Scène V

Tircis, Philandre, Chloris

Tircis

Si j’en crois l’apparence,

Mon arrivée ici fait quelque contretemps.

Philandre

Que t’en semble, Tircis ?

Tircis

Je vous vois si contents,

Qu’à ne vous rien celer touchant ce qu’il me semble

Du divertissement que vous preniez ensemble,

De moins sorciers que moi pourraient bien deviner

Qu’un troisième ne fait que vous importuner.

Chloris

Dis ce que tu voudras ; nos feux n’ont point de crimes,

Et pour t’appréhender ils sont trop légitimes,

Puisqu’un hymen sacré promis ces jours passés,

Sous ton consentement, les autorise assez.

Tircis

Ou je te connais mal, ou son heure tardive

Te désoblige fort de ce qu’elle n’arrive.

Chloris

Ta belle humeur te tient, mon frère.

Tircis

Assurément.

Chloris

Le sujet ?

Tircis

J’en ai trop dans ton contentement.

Chloris

Le cœur t’en dit d’ailleurs.

Tircis

Il est vrai, je te jure ;

J’ai vu je ne sais quoi…

Chloris

Dis tout, je t’en conjure.

Tircis

Ma foi, si ton Philandre avait vu de mes yeux,

Tes affaires, ma sœur, n’en iraient guère mieux.

Chloris

J’ai trop de vanité pour croire que Philandre

Trouve encore après moi qui puisse le surprendre.

Tircis

Tes vanités à part, repose-t’en sur moi

Que celle que j’ai vue est bien autre que toi.

Philandre

Parle mieux de l’objet dont mon âme est ravie ;

Ce blasphème à tout autre aurait coûté la vie.

Tircis

Nous tomberons d’accord sans nous mettre en pourpoint.

Chloris

Encor, cette beauté, ne la nomme-t-on point ?

Tircis

Non, pas si tôt. Adieu : ma présence importune

Te laisse à la merci d’Amour et de la brune.

Continuez les jeux que vous avez quittés.

Chloris

Ne crois pas éviter mes importunités :

Ou tu diras le nom de cette incomparable,

Ou je vais de tes pas me rendre inséparable.

Tircis

Il n’est pas fort aisé d’arracher ce secret.

Adieu : ne perds point temps.

Chloris

Ô l’amoureux discret !

Eh bien ? nous allons voir si tu sauras te taire.

Philandre

(Il retient Chloris, qui suit son frère.)

C’est donc ainsi qu’on quitte un amant pour un frère ?

Chloris

Philandre, avoir un peu de curiosité,

Ce n’est pas envers toi grande infidélité :

Souffre que je dérobe un moment à ma flamme,

Pour lire malgré lui jusqu’au fond de son âme.

Nous en rirons après ensemble, si tu veux.

Philandre

Quoi ! c’est là tout l’état que tu fais de mes feux ?

Chloris

Je ne t’aime pas moins, pour être curieuse,

Et ta flamme à mon cœur n’est pas moins précieuse.

Conserve-moi le tien, et sois sûr de ma foi.

Philandre

Ah, folle ! qu’en t’aimant il faut souffrir de toi !

Share on Twitter Share on Facebook