Le 2. – Je réitérai ma médecine des trois manières ; je me l’administrai comme la première fois, et je doublai la quantité de ma potion.
Le 3. – La fièvre me quitta pour tout de bon ; cependant je ne recouvrai entièrement mes forces que quelques semaines après. Pendant cette convalescence, je réfléchis beaucoup sur cette parole : – « Je te délivrerai ; » – et l’impossibilité de ma délivrance se grava si avant en mon esprit qu’elle lui défendit tout espoir. Mais, tandis que je me décourageais avec de telles pensées, tout-à-coup j’avisai que j’étais si préoccupé de la délivrance de ma grande affliction, que je méconnaissais la faveur que je venais de recevoir, et je m’adressai alors moi-même ces questions : – « N’ai-je pas été miraculeusement délivré d’une maladie, de la plus déplorable situation qui puisse être et qui était si épouvantable pour moi ? Quelle attention ai-je fait à cela ? Comment ai-je rempli mes devoirs ? Dieu m’a délivré et je ne l’ai point glorifié ; c’est-à-dire je n’ai point été reconnaissant, je n’ai point confessé cette délivrance ; comment en attendrais-je une plus grande encore ? »
Ces réflexions pénétrèrent mon cœur ; je me jetai à genoux, et je remerciai Dieu à haute voix de m’avoir sauvé de cette maladie.
Le 4. – Dans la matinée je pris la Bible, et, commençant par le Nouveau-Testament, je m’appliquai sérieusement à sa lecture, et je m’imposai la loi d’y vaquer chaque matin et chaque soir, sans m’astreindre à certain nombre de chapitres, mais en poursuivant aussi long-temps que je le pourrais. Au bout de quelque temps que j’observais religieusement cette pratique, je sentis mon cœur sincèrement et profondément contrit de la perversité de ma vie passée. L’impression de mon songe se raviva, et ces paroles : – « Toutes ces choses ne t’ont point amené à repentance » – m’affectèrent réellement l’esprit. C’est cette repentance que je demandais instamment à Dieu, lorsqu’un jour, lisant la Sainte Écriture, je tombai providentiellement sur ce passage : – « Il est exalté prince et sauveur pour donner repentance et pour donner rémission. » – Je laissai choir le livre, et, élevant mon cœur et mes mains vers le Ciel dans une sorte d’extase de joie, je m’écriai : – « Jésus fils de David, Jésus, toi sublime prince et sauveur, donne moi repentance ! »
Ce fut là réellement la première fois de ma vie que je fis une prière ; car je priai alors avec le sentiment de ma misère et avec une espérance toute biblique fondée sur la parole consolante de Dieu, et dès lors je conçus l’espoir qu’il m’exaucerait.
Le passage – « Invoque-moi et je te délivrerai », – me parut enfin contenir un sens que je n’avais point saisi ; jusque-là je n’avais eu notion d’aucune chose qui pût être appelée délivrance, si ce n’est l’affranchissement de la captivité où je gémissais ; car, bien que je fusse dans un lieu étendu, cependant cette île était vraiment une prison pour moi, et cela dans le pire sens de ce mot. Mais alors j’appris à voir les choses sous un autre jour : je jetai un regard en arrière sur ma vie passée avec une telle horreur, et mes péchés me parurent si énormes, que mon âme n’implora plus de Dieu que la délivrance du fardeau de ses fautes, qui l’oppressait. Quant à ma vie solitaire, ce n’était plus rien ; je ne priais seulement pas Dieu de m’en affranchir, je n’y pensais pas : tout mes autres maux n’étaient rien au prix de celui-ci. J’ajoute enfin ceci pour bien faire entendre à quiconque lira cet écrit qu’à prendre le vrai sens des choses, c’est une plus grande bénédiction d’être délivré du poids d’un crime que d’une affliction.
Mais laissons cela, et retournons à mon journal.
Quoique ma vie fût matériellement toujours aussi misérable, ma situation morale commençait cependant à s’améliorer. Mes pensées étant dirigées par une constante lecture de l’Écriture Sainte, et par la prière vers des choses d’une nature plus élevée, j’y puisais mille consolations qui m’avaient été jusqu’alors inconnues ; et comme ma santé et ma vigueur revenaient, je m’appliquais à me pourvoir de tout ce dont j’avais besoin et à me faire une habitude de vie aussi régulière qu’il m’était possible.
Du 4 au 14. – Ma principale occupation fut de me promener avec mon fusil à la main ; mais je faisais mes promenades fort courtes, comme un homme qui rétablit ses forces au sortir d’une maladie ; car il serait difficile d’imaginer combien alors j’étais bas, et à quel degré de faiblesse j’étais réduit. Le remède dont j’avais fait usage était tout-à-fait nouveau, et n’avait peut-être jamais guéri de fièvres auparavant ; aussi ne puis-je recommander à qui que ce soit d’en faire l’expérience : il chassa, il est vrai, mes accès de fièvre, mais il contribua beaucoup à m’affaiblir, et me laissa pour quelque temps des tremblements nerveux et des convulsions dans touts les membres.
J’appris aussi en particulier de cette épreuve que c’était la chose la plus pernicieuse à la santé que de sortir dans la saison pluvieuse, surtout si la pluie était accompagnée de tempêtes et d’ouragans. Or, comme les pluies qui tombaient dans la saison sèche étaient toujours accompagnées de violents orages, je reconnus qu’elles étaient beaucoup plus dangereuses que celles de septembre et d’octobre.
Il y avait près de dix mois que j’étais dans cette île infortunée ; toute possibilité d’en sortir semblait m’être ôtée à toujours, et je croyais fermement que jamais créature humaine n’avait mis le pied en ce lieu. Mon habitation étant alors à mon gré parfaitement mise à couvert, j’avais un grand désir d’entreprendre une exploration plus complète de l’île, et de voir si je ne découvrirais point quelques productions que je ne connaissais point encore.
Ce fut le 15 que je commençai à faire cette visite exacte de mon île. J’allai d’abord à la crique dont j’ai déjà parlé, et où j’avais abordé avec mes radeaux. Quand j’eus fait environ deux mille en la côtoyant, je trouvai que le flot de la marée ne remontait pas plus haut, et que ce n’était plus qu’un petit ruisseau d’eau courante très-douce et très-bonne. Comme c’était dans la saison sèche, il n’y avait presque point d’eau dans certains endroits, ou au moins point assez pour que le courant fût sensible.
Sur les bords de ce ruisseau je trouvai plusieurs belles savanes ou prairies unies, douces et couvertes de verdures. Dans leurs parties élevées proche des hautes terres, qui, selon toute apparence, ne devaient jamais être inondées, je découvris une grande quantité de tabacs verts, qui jetaient de grandes et fortes tiges. Il y avait là diverses autres plantes que je ne connaissais point, et qui peut-être avaient des vertus que je ne pouvais imaginer.
Je me mis à chercher le manioc, dont la racine ou cassave sert à faire du pain aux Indiens de tout ce climat ; il me fut impossible d’en découvrir. Je vis d’énormes plantes d’agave ou d’aloès, mais je n’en connaissais pas encore les propriétés. Je vis aussi quelques cannes à sucre sauvages, et, faute de culture, imparfaites. Je me contentai de ces découvertes pour cette fois, et je m’en revins en réfléchissant au moyen par lequel je pourrais m’instruire de la vertu et de la bonté des plantes et des fruits que je découvrirais ; mais je n’en vins à aucune conclusion ; car j’avais si peu observé pendant mon séjour au Brésil, que je connaissais peu les plantes des champs, ou du moins le peu de connaissance que j’en avais acquis ne pouvait alors me servir de rien dans ma détresse.