Éraste, Mélite
Éraste
Quoi ! seule et sans Tircis ! vraiment c’est un prodige ;
Et ce nouvel amant déjà trop vous néglige,
Laissant ainsi couler la belle occasion
De vous conter l’excès de son affection.
Mélite
Vous savez que son âme en est fort dépourvue.
Éraste
Toutefois, ce dit-on, depuis qu’il vous a vue,
Il en porte dans l’âme un si doux souvenir,
Qu’il n’a plus de plaisirs qu’à vous entretenir.
Mélite
Il a lieu de s’y plaire avec quelque justice.
L’amour ainsi qu’à lui me paraît un supplice ;
Et sa froideur, qu’augmente un si lourd entretien,
Le résout d’autant mieux à n’aimer jamais rien.
Éraste
Dites : à n’aimer rien que la belle Mélite.
Mélite
Pour tant de vanité j’ai trop peu de mérite.
Éraste
En faut-il tant avoir pour ce nouveau venu ?
Mélite
Un peu plus que pour vous.
Éraste
De vrai, j’ai reconnu,
Vous ayant pu servir deux ans, et davantage,
Qu’il faut si peu que rien à toucher mon courage.
Mélite
Encor si peu que c’est vous étant refusé,
Présumez comme ailleurs vous serez méprisé.
Éraste
Vos mépris ne sont pas de grande conséquence,
Et ne vaudront jamais la peine que j’y pense ;
Sachant qu’il vous voyait, je m’étais bien douté
Que je ne serais plus que fort mal écouté.
Mélite
Sans que mes actions de plus près j’examine,
À la meilleure humeur je fais meilleure mine ;
Et s’il m’osait tenir de semblables discours,
Nous romprions ensemble avant qu’il fût deux jours.
Éraste
Si chaque objet nouveau de même vous engage,
Il changera bientôt d’humeur et de langage.
Caressé maintenant aussitôt qu’aperçu
Qu’aurait-il à se plaindre, étant si bien reçu ?
Mélite
Éraste, voyez-vous, trêve de jalousie ;
Purgez votre cerveau de cette frénésie :
Laissez en liberté mes inclinations.
Qui vous a fait censeur de mes affections ?
Est-ce à votre chagrin que j’en dois rendre conte ?
Éraste
Non, mais j’ai malgré moi pour vous un peu de honte,
De ce qu’on dit partout du trop de privauté
Que déjà vous souffrez à sa témérité.
Mélite
Ne soyez en souci que de ce qui vous touche.
Éraste
Le moyen, sans regret, de vous voir si farouche
Aux légitimes vœux de tant de gens d’honneur,
Et d’ailleurs si facile à ceux d’un suborneur ?
Mélite
Ce n’est pas contre lui qu’il faut en ma présence
Lâcher les traits jaloux de votre médisance.
Adieu. Souvenez-vous que ces mots insensés
L’avanceront chez moi plus que vous ne pensez.