XXXIX CONCLUSION.

Quinze jours après les événements que nous venons de raconter, un carrosse vert, le même que nous avons vu arriver à Paris au commencement de cette histoire, sortait par la même barrière qu’il était entré, et cheminait sur la route de Paris à Nantes. Une jeune femme, pâle et presque mourante, y était assise aux côtés d’une sœur augustine, qui, chaque fois qu’elle tournait les yeux vers sa compagne, poussait un soupir et essuyait une larme.

Un homme à cheval guettait cette voiture un peu au delà de Rambouillet. Il était enveloppé d’un grand manteau qui ne laissait voir que ses yeux.

Près de lui, était un autre homme enveloppé d’un manteau comme lui.

Quand la voiture passa, il poussa un profond soupir, et deux larmes silencieuses tombèrent de ses yeux.

– Adieu, murmura-t-il ; adieu toute ma joie, adieu tout mon bonheur ! adieu, Hélène ; adieu, mon enfant !

– Monseigneur, dit l’homme qui était près de lui, il en coûte pour être un grand prince, et celui qui veut commander aux autres doit d’abord se vaincre lui-même. Soyez fort jusqu’au bout, monseigneur, et la postérité dira que vous avez été grand.

– Oh jamais je ne vous pardonnerai, monsieur, dit le régent avec un soupir si profond qu’il ressemblait à un gémissement, car vous avez tué mon bonheur.

– Eh bien ! travaillez donc pour les rois ! dit en haussant les épaules le compagnon de cet homme affligé : Noli fidere principibus terrae neo filiis eorum.

Les deux hommes restèrent là jusqu’à ce que la voiture eût disparu à l’horizon, puis ils reprirent le chemin de Paris.

Huit jours après, la voiture entrait sous le porche des Augustines de Clisson ; à son arrivée, tout le couvent s’empressa auprès de la voyageuse souffrante, pauvre fleur brisée au vent du monde.

– Venez, mon enfant, venez vivre avec nous, dit la supérieure.

– Non pas vivre, ma mère, dit la jeune fille ; mais mourir.

– Ne pensez qu’au Seigneur, mon enfant, dit la bonne abbesse.

– Oui, ma mère, au Seigneur, qui est mort pour le crime des hommes, n’est-ce pas ?

La supérieure la reçut dans ses bras sans lui faire d’autre question ; elle était habituée à voir passer les souffrances de la terre, et à les plaindre sans leur demander qui les avait fait souffrir.

Hélène reprit sa petite cellule dont elle avait été absente un mois à peine ; tout y était encore à la même place et comme elle l’avait laissé. Elle alla à la fenêtre ; le lac dormait tranquille et morne, seulement la glace qui le couvrait avait disparu sous les pluies, et, avec elle, la neige où, avant de partir, la jeune fille avait revu l’empreinte des pas de Gaston.

Le printemps vint ; tout se reprit à la vie, excepté Hélène. Les arbres qui formaient l’enceinte du petit lac verdirent ; les larges feuilles des nymphéas flottèrent encore à la surface de l’eau ; les roseaux se redressèrent, et toute la peuplade des oiseaux chantants revint les habiter.

Il n’y eut point jusqu’à la grille qui ne se rouvrit pour donner passage au jardinier.

Hélène traversa encore l’été ; puis, au mois de septembre, elle mourut.

Le matin même de sa mort, la supérieure reçut une lettre qui arrivait de Paris par un courrier. Elle porta à l’agonisante cette lettre qui contenait ces seuls mots :

« Ma mère, obtenez de votre fille qu’elle pardonne au régent. »

Hélène, implorée par la supérieure, pâlit à ce nom ; mais elle répondit :

– Oui, ma mère, je lui pardonne ! Mais c’est parce que je vais rejoindre celui qu’il a tué.

À quatre heures du soir, elle expira.

Elle avait demandé à être ensevelie à l’endroit même où Gaston détachait la barque avec laquelle il la venait voir.

Ses derniers vœux furent exaucés.

Share on Twitter Share on Facebook