Scène IV

Chloris, Tircis

Chloris

Mon frère, en ma faveur retourne sur tes pas.

Dis-moi la vérité ; tu ne me cherchais pas ?

Eh quoi ! tu fais semblant de ne me pas connaître ?

Ô dieux ! en quel état te vois-je ici paraître !

Tu pâlis tout à coup, et tes louches regards

S’élancent incertains presque de toutes parts !

Tu manques à la fois de couleur et d’haleine !

Ton pied mal affermi ne te soutient qu’à peine !

Quel accident nouveau te trouble ainsi les sens ?

Tircis

Puisque tu veux savoir le mal que je ressens,

Avant que d’assouvir l’inexorable envie

De mon sort rigoureux qui demande ma vie,

Je vais t’assassiner d’un fatal entretien,

Et te dire en deux mots mon malheur et le tien.

En nos chastes amours de tous deux on se moque ;

Philandre… Ah ! la douleur m’étouffe et me suffoque.

Adieu, ma sœur, adieu ; je ne puis plus parler ;

Lis, et, si tu le peux, tâche à te consoler.

Chloris

Ne m’échappe donc pas.

Tircis

Ma sœur, je te supplie…

Chloris

Quoi ! que je t’abandonne à ta mélancolie ?

Voyons auparavant ce qui te fait mourir,

Et nous aviserons à te laisser courir.

Tircis

Hélas ! quelle injustice !

Chloris , après avoir lu les lettres qu’il lui a données.

Est-ce là tout, fantasque ?

Quoi ! si la déloyale enfin lève le masque,

Oses-tu te fâcher d’être désabusé ?

Apprends qu’il te faut être en amour plus rusé ;

Apprends que les discours des filles bien sensées

Découvrent rarement le fond de leurs pensées

Et que, les yeux aidant à ce déguisement,

Notre sexe a le don de tromper finement.

Apprends aussi de moi que ta raison s’égare,

Que Mélite n’est pas une pièce si rare,

Qu’elle soit seule ici qui vaille la servir ;

Assez d’autres objets y sauront te ravir.

Ne t’inquiète point pour une écervelée

Qui n’a d’ambition que d’être cajolée,

Et rend à plaindre ceux qui, flattant ses beautés,

Ont assez de malheur pour en être écoutés.

Damon lui plut jadis, Aristandre et Géronte ;

Éraste après deux ans n’y voit pas mieux son conte.

Elle t’a trouvé bon seulement pour huit jours,

Philandre est aujourd’hui l’objet de ses amours ;

Et peut-être déjà (tant elle aime le change)

Quelque autre nouveauté le supplante et nous venge.

Ce n’est qu’une coquette avec tous ses attraits ;

Sa langue avec son cœur ne s’accorde jamais.

Les infidélités sont ses jeux ordinaires ;

Et ses plus doux appas sont tellement vulgaires,

Qu’en elle homme d’esprit n’admira jamais rien

Que le sujet pourquoi tu lui voulais du bien.

Tircis

Penses-tu m’arrêter par ce torrent d’injures ?

Que ce soient vérités, que ce soient impostures,

Tu redoubles mes maux au lieu de les guérir.

Adieu : rien que la mort ne peut me secourir.

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