Nérine
Malheureux instrument du malheur qui nous presse,
Que j’ai pitié de toi, déplorable princesse !
Avant que le soleil ait fait encore un tour,
Ta perte inévitable achève ton amour.
Ton destin te trahit, et ta beauté fatale
Sous l’appas d’un hymen t’expose à ta rivale ;
Ton sceptre est impuissant à vaincre son effort ;
Et le jour de sa fuite est celui de ta mort.
Sa vengeance à la main elle n’a qu’à résoudre,
Un mot du haut des cieux fait descendre le foudre,
Les mers, pour noyer tout, n’attendent que sa loi ;
La terre offre à s’ouvrir sous le palais du roi ;
L’air tient les vents tout prêts à suivre sa colère,
Tant la nature esclave a peur de lui déplaire ;
Et si ce n’est assez de tous les éléments,
Les enfers vont sortir à ses commandements.
Moi, bien que mon devoir m’attache à son service,
Je lui prête à regret un silence complice ;
D’un louable désir mon cœur sollicité
Lui ferait avec joie une infidélité :
Mais loin de s’arrêter, sa rage découverte,
À celle de Créuse ajouterait ma perte ;
Et mon funeste avis ne servirait de rien
Qu’à confondre mon sang dans les bouillons du sien.
D’un mouvement contraire à celui de mon âme,
La crainte de la mort m’ôte celle du blâme ;
Et ma timidité s’efforce d’avancer
Ce que hors du péril je voudrais traverser.