Éraste, Tircis
Éraste
Maintenant suis-je un fou ? mérité-je du blâme ?
Que dis-tu de l’objet ? que dis-tu de ma flamme ?
Tircis
Que veux-tu que j’en die ? Elle a je ne sais quoi
Qui ne peut consentir que l’on demeure à soi.
Mon cœur, jusqu’à présent à l’amour invincible,
Ne se maintient qu’à force aux termes d’insensible ;
Tout autre que Tircis mourrait pour la servir.
Éraste
Confesse franchement qu’elle a su te ravir,
Et que tu ne veux pas prendre pour cette belle
Avec le nom d’amant le titre d’infidèle.
Rien que notre amitié ne t’en peut détourner ;
Mais ta muse du moins, facile à suborner,
Avec plaisir déjà prépare quelques veilles
À de puissants efforts pour de telles merveilles.
Tircis
En effet, ayant vu tant et de tels appas,
Que je ne rime point, je ne le promets pas.
Éraste
Tes feux n’iront-ils point plus avant que la rime ?
Tircis
Si je brûle jamais, je veux brûler sans crime.
Éraste
Mais si sans y penser tu te trouvais surpris ?
Tircis
Quitte pour décharger mon cœur dans mes écrits.
J’aime bien ces discours de plaintes et d’alarmes,
De soupirs, de sanglots, de tourments et de larmes ;
C’est de quoi fort souvent je bâtis ma chanson,
Mais j’en connais, sans plus, la cadence et le son.
Souffre qu’en un sonnet je m’efforce à dépeindre
Cet agréable feu que tu ne peux éteindre :
Tu le pourras donner comme venant de toi.
Éraste
Ainsi ce cœur d’acier qui me tient sous sa loi,
Verra ma passion pour le moins en peinture.
Je doute néanmoins qu’en cette portraiture
Tu ne suives plutôt tes propres sentiments.
Tircis
Me prépare le ciel de nouveaux châtiments,
Si jamais un tel crime entre dans mon courage !
Éraste
Adieu. Je suis content, j’ai ta parole en gage,
Et sais trop que l’honneur t’en fera souvenir.
Tircis , seul.
En matière d’amour rien n’oblige à tenir ;
Et les meilleurs amis, lorsque son feu les presse,
Font bientôt vanité d’oublier leur promesse.