Préface de l’auteur L’homme aux contes

Vous saurez, chers petits lecteurs, auxquels s’adresse plus spécialement ce recueil, qu’en 1838, c’est-à-dire bien longtemps avant que vous fussiez nés, je faisais un voyage en Allemagne.

Je m’arrêtai un mois à Francfort pour y attendre un ami à moi, qui savait une foule de jolis contes et qu’on appelait Gérard de Nerval.

Hélas ! un jour, chers petits lecteurs, vous saurez comment il a vécu et comment il est mort. Sa vie est plus qu’une histoire et mieux qu’un conte : c’est une légende.

J’avais reçu l’hospitalité dans une famille dont le père était Français, la mère Flamande, et dont les enfants étaient un peu de tout cela.

Il y avait, dans la maison, deux petits garçons et une petite fille.

Les deux petits garçons avaient, l’un sept ans et l’autre cinq. La petite fille avait quatorze mois.

Les deux garçons sont aujourd’hui, l’un sous-lieutenant, l’autre sergent en Afrique. La petite fille est une grande et belle personne de vingt ans et demi.

J’avais donc bien raison de vous dire que mon voyage avait eu lieu bien longtemps avant que vous fussiez nés.

Sous le prétexte qu’ils me voyaient écrire pendant une partie de la journée, les deux petits garçons, tous les soirs, après le dîner, me demandaient de leur dire un conte.

Quant à la petite fille, qui m’en a quelquefois et à son tour demandé depuis, elle ne demandait rien alors que son biberon, qu’elle caressait, il faut le dire, avec une affection toute particulière.

J’épuisai vite mon répertoire de contes ; car vous connaissez l’insatiable avidité des auditeurs de votre âge. Un conte à peine achevé, leur manière d’applaudir est de dire : « Encore ! » leur manière de remercier est de dire : « Un autre ! »

Quand je n’en sus plus, j’en inventai. Je suis fâché de ne pas me les rappeler, attendu que, sur la quantité, il y en avait un ou deux fort jolis.

Arrivé au bout de mon imagination, je dis à mes petits camarades :

– Mes enfants, j’attends de jour en jour mon ami Gérard de Nerval. Il sait beaucoup de contes charmants et vous en dira tant que vous voudrez.

Ce n’était pas précisément cela que demandaient les deux enfants. Mais, comme une lettre était arrivée le matin, qui annonçait pour le surlendemain l’arrivée de Gérard, grâce à une tartine de beurre et de fraises, mets essentiellement germain, ils prirent patience.

Le surlendemain, Gérard arriva en effet : ce fut une fête dans la maison ; les enfants, qui l’avaient regardé venir de loin et à qui j’avais dit : « Voilà l’homme aux contes ! » coururent au-devant de lui et lui sautèrent au cou en criant :

– Soyez le bienvenu, monsieur l’homme aux contes ! en savez-vous beaucoup ? resterez-vous longtemps ? pourrez-vous nous en dire un tous les jours ?

On expliqua à Gérard ce dont il était question. Gérard trouva dès lors l’accueil tout naturel et promit un conte pour le même soir, après dîner.

Les enfants passèrent leur journée à regarder l’heure à la pendule et à dire qu’ils avaient faim.

Enfin, on annonça que monsieur était servi.

En Allemagne, mes enfants, on dit : « Monsieur est servi. »

En France, on dit : « Madame est servie. »

Plus tard, vos parents vous expliqueront la différence qu’il y a entre ces deux manières d’inviter le maître et la maîtresse de la maison à se mettre à table. Elle explique le génie des deux peuples, aussi bien et même mieux qu’une longue dissertation.

S’il n’y avait eu à table que les enfants, le dîner n’eût certes pas duré dix minutes.

Les enfants sautèrent à bas de leur chaise avant le dessert et vinrent tirer Gérard par le bas de ce fameux paletot tabac d’Espagne, dont lui-même a écrit l’histoire.

Gérard ne réclama que le temps de prendre son café. Le café était une des voluptés de Gérard.

Le café pris, il n’y eut plus moyen de résister.

On coucha la petite Anna dans son berceau en mettant son biberon à la portée de sa main, et l’on alla s’asseoir sur un balcon formant terrasse et donnant sur le jardin.

Charles, l’aîné des deux garçons, grimpa sur mon genou ; Paul, le plus jeune, se glissa entre les jambes de Gérard ; tout le monde prêta l’oreille, comme s’il s’agissait du récit d’Énée à Didon, et Gérard commença :

Share on Twitter Share on Facebook