Scène VII

Jason
Ô dieux ! ce char volant, disparu dans la nue,

La dérobe à sa peine, aussi bien qu’à ma vue ;

Et son impunité triomphe arrogamment

Des projets avortés de mon ressentiment.

Créuse, enfants, Médée, amour, haine, vengeance,

Où dois-je, désormais, chercher quelque allégeance ?

Où suivre l’inhumaine, et dessous quels climats

Porter les châtiments de tant d’assassinats ?

Va, furie, exécrable, en quelque coin de terre

Que t’emporte ton char, j’y porterai la guerre.

J’apprendrai ton séjour de tes sanglants effets,

Et te suivrai partout au bruit de tes forfaits.

Mais que me servira cette vaine poursuite,

Si l’air est un chemin toujours libre à ta fuite,

Si toujours tes dragons sont prêts à t’enlever,

Si toujours tes forfaits ont de quoi me braver ?

Malheureux, ne perds point contre une telle audace

De ta juste fureur l’impuissante menace ;

Ne cours point à ta honte, et fuis l’occasion

D’accroître sa victoire et ta confusion

Misérable ! perfide ! ainsi donc ta faiblesse

Épargne la sorcière, et trahit ta princesse !

Est-ce là le pouvoir qu’ont sur toi ses désirs,

Et ton obéissance à ses derniers soupirs ?

Venge-toi, pauvre amant, Créuse le commande ;

Ne lui refuse point un sang qu’elle demande ;

Écoute les accents de sa mourante voix,

Et vole sans rien craindre à ce que tu lui dois.

À qui sait bien aimer il n’est rien d’impossible.

Eusses-tu pour retraite un roc inaccessible,

Tigresse, tu mourras ; et malgré ton savoir,

Mon amour te verra soumise à son pouvoir ;

Mes yeux se repaîtront des horreurs de ta peine :

Ainsi le veut Créuse, ainsi le veut ma haine.

Mais quoi ! je vous écoute, impuissantes chaleurs !

Allez, n’ajoutez plus de comble à mes malheurs.

Entreprendre une mort que le ciel s’est gardée,

C’est préparer encore un triomphe à Médée.

Tourne avec plus d’effet sur toi-même ton bras,

Et punis-toi, Jason, de ne la punir pas.

Vains transports, où sans fruit mon désespoir s’amuse,

Cessez de m’empêcher de rejoindre Créuse.

Ma reine, ta belle âme, en partant de ces lieux,

M’a laissé la vengeance, et je la laisse aux dieux ;

Eux seuls, dont le pouvoir égale la justice,

Peuvent de la sorcière achever le supplice.

Trouve-le bon, chère ombre, et pardonne à mes feux

Si je vais te revoir plus tôt que tu ne veux.

(Il se tue.)

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