Le 1er. – À ma grande surprise, j’apperçus, le matin, que le vaisseau avait été soulevé par la marée montante, et entraîné beaucoup plus près du rivage. D’un côté ce fut une consolation pour moi ; car le voyant entier et dressé sur sa quille, je conçus l’espérance, si le vent venait à s’abattre, d’aller à bord et d’en tirer les vivres ou les choses nécessaires pour mon soulagement. D’un autre côté ce spectacle renouvela la douleur que je ressentais de la perte de mes camarades ; j’imaginais que si nous étions demeurés à bord, nous eussions pu sauver le navire, ou qu’au moins mes compagnons n’eussent pas été noyés comme ils l’étaient, et que, si tout l’équipage avait été préservé, peut-être nous eussions pu construire avec les débris du bâtiment une embarcation qui nous aurait portés en quelque endroit du monde. Je passai une grande partie de la journée à tourmenter mon âme de ces regrets ; mais enfin, voyant le bâtiment presque à sec, j’avançai sur la grève aussi loin que je pus, et me mis à la nage pour aller à bord. Il continua de pleuvoir tout le jour, mais il ne faisait point de vent.
Du 1er au 24. – Toutes ces journées furent employées à faire plusieurs voyages pour tirer du vaisseau tout ce que je pouvais, et l’amener à terre sur des radeaux à la faveur de chaque marée montante. Il plut beaucoup durant cet intervalle, quoique avec quelque lueur de beau temps : il paraît que c’était la saison pluvieuse.
Le 20. – Je renversai mon radeau et touts les objets que j’avais mis dessus ; mais, comme c’était dans une eau peu profonde, et que la cargaison se composait surtout d’objets pesants, j’en recouvrai une partie quand la marée se fut retirée.
Le 25. – Tout le jour et toute la nuit il tomba une pluie accompagnée de rafale ; durant ce temps le navire se brisa, et le vent ayant soufflé plus violemment encore, il disparut, et je ne pus appercevoir ses débris qu’à mer étale seulement. Je passai ce jour-là à mettre à l’abri les effets que j’avais sauvés, de crainte qu’ils ne s’endommageassent à la pluie.
Le 26. – Je parcourus le rivage presque tout le jour, pour trouver une place où je pusse fixer mon habitation ; j’étais fort inquiet de me mettre à couvert, pendant la nuit, des attaques des hommes et des bêtes sauvages. Vers le soir je m’établis en un lieu convenable, au pied d’un rocher, et je traçai un demi-cercle pour mon campement, que je résolus d’entourer de fortifications composées d’une double palissade fourrée de câbles et renformie de gazon.
Du 26 au 30. – Je travaillai rudement à transporter touts mes bagages dans ma nouvelle habitation, quoiqu’il plut excessivement fort une partie de ce temps-là.
Le 31. – Dans la matinée je sortis avec mon fusil pour chercher quelque nourriture et reconnaître le pays ; je tuai une chèvre, dont le chevreau me suivit jusque chez moi ; mais, dans la suite, comme il refusait de manger, je le tuai aussi.