Au petit trot de la rousse jument qu’il emprisonnait de ses brancards, le fiacre s’était remis en route, conduisant à la terre promise Roté, homme habile entre tous en l’art d’avoir raison des perfidies de la vie et de mater les dieux malfaisants. Sa face élargie de fierté disait tout le mérite d’une victoire qu’ensuivrait bientôt une seconde, et, dans le vague reflet de la vitre encadrant le siège du cocher, l’heureux coquin, en malins clignements d’œil, se complimentait de l’une et de l’autre.
Ah ! lenteur des dernières attentes !… agonie atroce et exquise des désirs enfin contentés !… fièvre des doigts exaspérés, tendus vers le but presque atteint !…
Soudain le fiacre s’arrêta.
Roté eut un geste d’impatience.
Une minute s’écoula.
Roté mordit sa canne.
Mais comme, à la première minute, en succédait une seconde, puis, à la seconde, une troisième, il n’y tint plus ; par le cadre de la glace baissée, il se pencha au dehors, et, pour stimuler de paroles bien senties le zèle de l’automédon, il projeta d’arrière en avant sa tête que surplombait – cinquième du nom – un haut-de-forme irréprochable. Précisément, au même instant, un agent qui veillait à la circulation, projetait d’avant en arrière son bâton couleur de porcelaine, marqué aux armes de la Ville. Animés de vitesses égales, mais agissant en sens contraires, le bâton de l’agent et le chapeau de Roté se heurtèrent, pareils à deux trains…
Un coup sourd !
– Andouille ! fit l’agent.
Mais Roté ne répondit pas, les cheveux au vent, les yeux perdus, suivant, par l’éloignement de la rue, la galopade précipitée d’une chose qu’on ne saurait définir, une chose sombre, surnaturelle, une sorte de météore ténébreux…