Tircis, Philandre, Chloris
Tircis
Si j’en crois l’apparence,
Mon arrivée ici fait quelque contretemps.
Philandre
Que t’en semble, Tircis ?
Tircis
Je vous vois si contents,
Qu’à ne vous rien celer touchant ce qu’il me semble
Du divertissement que vous preniez ensemble,
De moins sorciers que moi pourraient bien deviner
Qu’un troisième ne fait que vous importuner.
Chloris
Dis ce que tu voudras ; nos feux n’ont point de crimes,
Et pour t’appréhender ils sont trop légitimes,
Puisqu’un hymen sacré promis ces jours passés,
Sous ton consentement, les autorise assez.
Tircis
Ou je te connais mal, ou son heure tardive
Te désoblige fort de ce qu’elle n’arrive.
Chloris
Ta belle humeur te tient, mon frère.
Tircis
Assurément.
Chloris
Le sujet ?
Tircis
J’en ai trop dans ton contentement.
Chloris
Le cœur t’en dit d’ailleurs.
Tircis
Il est vrai, je te jure ;
J’ai vu je ne sais quoi…
Chloris
Dis tout, je t’en conjure.
Tircis
Ma foi, si ton Philandre avait vu de mes yeux,
Tes affaires, ma sœur, n’en iraient guère mieux.
Chloris
J’ai trop de vanité pour croire que Philandre
Trouve encore après moi qui puisse le surprendre.
Tircis
Tes vanités à part, repose-t’en sur moi
Que celle que j’ai vue est bien autre que toi.
Philandre
Parle mieux de l’objet dont mon âme est ravie ;
Ce blasphème à tout autre aurait coûté la vie.
Tircis
Nous tomberons d’accord sans nous mettre en pourpoint.
Chloris
Encor, cette beauté, ne la nomme-t-on point ?
Tircis
Non, pas si tôt. Adieu : ma présence importune
Te laisse à la merci d’Amour et de la brune.
Continuez les jeux que vous avez quittés.
Chloris
Ne crois pas éviter mes importunités :
Ou tu diras le nom de cette incomparable,
Ou je vais de tes pas me rendre inséparable.
Tircis
Il n’est pas fort aisé d’arracher ce secret.
Adieu : ne perds point temps.
Chloris
Ô l’amoureux discret !
Eh bien ? nous allons voir si tu sauras te taire.
Philandre
(Il retient Chloris, qui suit son frère.)
C’est donc ainsi qu’on quitte un amant pour un frère ?
Chloris
Philandre, avoir un peu de curiosité,
Ce n’est pas envers toi grande infidélité :
Souffre que je dérobe un moment à ma flamme,
Pour lire malgré lui jusqu’au fond de son âme.
Nous en rirons après ensemble, si tu veux.
Philandre
Quoi ! c’est là tout l’état que tu fais de mes feux ?
Chloris
Je ne t’aime pas moins, pour être curieuse,
Et ta flamme à mon cœur n’est pas moins précieuse.
Conserve-moi le tien, et sois sûr de ma foi.
Philandre
Ah, folle ! qu’en t’aimant il faut souffrir de toi !