus réglés. J’ai donc cherché quelque milieu pour la règle du temps, et me suis persuadé que la comédie étant disposée en cinq actes, cinq jours consécutifs n’y seraient point mal employés. Ce n’est pas que je méprise l’antiquité ; mais comme on épouse malaisément des beautés si vieilles, j’ai cru lui rendre assez de respect de lui partager mes ouvrages ; et de six pièces de théâtre qui me sont échappées, en ayant réduit trois dans la contrainte qu’elle nous a prescrite, je n’ai point fait de conscience d’allonger un peu les vingt et quatre heures aux trois autres. Pour l’unité de lieu et d’action, ce sont deux règles que j’observe inviolablement ; mais j’interprète la dernière à ma mode ; et la première, tantôt je la resserre à la seule grandeur du théâtre, et tantôt je l’étends jusqu’à toute une ville, comme en cette pièce. Je l’ai poussée dans le Clitandre jusques aux lieux où l’on peut aller dans les vingt et quatre heures ; mais bien que j’en pusse trouver de bons garants et de grands exemples dans les vieux et nouveaux siècles, j’estime qu’il n’est que meilleur de se passer de leur imitation en ce point. Quelque jour je m’expliquerai davantage sur ces matières ; mais il faut attendre l’occasion d’un plus grand volume : cette préface n’est déjà que trop longue pour une comédie.

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