Scène III

Éraste, Tircis

Éraste

Maintenant suis-je un fou ? mérité-je du blâme ?

Que dis-tu de l’objet ? que dis-tu de ma flamme ?

Tircis

Que veux-tu que j’en die ? Elle a je ne sais quoi

Qui ne peut consentir que l’on demeure à soi.

Mon cœur, jusqu’à présent à l’amour invincible,

Ne se maintient qu’à force aux termes d’insensible ;

Tout autre que Tircis mourrait pour la servir.

Éraste

Confesse franchement qu’elle a su te ravir,

Et que tu ne veux pas prendre pour cette belle

Avec le nom d’amant le titre d’infidèle.

Rien que notre amitié ne t’en peut détourner ;

Mais ta muse du moins, facile à suborner,

Avec plaisir déjà prépare quelques veilles

À de puissants efforts pour de telles merveilles.

Tircis

En effet, ayant vu tant et de tels appas,

Que je ne rime point, je ne le promets pas.

Éraste

Tes feux n’iront-ils point plus avant que la rime ?

Tircis

Si je brûle jamais, je veux brûler sans crime.

Éraste

Mais si sans y penser tu te trouvais surpris ?

Tircis

Quitte pour décharger mon cœur dans mes écrits.

J’aime bien ces discours de plaintes et d’alarmes,

De soupirs, de sanglots, de tourments et de larmes ;

C’est de quoi fort souvent je bâtis ma chanson,

Mais j’en connais, sans plus, la cadence et le son.

Souffre qu’en un sonnet je m’efforce à dépeindre

Cet agréable feu que tu ne peux éteindre :

Tu le pourras donner comme venant de toi.

Éraste

Ainsi ce cœur d’acier qui me tient sous sa loi,

Verra ma passion pour le moins en peinture.

Je doute néanmoins qu’en cette portraiture

Tu ne suives plutôt tes propres sentiments.

Tircis

Me prépare le ciel de nouveaux châtiments,

Si jamais un tel crime entre dans mon courage !

Éraste

Adieu. Je suis content, j’ai ta parole en gage,

Et sais trop que l’honneur t’en fera souvenir.

Tircis , seul.

En matière d’amour rien n’oblige à tenir ;

Et les meilleurs amis, lorsque son feu les presse,

Font bientôt vanité d’oublier leur promesse.

Share on Twitter Share on Facebook