Lisis, Chloris
Lisis
N’en doute plus, Chloris, ton frère n’est point mort ;
Mais ayant su de lui son déplorable sort,
Je voulais éprouver, par cette triste feinte,
Si celle qu’il adore, aucunement atteinte,
Deviendrait plus sensible aux traits de la pitié
Qu’aux sincères ardeurs d’une sainte amitié.
Maintenant que je vois qu’il faut qu’on nous abuse,
Afin que nous puissions découvrir cette ruse,
Et que Tircis en soit de tout point éclairci,
Sois sûre que dans peu je te le rends ici.
Ma parole sera d’un prompt effet suivie :
Tu reverras bientôt ce frère plein de vie ;
C’est assez que je passe une fois pour trompeur.
Chloris
Si bien qu’au lieu du mal nous n’aurons que la peur ?
Le cœur me le disait. Je sentais que mes larmes
Refusaient de couler pour de fausses alarmes,
Dont les plus dangereux et plus rudes assauts
Avaient beaucoup de peine à m’émouvoir à faux ;
Et je n’étudiai cette douleur menteuse
Qu’à cause qu’en effet j’étais un peu honteuse
Qu’une autre en témoignât plus de ressentiment.
Lisis
Après tout, entre nous, confesse franchement,
Qu’une fille en ces lieux, qui perd un frère unique,
Jusques au désespoir fort rarement se pique :
Ce beau nom d’héritière a de telles douceurs,
Qu’il devient souverain à consoler des sœurs.
Chloris
Adieu, railleur, adieu : son intérêt me presse
D’aller rendre d’un mot la vie à sa maîtresse ;
Autrement je saurais t’apprendre à discourir.
Lisis
Et moi, de ces frayeurs de nouveau te guérir.