RÉPONSE.

Où j'ai dit, c'est-à-dire un esprit, une âme, un entendement, une raison, etc., je n'ai point entendu par ces noms les seules facultés, mais les choses douées de la faculté de penser, comme ; par les deux premiers on a coutume d'entendre ; et assez souvent aussi par les deux derniers : ce que j'ai si souvent expliqué, et en termes si exprès, que je ne vois pas qu'il y ait eu lieu d'en douter.

Et il n'y a point ici de rapport ou de convenance entre la promenade et la pensée, parce que la promenade n'est jamais prise autrement que pour l'action même ; mais la pensée se prend quelquefois pour l'action, quelquefois pour la faculté, et quelquefois pour la chose en laquelle réside cette faculté.

Et je ne dis pas que l'intellection et la chose qui entend soient une même chose, non pas même la chose qui entend et l'entendement, si l'entendement est pris pour une faculté, mais seulement lorsqu'il est pris pour la chose même qui entend. Or j'avoue franchement que pour signifier une chose ou une substance, laquelle je voulois dépouiller de toutes les choses qui ne lui appartiennent point, je me suis servi de tenues autant simples et abstraits que j'ai pu, comme au contraire ce philosophe, pour signifier la même substance, en emploie d'autres fort concrets et composés, à savoir ceux de sujet, de matière et de corps, afin d'empêcher autant qu'il peut qu'on ne puisse séparer la pensée d'avec le corps. Et je ne crains pas que la façon dont il se sert, qui est de joindre ainsi plusieurs choses ensemble, soit trouvée plus propre pour parvenir à la connoissance de la vérité : qu'est la mienne, par laquelle je distingue autant que je puis chaque chose. Mais ne nous arrêtons pas davantage aux paroles, venons à la chose dont il est question.

« Il se peut faire, dit-il, qu'une chose qui pense soit quelque chose de corporel, dont le contraire est pris ou avancé et n'est pas prouvé. » Tant s'en faut, je n'ai point avancé le contraire et ne m'en suis en façon quelconque servi pour fondement, mais je l'ai laissé entièrement indéterminé jusqu'à la sixième Méditation, dans laquelle il est prouvé.

Eu après il dit fort bien « que nous ne pouvons concevoir aucun acte sans son sujet, comme la pensée sans une chose qui pense, parce que la chose qui pense n'est pas un rien ; » mais c'est sans aucune raison et contre toute bonne logique, et même contre la façon ordinaire de parler, qu'il ajoute « que de là il semble suivre qu'une chose qui pense est quelque chose de corporel ; » car les sujets de tous les actes sont bien à la vérité entendus comme étant des substances, ou si vous voulez comme des matières, à savoir des matières métaphysiques ; mais non pas pour cela comme des corps. Au contraire, tous les logiciens, et presque tout le monde avec eux, ont coutume de dire qu'entre les substances les unes sont spirituelles et les autres corporelles. Et je n'ai prouvé autre chose par l'exemple de la cire, sinon que la couleur, la dureté, la figure, etc., n'appartiennent point à la raison formelle de la cire, c'est-à-dire qu'on peut concevoir tout ce qui se trouve nécessairement dans la cire sans avoir besoin pour cela de penser à elles : je n'ai point aussi parlé en ce lieu-là de la raison formelle de l'esprit, ni même de celle du corps.

Et il ne sert de rien de dire, comme fait ici ce philosophe, qu'une pensée ne peut pas être le sujet d'une autre pensée. Car qui a jamais feint cela que lui ? Mais je tâcherai ici d'expliquer en peu de paroles tout le sujet dont est question.

Il est certain que la pensée ne peut pas être sans une chose qui pense, et en général aucun accident ou aucun acte ne peut être sans une substance de laquelle il soit l'acte. Mais d'autant que nous ne connoissons pas la substance immédiatement par elle-même, mais seulement parce qu'elle est le sujet de quelques actes, il est fort convenable à la raison, et l'usage même le requiert, que nous appelions de divers noms ces substances que nous connoissons être les sujets de plusieurs actes ou accidents entièrement différents, et qu'après cela nous examinions si ces divers noms signifient des choses différentes ou une seule et même chose. Or il y a certains actes que nous appelons corporels, comme la grandeur, la figure, le mouvement, et toutes les autres choses qui ne peuvent être conçues sans une extension locale ; et nous appelons du nom de corps la substance en laquelle ils résident ; et on ne peut pas feindre que ce soit une autre substance qui soit le sujet de la figure, une autre qui soit le sujet du mouvement local, etc., parce que tous ces actes conviennent entre eux, en ce qu'ils présupposent l'étendue. En après il y a d'autres actes que nous appelons intellectuels, comme entendre, vouloir, imaginer, sentir, etc., tous lesquels conviennent entre eux en ce qu'ils ne peuvent être sans pensée, ou perception, ou conscience et connoissance ; et la substance en laquelle ils résident, nous la nommons une chose qui pense, ou un esprit, ou de tel autre nom qu'il nous plaît, pourvu que nous ne la confondions point avec la substance corporelle, d'autant que les actes intellectuels n'ont aucune affinité avec les actes corporels, et que la pensée, qui est la raison commune en laquelle ils conviennent, diffère totalement de l'extension, qui est la raison commune des autres. Mais après que nous avons formé deux concepts clairs et distincts de ces deux substances, il est aisé de connoître, par ce qui a été dit en la sixième Méditation, si elles ne sont qu'une même chose, ou si elles en sont deux différentes.

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