OBJECTION X e . Sur la troisième méditation.

« Partant, il ne reste que la seule idée de Dieu, dans laquelle il faut considérer s'il y a quelque chose qui n'ait pu venir de moi-même. Par le nom de Dieu, j'entends une substance infinie, indépendante, souverainement intelligente, souverainement puissante, et par laquelle non seulement moi, mais toutes les autres choses qui sont (s'il y en a d'autres qui existent) ont été créées : toutes lesquelles choses, à dire le vrai, sont telles, que plus j'y pense, et moins me semblent-elles pouvoir venir de moi seul. Et par conséquent il faut conclure de tout ce qui a été dit ci-devant, que Dieu existe nécessairement. »

Considérant les attributs de Dieu, afin que de là nous en ayons l'idée, et que nous voyions s'il y a quelque chose en elle qui n'ait pu venir de nous-mêmes, je trouve, si je ne me trompe, que ni les choses que nous concevons par le nom de Dieu ne viennent point de nous, ni qu'il n'est pas nécessaire qu'elles viennent d'ailleurs que des objets extérieurs. Car, par le nom de Dieu, j'entends une substance, c'est-à-dire j'entends que Dieu existe (non point par une idée, mais par raisonnement) : infinie, c'est-à-dire que je ne puis concevoir ni imaginer ses termes ou ses dernières parties, que je n'en puisse encore imaginer d'autres au-delà ; d'où il suit que le nom d'infini ne nous fournit pas l'idée de l'infinité divine, mais bien celle de mes propres termes et limites : indépendante, c'est-à-dire je ne conçois point de cause de laquelle Dieu puisse venir ; d'où il paroît que je n'ai point d'autre idée qui réponde à ce nom d'indépendant, sinon la mémoire de mes propres idées, qui ont toutes leur commencement en divers temps, et qui par conséquent sont dépendantes.

C'est pourquoi, dire que Dieu est indépendant, ce n'est rien dire autre chose, sinon que Dieu est du nombre des choses dont je ne puis imaginer l'origine ; tout ainsi que dire que Dieu est infini, c'est de même que si nous disions qu'il est du nombre des choses dont nous ne concevons point les limites. Et ainsi toute cette idée de Dieu est réfutée ; car quelle est cette idée qui est sans fin et sans origine ?

Souverainement intelligente. Je demande aussi par quelle idée M. Descartes conçoit l'intellection de Dieu.

Souverainement puissante. Je demande aussi par quelle idée sa puissance, qui regarde les choses futures, c'est-à-dire non existantes, est entendue. Certes, pour moi, je conçois la puissance par l'image ou la mémoire des choses passées, en raisonnant de cette sorte : Il a fait ainsi, donc il a pu faire ainsi ; donc, tant qu'il sera, il pourra encore, faire ainsi, c'est-à-dire il en a la puissance. Or toutes ces choses sont des idées qui peuvent venir des objets extérieurs.

Créateur de toutes les choses qui sont au monde. Je puis former quelque image de la création par le moyen des choses que j'ai vues, par exemple de ce que j'ai vu un homme naissant, et qui est parvenu, d'une petitesse presque inconcevable, à la forme et à la grandeur qu'il a maintenant ; et personne à mon avis n'a d'autre idée à ce nom de créateur mais il ne suffît pas, pour prouver la création du monde, que nous puissions imaginer le monde créé. C'est pourquoi, encore qu'on eût démontré qu'un être infini, indépendant, tout-puissant, etc., existe, il ne s'ensuit pas néanmoins qu'un créateur existe, si ce n'est que quelqu'un pense qu'on infère fort bien de ce qu'un certain être existe, lequel nous croyons avoir créé toutes les autres choses, que pour cela le monde a autrefois été créé par lui.

De plus, où M. Descartes dit que l'idée de Dieu et de notre âme est née et résidante en nous, je voudrais bien savoir si les âmes de ceux-là pensent qui dorment profondément et sans aucune rêverie : si elles ne pensent point, elles n'ont alors aucunes idées ; et partant il n'y a point d'idée qui soit née et résidante en nous, car ce qui est né et résidant en nous est toujours présent à notre pensée.

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