X FIEZ-VOUS AUX SIGNES DE RECONNAISSANCE !

Tapin crut d’abord que c’était le chevalier Gaston de Chanlay ; mais il se trompait : ce n’était qu’une femme qui venait chercher une chopine de vin.

– Qu’est-il donc arrivé à ce pauvre monsieur Bourguignon ? dit-elle, on l’emporte dans un fiacre, en bonnet de coton.

– Hélas ! ma chère dame, dit Tapin, un malheur auquel nous étions loin de nous attendre. Ce pauvre Bourguignon, au moment où il s’y attendait le moins, en causant là, avec moi, vient d’être frappé d’une apoplexie foudroyante.

– Bonté divine !

– Hélas ! reprit Tapin en levant les yeux au ciel, cela prouve, ma pauvre chère dame, que nous sommes tous mortels.

– Mais la petite fille qu’on emmène aussi ? continua la commère.

– Elle soignera son père, c’est son devoir.

– Mais le marmiton ? reprit la voisine, qui voulait en avoir le cœur net.

– Le marmiton leur fera la cuisine, c’est son métier.

– Seigneur, mon Dieu ! j’avais vu tout cela du bas de ma porte, et je n’y comprends rien ; aussi, quoique je n’en eusse pas besoin, je venais vous acheter une chopine de blanc pour savoir à quoi m’en tenir.

– Eh bien, vous le savez, maintenant, ma chère dame.

– Mais qui êtes-vous ?

– Je suis Champagne, le cousin de Bourguignon ; j’arrivais ce matin du pays, par hasard ; je lui apportais des nouvelles de sa famille, tout à coup la joie, le saisissement : ça lui a porté un coup, et bernique ! plus personne. Tenez, demandez à Grabigeon, continua Tapin, montrant son aide de cuisine qui achevait l’omelette commencée par la fille de l’hôte et par son marmiton.

– Oh ! mon Dieu, oui, cela s’est passé exactement comme le raconte monsieur Champagne, répondit Grabigeon en essuyant une larme avec le manche de sa cuiller à pot.

– Pauvre monsieur Bourguignon ! alors vous croyez qu’il faut prier Dieu pour lui ?

– Il n’y a jamais de mal à prier Dieu, dit sentencieusement Tapin.

– Ah ! un instant, un instant, dites donc ! faites-moi bonne mesure, au moins.

Tapin fit un signe affirmatif, et servit en effet fort adroitement la voisine ; ce n’était pas chose difficile : il s’agissait purement et simplement de prodiguer le bien d’autrui. Bourguignon eût poussé des hurlements de douleur s’il eût vu la mesure que Tapin remplit à cette femme de bon vin de Mâcon, pour deux sous.

– Allons, allons, dit-elle, je vais rassurer le quartier, qui commençait à s’émouvoir, et je vous promets de vous conserver ma pratique, monsieur Champagne ; il y a même plus, si monsieur Bourguignon n’était pas votre cousin, je vous dirais ce que j’en pense.

– Oh ! dites, voisine, dites, ne vous gênez pas.

– Eh bien, je viens de m’apercevoir qu’il me volait comme un gueux. Le même pot que vous venez de m’emplir bord à bord pour deux sous, c’est à peine s’il me l’emplissait pour quatre, lui.

– Voyez-vous cela ! dit Tapin.

– Oh ! monsieur Champagne, on a beau dire, voyez-vous, s’il n’y a pas de justice ici-bas, il y en a là-haut en tout : car c’est bien heureux que vous vous soyez trouvé là pour continuer son commerce.

– Je le crois bien, dit tout bas Tapin ; – heureux pour ses clients.

Et il se hâta de congédier la femme, car il craignait de voir arriver celui que l’on attendait, et des explications pareilles pouvaient sembler suspectes au nouveau venu.

En effet, au même moment, et comme l’horloge sonnait deux heures demie, la porte de la rue s’ouvrit, et un jeune homme de haute mine entra, couvert d’un manteau bleu semé de neige.

– C’est bien ici l’auberge du Muids-d’Amour ? demanda le cavalier à Tapin.

– Oui, monsieur.

– Et monsieur le capitaine la Jonquière loge ici ?

– Oui, monsieur.

– Est-il au logis, en ce moment ?

– Oui, monsieur, il vient justement de rentrer.

– Eh bien, prévenez-le, s’il vous plaît, de l’arrivée de monsieur le chevalier Gaston de Chanlay.

Tapin s’inclina, offrit au chevalier une chaise que celui-ci refusa, et entra dans la chambre du capitaine la Jonquière.

Gaston secoua la neige attachée à ses bottes, puis celle qui mouchetait son manteau, et se mit à regarder, avec la curiosité désœuvrée de l’homme qui attend, les images qui tapissaient les murailles du cabaret, sans se douter qu’il y avait là, autour des fourneaux, trois ou quatre lames qu’un seul clignement d’yeux de cet hôte si humble et si obligeant pouvait faire passer de leurs fourreaux dans sa poitrine.

Au bout de cinq minutes, Tapin rentra, et, laissant la porte ouverte, pour indiquer le chemin :

– Monsieur le capitaine la Jonquière, dit-il, est aux ordres de monsieur le chevalier de Chanlay.

Gaston s’avança dans la chambre, parfaitement rangée et tenue avec un ordre tout militaire : dans cette chambre était celui que l’hôte lui présentait comme le capitaine la Jonquière, et, sans être un physionomiste bien exercé, il s’aperçut, ou qu’il fallait que cet homme cachât habilement son jeu, ou que ce n’était pas un bien grand matamore.

Petit, sec, le nez bourgeonnant, l’œil gris ; ballottant dans un uniforme assez râpé et qui cependant le gênait aux entournures, attaché à une épée aussi longue que lui, tel apparut à Gaston ce capitaine formidable pour lequel les instructions du marquis de Pontcalec et des autres conjurés lui recommandaient d’avoir les plus grands égards.

– Cet homme est laid et a l’air d’un sacristain, pensa Gaston.

Puis, comme cet homme s’avançait vers lui pour le recevoir :

– C’est au capitaine la Jonquière, dit-il, que j’ai l’honneur de parler ?

– À lui-même, dit Dubois métamorphosé en capitaine.

Puis, saluant à son tour :

– C’est monsieur le chevalier Gaston de Chanlay, reprit-il, qui veut bien me faire une visite ?

– Oui, monsieur, répondit Gaston.

– Vous avez les signes convenus ? demanda le faux capitaine la Jonquière.

– Voici la moitié de la pièce d’or.

– Et voici l’autre, dit Dubois.

On rapprocha les deux fragments du sequin, qui s’emboîtèrent parfaitement.

– Et maintenant, dit Gaston, voyons les deux papiers.

Gaston tira de sa poche le papier taillé de si bizarre façon, sur lequel était écrit le nom du capitaine la Jonquière.

Dubois tira aussitôt de sa poche un papier pareil, sur lequel était écrit le nom du chevalier Gaston de Chanlay ; on les mit l’un sur l’autre. Ils étaient taillés exactement sur le même patron, et les découpures intérieures se rajustaient parfaitement.

– À merveille ! dit Gaston, et maintenant le portefeuille.

Les portefeuilles de Gaston et du faux la Jonquière furent comparés, ils étaient exactement pareils, et tous deux, quoiqu’ils fussent neufs, contenaient un calendrier de l’année 1700, c’est-à-dire de dix-neuf ans antérieur à l’époque où l’on se trouvait. C’était une double précaution qui avait été prise de peur d’imitation.

Mais Dubois n’avait pas eu besoin d’imiter, il avait tout pris sur le capitaine la Jonquière ; et, avec sa diabolique sagacité et son infernal instinct, il avait tout deviné et tiré parti de tout.

– Et maintenant, monsieur ?… dit Gaston.

– Maintenant, reprit Dubois, nous pouvons causer de nos petites affaires ; n’est-ce point cela que vous voulez dire, chevalier ?

– Justement ; seulement sommes-nous en sûreté ?

– Comme si nous étions au fond d’un désert.

– Asseyons-nous donc, et causons.

– Volontiers, causons, chevalier.

Les deux hommes s’assirent de chaque côté d’une table sur laquelle il y avait une bouteille de xérès et deux verres.

Dubois en remplit un ; mais, au moment où il allait remplir l’autre, le chevalier étendit la main dessus, pour indiquer qu’il ne boirait pas.

– Peste ! dit Dubois en lui-même, il est mince et sobre, mauvais signe ; César se défiait de ces gens maigres et qui ne buvaient jamais de vin, et ces gens-là, c’étaient Brutus et Cassius.

Gaston paraissait réfléchir, et de temps en temps jetait un regard de profonde investigation sur Dubois.

Dubois sirotait son verre de vin d’Espagne à petits coups, et supportait parfaitement le regard du chevalier.

– Capitaine, dit enfin Gaston après un moment de silence, quand on entreprend, comme nous le faisons, une affaire dans laquelle on risque sa tête, il est bon, je crois, de se connaître, afin que le passé réponde de l’avenir. Montlouis, Talhouët, du Couëdic et Pontcalec sont mes introducteurs auprès de vous ; vous savez mon nom et ma condition. J’ai été élevé par un frère qui avait des motifs de haine personnelle contre le régent. Cette haine, j’en ai hérité ; il en est résulté que, lorsque, voilà bientôt trois ans, la ligue de la noblesse s’est formée en Bretagne, je suis entré dans la conjuration. Maintenant, j’ai été choisi par les conjurés bretons pour venir m’entendre avec ceux de Paris, venir recevoir les instructions du baron de Valef, qui est arrivé d’Espagne, les transmettre au duc d’Olivarès, agent de Sa Majesté Catholique à Paris, et m’assurer de son assentiment.

– Et que doit faire, dans tout cela, le capitaine la Jonquière ? demanda Dubois, comme si c’était lui qui doutât de l’identité du chevalier.

– Il doit me présenter au duc. Je suis arrivé il y a deux heures ; j’ai vu monsieur Valef tout d’abord ; enfin, je viens de me faire reconnaître à vous ; maintenant, monsieur, vous connaissez ma vie comme moi-même.

Dubois avait écouté en mimant chacune des impressions qu’il recevait, comme eût pu le faire le meilleur acteur ; puis, quand Gaston eût fini :

– Quant à moi, chevalier, dit-il en se renversant sur sa chaise avec un air plein de noble indolence, je dois avouer que mon histoire est un peu plus longue et un peu plus accidentée que la vôtre. Cependant, si vous désirez que je vous la raconte, je me ferai un devoir de vous obéir.

– Je vous ai dit, capitaine, reprit Gaston en s’inclinant, que, lorsqu’on en était où nous en sommes, une des premières nécessités de la situation était de se bien connaître.

– Eh bien ! reprit Dubois, je me nomme, comme vous le savez, le capitaine la Jonquière ; mon père était, ainsi que moi, officier d’aventure ; c’est un métier où l’on gagne beaucoup de gloire, mais où l’on amasse, en général, fort peu d’argent. Mon glorieux père mourut donc en me laissant, pour tout héritage, sa rapière et son uniforme. Je ceignis la rapière, qui était un peu longue, et j’endossai l’uniforme, qui était un peu large. C’est depuis ce temps, continua Dubois en faisant remarquer au chevalier l’ampleur de son justaucorps, que du reste le chevalier avait déjà remarqué ; c’est depuis ce temps que j’ai contracté l’habitude de ne pas être gêné dans mes mouvements.

Gaston s’inclina en signe qu’il n’avait rien à dire contre cette habitude, et que, quoiqu’il fût plus serré dans son habit que Dubois ne l’était dans le sien, il la tenait pour bonne.

– Grâce à ma bonne mine, continua Dubois, je fus reçu dans le Royal-Italien, qui, par économie d’abord, et ensuite parce que l’Italie n’était plus à nous, se recrutait, pour le moment, en France. J’y tenais donc une place fort distinguée comme anspessade, lorsque, la veille de la bataille de Malplaquet, j’eus avec mon sergent une légère altercation à propos d’un ordre qu’il me donnait du bout de sa canne en l’air, au lieu de me le donner, comme la chose était convenable, le bout de la canne en bas.

– Pardon, dit Gaston, mais je ne comprends pas bien la différence que cela pouvait faire à l’ordre qu’il vous donnait.

– Cela fit cette différence, qu’en baissant sa canne il effleura la corne de mon chapeau, lequel tomba à terre. Il résulta de cette maladresse un petit duel, dans lequel je lui insinuai mon sabre au travers du corps. Or, comme on m’eût incontestablement passé par les armes si j’avais eu la complaisance d’attendre qu’on m’arrêtât, je fis demi-tour à gauche et je me réveillai le lendemain matin, le diable m’emporte si je sais comment cela se fit ! dans le corps d’armée du prince de Marlborough.

– C’est-à-dire que vous désertâtes, reprit le chevalier en souriant.

– J’avais pour moi l’exemple de Coriolan et du grand Condé, continua Dubois, ce qui me parut une excuse suffisante aux yeux de la postérité. J’assistai donc comme acteur, je dois le dire, puisque nous avons promis de n’avoir rien de caché l’un pour l’autre ; j’assistai comme acteur à la bataille de Malplaquet ; seulement, au lieu de me trouver d’un côté du ruisseau, je me trouvai de l’autre ; au lieu de tourner le dos au village, je l’avais en face de moi. Je crois que ce changement de place fut fort heureux pour votre serviteur : le Royal-Italien laissa huit cents hommes sur le champ de bataille, ma compagnie fut écharpée, mon camarade de lit coupé en deux par un des dix-sept mille coups de canon qu’on tira dans la journée. La gloire dont feu mon régiment s’était couvert enchanta tellement l’illustre Marlborough, qu’il me fit enseigne sur le champ de bataille. Avec un tel protecteur, je devais aller loin ; mais, sa femme, lady Marlborough, que le ciel la confonde, ayant eu, comme vous le savez, la maladresse de laisser tomber une jatte d’eau sur la robe de la reine Anne, ce grand événement changea la face des choses en Europe, et dans le bouleversement qu’il amena, je me trouvai sans autre protecteur que mon mérite personnel et les ennemis qu’il m’avait faits.

– Et que devîntes-vous alors ? demanda Gaston, qui prenait un certain intérêt à la vie aventureuse du prétendu capitaine.

– Que voulez-vous ! cet isolement me conduisit, bien malgré moi, à demander du service à Sa Majesté Catholique, laquelle, en son honneur, je dois le dire, accéda gracieusement à ma demande. Au bout de trois ans, j’étais capitaine ; mais, sur une solde de trente réaux par jour, on nous en retenait vingt, tout en nous faisant valoir l’honneur infini que nous faisait le roi d’Espagne en nous empruntant notre argent. Comme ce mode de placement ne me paraissait pas présenter la sécurité nécessaire, je demandai à mon colonel la permission de quitter le service de Sa Majesté Catholique et de revenir dans ma belle patrie, le tout accompagné d’une recommandation quelconque, afin que l’on ne m’inquiétât point par trop à l’endroit de mon affaire de Malplaquet. Le colonel m’adressa alors à Son Excellence le prince de Cellamarre, lequel ayant reconnu en moi une certaine disposition naturelle à obéir aux ordres qu’on me donne sans les discuter jamais, lorsqu’ils me sont donnés d’une façon convenable et accompagnés d’une certaine musique, allait m’employer activement dans la fameuse conspiration à laquelle il a donné son nom ; lorsque tout à coup l’affaire manqua, comme vous le savez, par la double dénonciation de la Fillon et d’un misérable écrivain nommé Buvat. Mais, comme Son Altesse pensa fort judicieusement que ce qui était différé n’était pas perdu, il me recommanda à son successeur, auquel j’espère que mes petits services pourront être de quelque utilité, et que je remercie de tout mon cœur de m’avoir offert cette occasion de faire la connaissance d’un cavalier aussi accompli que vous. Faites donc état de moi, chevalier, comme de votre très-humble et très-obéissant serviteur.

– Ma demande se bornera, capitaine, répondit Gaston, à vous prier de me présenter au duc, le seul à qui mes instructions me permettent de m’ouvrir, et à qui je dois rendre les dépêches du baron de Valef. Je suivrai donc à la lettre mes instructions, et vous prierai, capitaine, de me présenter à Son Excellence.

– Aujourd’hui même, monsieur, dit Dubois, qui paraissait avoir pris sa résolution ; dans une heure, si vous le voulez ; dans dix minutes, si c’est nécessaire.

– Le plus tôt possible.

– Écoutez, dit Dubois, je me suis un peu avancé quand je vous ai dit que je vous ferais voir Son Excellence dans une heure. À Paris, on n’est sûr de rien ; peut-être n’est-il pas prévenu de votre arrivée, peut-être ne vous attend-il pas, peut-être ne le trouverai-je pas chez lui.

– Je comprends cela, j’aurai patience.

– Peut-être enfin, continua Dubois, serai-je empêché de venir vous reprendre.

– Pourquoi cela ?

– Pourquoi cela ? Peste ! chevalier, on voit bien que vous en êtes à votre premier voyage à Paris.

– Que voulez-vous dire ?

– Je veux dire, monsieur, qu’il y a, à Paris, trois polices, toutes différentes, toutes distinctes, et qui, cependant, s’entre-croisent et se réunissent quand il s’agit de tourmenter les honnêtes gens qui ne demandent pas autre chose que le renversement de ce qui est, pour y mettre ce qui n’est pas : 1° La police du régent, qui n’est pas bien à craindre ; 2° Celle de messire Voyer-d’Argenson. Heu ! celui-là, il a ses jours, ceux où il est de mauvaise humeur, quand il a été mal gratté au couvent de la Madelaine du Tresnel ; 3° Il y a celle de Dubois… Ah celle-là, c’est autre chose… Maître Dubois est un grand…

– Un grand misérable ! reprit Gaston. Vous ne m’apprenez rien là de nouveau, je le sais.

Dubois s’inclina avec son fatal sourire de singe.

– Eh bien, pour échapper à ces trois polices ?… dit Gaston.

– Il faut beaucoup de prudence, chevalier…

– Instruisez-moi, alors, capitaine ; car vous paraissez plus au courant que moi. Moi, je vous l’ai dit, je suis un provincial, et pas autre chose.

– Eh bien, d’abord, il serait important que nous ne logeassions pas dans le même hôtel.

– Diable ! répondit Gaston, qui se rappelait l’adresse donnée à Hélène, voilà qui me contrarie ; j’avais des raisons pour désirer rester ici…

– Qu’à cela ne tienne, chevalier, c’est moi qui déménagerai… Prenez une de mes deux chambres : celle-ci ou celle du premier.

– Je préfère celle-ci.

– Vous avez raison : au rez-de-chaussée, fenêtre sur une rue, porte secrète sur l’autre. Allons, allons, vous avez de l’œil, et l’on fera quelque chose de vous.

– Revenons à notre affaire, dit le chevalier.

– Oui, c’est juste… Que disais-je ?

– Vous disiez que vous seriez peut-être empêché de venir me prendre vous-même.

– Oui ; mais, en ce cas, faites bien attention de ne suivre celui qui viendra vous chercher qu’à bonne enseigne.

– Dites-moi à quels signes je pourrai reconnaître qu’il vient de votre part.

– D’abord, il faut qu’il ait une lettre de moi.

– Je ne connais pas votre écriture.

– C’est juste ; et je vais vous en donner un spécimen.

Dubois se mit à une table et écrivit les quelques lignes suivantes :

« Monsieur le chevalier,

« Suivez avec confiance l’homme qui vous remettra ce billet ; il est chargé par moi de vous conduire dans la maison où vous attendent M. le duc d’Olivarès et le capitaine la Jonquière. »

– Tenez, continua-t-il en lui remettant le billet ; si quelqu’un venait en mon nom, il vous remettrait un autographe pareil à celui-ci.

– Serait-ce assez !…

– Ce n’est jamais assez. Outre l’autographe, il vous montrera la moitié de la pièce d’or, et, à la porte de la maison où il vous conduira, vous lui demanderiez encore le troisième signe de reconnaissance.

– Qui serait ?…

– Qui serait le papier.

– C’est bien, dit Gaston. Avec ces précautions, c’est bien le diable si nous nous laissons prendre. Ainsi, maintenant, qu’ai-je à faire ?

– Maintenant, attendez. Vous ne comptez pas sortir aujourd’hui ?

– Non.

– Eh bien, tenez-vous coi et couvert dans cet hôtel, où rien ne vous manquera. Je vais vous recommander à l’hôte.

– Merci.

– Mon cher monsieur Champagne, dit, en ouvrant la porte, la Jonquière à Tapin, voici le chevalier de Chanlay qui reprend ma chambre ; je vous le recommande comme moi-même.

Puis, en la refermant :

– Ce garçon-là vaut son pesant d’or, monsieur Tapin, dit Dubois à demi-voix. Que ni vous ni vos gens ne le perdent donc un instant de vue ; vous m’en répondez sur votre tête.

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