Cours de philosophie

Qu’est ce que la philosophie ? Le mot est fréquemment employé. Par cela même, il donne une idée grossière, mais simple de ce qu’il signifie. Philosopher, c’est réfléchir sur un ensemble de faits pour en tirer des généralités. Philosophie, en un mot, veut dire réflexion et généralisation. C’est ainsi que l’on dit : la philosophie de l’art, la philosophie de l’histoire.

En examinant la forme de la philosophie, le genre de réflexion qui lui convient, ce qu’on appelle : l’esprit philosophique, on voit qu’on peut le définir ainsi : il consiste dans le besoin de se rendre compte de toutes ses opinions, jointe à une force d’intelligence suffisante pour satisfaire plus ou moins ce besoin. La qualité caractéristique de l’esprit philosophique est la libre réflexion, le libre examen. Réfléchir librement, c’est se soustraire quand on réfléchit à toute influence étrangère à la logique. C’est raisonner en ne reconnaissant d’autres autorités que les règles de cette science et les lumières de la raison.

Les deux caractères principaux de l’esprit philosophique sont donc la tendance à réfléchir pour généraliser et la liberté dans la réflexion.

De cette dernière condition s’ensuit nécessairement qu’on ne saurait confondre la philosophie avec les religions. La religion admet, outre le témoignage de la raison, l’autorité de la tradition historique. La philosophie ne connaît que les questions et les solutions relevant de la seule raison. Leurs domaines sont donc nettement distincts.

En étudiant les divers systèmes des philosophes, on s’aperçoit que la réflexion philosophique a, suivant les temps et les circonstances, procédé de deux manières différentes. En d’autres termes, il y a deux formes d’esprit philosophique. Tantôt il procède par analyse ; il se rapproche alors de la méthode mathématique. Ce genre d’esprit consiste à prendre pour point de départ du système une idée évidente ou admise comme telle, et d’y rattacher toutes les idées secondaires de manière à former une série ininterrompue ; tirant de la première idée une seconde, de cette seconde une troisième, et ainsi de suite ; de telle sorte que la première étant admise, toutes les autres en sortent sans solution de continuité. C’est en cela, par exemple, que consiste l’esprit cartésien.

L’autre forme de l’esprit philosophique est synthétique, et laisse une place bien plus grande à l’inspiration et à l’imagination. Sans avoir besoin d’ordre mathématique, les esprits de ce genre voient les faits dans leur ensemble, et s’y attachent spécialement. Ils préfèrent les vastes hypothèses qui groupent les faits à l’analyse qui les dissèque. Au lieu de classer leur idées en séries, ils en font un ensemble qu’on puisse embrasser d’un coup d’œil. Tel, est par exemple, l’esprit platonicien. [En marge de ce paragraphe : « non sens philosophiques » ].

Nous connaissons maintenant la forme, l’extérieur de la philosophie. Reste à la définir par son objet. On a proposé diverses définitions.

Bossuet dit : « La philosophie est la science de l’homme et de Dieu. » — Cicéron la définit : « La science des choses divines et humaines. » — Aristote : « la science des premières causes et des premiers principes. » — On a dit enfin : « La philosophie est la science de l’absolu. »

On peut faire voir que toutes ces définitions reviennent au même. Il faut d’abord pour cela définir « absolu. » On appelle absolu ce qui est par soi-même, ce qui ne dépend de rien, ce qui est sans relation aucune. L’absolu serait indépendant de l’espace et du temps.

Sachant cela, montrons que toutes ces définitions donnent pour objet à la philosophie l’absolu. En effet, la première cause c’est l’être ou les êtres d’où vient toute la réalité. Le premier principe, c’est la loi la plus générale qui a présidé à ce développement. Rechercher la première cause et le premier principe, c’est rechercher le primitif, l’absolu, tant dans le monde de la connaissance que dans celui de l’existence. Or, dans le premier, quel est l’absolu ? C’est l’esprit de l’homme. Dans le second ? C’est Dieu. Toutes ces définitions viennent donc à celle-ci : La philosophie est la science de l’absolu.

Voici maintenant à quelles objections cette définition est exposée.

Elle assigne pour but à la philosophie ce qui n’en est que le dernier mot, la dernière hypothèse, nécessaire peut-être pour donner la raison de certains faits, mais qui ne saurait en tout cas être prise pour point de départ. L’absolu n’est évidemment pas ce que l’on recherche en commençant la philosophie, on n’a dès lors aucune raison de le faire figurer dans la définition de la philosophie.

Il y a d’ailleurs des systèmes philosophiques importants, le positivisme par exemple, qui n’admettent pas l’existence de l’absolu. On ne saurait exclure de la philosophie des systèmes qui agitent les mêmes questions que les autres et n’en différent que par la manière de les résoudre. On ne saurait donner pour objet à la philosophie une chose dont l’existence même est en question.

Comment donc définir la philosophie ?

Quand on considère les faits dont s’occupe cette science, on voit que ce sont tous des phénomènes ayant trait à l’homme, et, dans l’homme, à ce qui n’a rien de physique, à ce que n’étudient en aucune façon les sciences positives. Le domaine de la philosophie est l’homme intérieur.

De quoi se compose l’homme intérieur ? De faits qui ne tombent point sous les sens, mais nous sont connus par une sorte de sens intime qu’on nomme conscience.

La perception de ces faits modifie la conscience comme la perception matérielle modifie les sens qui lui sont soumis. Aussi désigne-t-on ces faits sous le nom d’états de conscience.

La philosophie est donc la science des états de conscience.

Mais cela ne suffit pas. Les faits psychologiques qu’on appelle états de conscience sont relatifs, au moins par rapport au temps. Dès lors, la philosophie, par sa définition serait enfermée dans le domaine du relatif. L’étude de l’absolu en serait exclue. La métaphysique, imposée à tort par les définitions ci-dessus étudiées, serait, à tort également, interdite par celle-ci.

Il faut donc la modifier ainsi : « La philosophie est la science des états de conscience et de leurs conditions. »

Cette définition convient à tous les systèmes. L’absolu est-il, n’est-il pas une des conditions des états de conscience ? La chose reste à étudier ultérieurement. Mais en tout cas, la définition que nous venons de donner autorise la philosophie à s’en occuper si elle juge cette hypothèse nécessaire.

Le but de la philosophie est maintenant déterminé : c’est l’étude des états de conscience et de leurs conditions. Mais comment la philosophie procédera-t-elle à cette étude ? En un mot, quelle sera sa méthode ? Cela reste encore à déterminer.

Les différents systèmes ont fait à cette question différentes réponses. De nos jours s’est formée une école, l’école éclectique, qui soutient que la meilleure méthode serait de concilier les différents systèmes. Cette école, qui sans être encore organisée, avait été déjà représentée dans l’antiquité par la Nouvelle-Académie et par Cicéron, dans les temps modernes par Leibniz qui en recommande souvent le procédé principal, cette école n’est arrivée à une organisation définitive qu’avec Victor Cousin. Ce célèbre philosophe en a donné les principes et la méthode, qui d’ailleurs n’a jamais encore été employée d’une manière suivie.

Voici en quoi consiste la théorie éclectique.

Suivant Cousin, la vérité n’est plus à chercher. Elle est trouvée. Seulement, elle est disséminée dans les différents systèmes philosophiques parus jusqu’à présent. Il n’y a donc qu’à extraire de partout où ils se trouvent, ces fragments de vérité épars et mêlés à l’erreur, et à les réunir pour en former un système dont les doctrines seront la vérité même.

Mais où trouver le critérium permettant de distinguer la vérité de l’erreur ? Selon Cousin, les systèmes n’ont tous pêché que par étroitesse d’esprit, par trop grand exclusivisme. Quand ils affirment, ils disent vrai. Quand ils nient, ils se trompent. Les idéalistes disent que l’esprit est l’unique agent de la connaissance. Les sensualistes affirment qu’elle vient uniquement de la sensation. Ce sont seulement, pensent les éclectiques, les mots : unique, uniquement qui font l’erreur. La connaissance provient à la fois des sens et de l’esprit.

Ce système, qui semble se recommander au premier abord, par la largeur de ses vues, est soumis à bien des objections : sans compter que, par son principe même, il nie le progrès futur de la science philosophique, le critérium proposé est vague ; où placer la limite exacte qui séparé dans les systèmes l’affirmation de la négation ? Il y a bien des cas où cette division ne pourrait être faite qu’arbitrairement. Aussi les éclectiques proposent-ils un second critérium, le sens commun. Ce critérium, de leur propre aveu, dérive du premier : si les solutions du sens commun sont supérieures à celles de la philosophie, c’est, disent-ils, parce qu’elles sont plus larges : « Si le sens commun, » dit Jouffroy, « n’adopte pas les systèmes des philosophes, ce n’est pas que les systèmes disent une chose et le sens commun une autre, c’est que les systèmes disent moins et le sens commun davantage. Pénétrez au fond de toutes les opinions philosophiques, vous y découvriez toujours un élément’positif’que le sens commun adopte et par lequel elles se rallient à la conscience du genre humain. » On peut remarquer dans ce passage le mot positif, qui marque bien les rapports des deux critériums proposés.

Cette méthode soumet donc entièrement la philosophie au sens commun. Or, le sens commun n’a aucune rigueur philosophique. Il ne s’est pas formé d’après les règles de la logique ; il se compose des opinions qui se sont développés sous les mille influences du caractère du climat, de l’éducation, de l’hérédité, de l’habitude. Le sens commun est inconscient : le sens commun n’est donc qu’un ensemble de préjugés.

L’opinion de sens commun est nécessaire à l’homme pour se guider dans les circonstances ordinaires de la vie. C’est même là ce qui le distingue surtout de la philosophie : le sens commun est avant tout pratique, le propre de la philosophie au contraire est la spéculation. Par là même, le sens commun est sans cesse cause d’erreur : à Galilée affirmant le mouvement propre de la terre où objectait le sens commun qui en reconnaissait l’immobilité. Donc comme critérium philosophique, le sens commun doit être absolument rejeté.

Est-ce à dire qu’il n’en faille pas tenir compte ? Du tout. Le sens commun doit être respecté comme un fait, qui a ses raisons d’exister. On peut se mettre en contradiction avec lui, mais à la condition expresse de démontrer comment s’est formée et s’est répandue l’erreur commune. Si le sens commun contredit une hypothèse, c’est qu’il y a des raisons à cela ; et fut elle très solidement établie sur tous les autres faits cette hypothèse gardera un certain manque de fermeté, si elle ne peut expliquer ces raisons qui ont égaré l’opinion du vulgaire.

Il y a contre l’éclectisme une seconde objection. Le sens commun est large. Il pourra fort bien, dans différents systèmes admettre comme ne lui répugnant pas, des solutions contradictoires, et alors qui décidera en dernier ressort ? Et quand même cela ne se produisait pas, comment des pièces, des lambeaux de philosophie déchirés ça et là, pourrait-on faire un système un, solide, et bien ajusté ? Les différentes théories qui le composeront n’étaient pas faites les unes pour les autres : ce sera donc encore tout un travail que de les réunir, travail pour lequel la méthode n’est même pas encore fixée. L’éclectisme ne saurait donc être un système bien construit, sur un plan fixe : et la preuve en est dans ce fait même que ses critériums ont bien pu servir à trancher des questions particulières mais que Cousin lui-même n’a jamais tenté de bâtir avec eux une philosophie complète.

Puisque l’éclectisme ne donne pas la vraie méthode de la philosophie, où la trouverons-nous donc ?

Une autre école, l’école idéaliste, propose la méthode déductive ou a priori. Il faut chercher, dit-elle, l’idée la plus générale, l’idée première d’où dépendent toutes les autres, et de même que des définitions qu’il fait accepter en commençant, le mathématicien déduit tout le reste, en faisant voir que tout est contenu dans la définition primordiale, de même de cette idée première le philosophe doit tirer toutes les autres, qui y sont contenues. — Spinosa a donné l’exemple le plus frappant de cette méthode. Son ouvrage est écrit avec tout l’appareil mathématique : définitions, théorèmes, corollaires, etc. La méthode a été reprise depuis par Fichte, Schelling, Hegel. Mais ces divers philosophes n’ont plus employé la forme mathématique de Spinosa.

Cette méthode a un grave défaut. C’est de mettre l’expérience absolument en dehors de la méthode philosophique. Dans les sciences, il faut expliquer des faits donnés, non inventer une série d’idées se déroulant et se déduisant les unes des autres sans s’inquiéter si elles cadrent avec la réalité.

La méthode déductive peut convenir au mathématicien, qui travaille sur des figures idéales qui peuvent indifféremment avoir ou n’avoir point d’existence en dehors de l’esprit. Mais c’est de toute autre façon que travaille le philosophe. Il étudie des états de conscience qui sont des faits. Les faits ne s’inventent pas. Il faut les observer et les étudier. La méthode idéaliste qui prétend supprimer les faits et raisonner à leur propos, mais sans se soucier de les étudier, doit donc être écartée comme trop exclusive.

La critique de la méthode déductive nous montre que l’étude des faits eux-mêmes est nécessaire à la philosophie. Mais fait elle toute la philosophie ? La méthode qui prétendrait que toute connaissance provient des sens serait elle plus légitime que celle qui fait provenir toute connaissance de l’esprit ?

L’école empirique le croit. La philosophie, selon elle, doit se contenter d’observer les phénomènes, de les classer, et de les généraliser. Elle doit se confiner dans cette étude et dégager seulement les lois générales qui régissent les phénomènes.

On ne saurait admettre des conclusions aussi absolues. La philosophie est une science, et il n’est pas de vraie science, cherchant à expliquer son objet, qui puisse vivre uniquement d’observation. Ce procédé par lui même est, sinon absolument stérile, du moins peu fécond. L’observation n’est que la constatation des faits : la généralisation qui en est le complément nécessaire ne fait que dégager des phénomènes leur caractère commun. Encore faut-il que ces caractères soient très apparents, et [phrase illisible] des lois très simples. L’observation montre que les corps sont pesants, mais elle ne saurait donner la loi de la gravitation. Sitôt que les faits deviennent tant soit peu complexes, l’observation ne peut plus suffire à trouver la loi. Il faut donc que l’esprit intervienne et fasse pour la trouver ce qu’on appelle une hypothèse.

Ceci nous amène à la véritable méthode philosophique : cette loi que l’observation ne pouvait trouver, l’esprit l’invente, en fait une hypothèse. Cette hypothèse faite, pour lui donner force de loi, il faut la vérifier : c’est là que se produit l’opération caractéristique de cette méthode : l’expérimentation. Expérimenter, c’est observer pour contrôler une idée préconçue, s’assurer si les faits confirment ou non la supposition de l’esprit. Si oui, si les faits se produisent tous comme ils le doivent faire dans l’hypothèse étudiée, si surtout elle fait découvrir de nouveaux faits encore inconnus, elle voit sans cesse diminuer son caractère hypothétique [phrase illisible]. Mais elle ne perd jamais entièrement ce caractère : il est clair en effet que tous les phénomènes qui s’y rapportent ne sont pas observés, et il suffirait qu’un seul contredit l’hypothèse pour nécessiter son changement. — Au reste, toutes les science qui expliquent leur objet précédent ainsi, et ce sont les hypothèses qui ont fait faire à la sciences les plus grands pas (hypothèse de la gravitation, des fluides électriques, etc).

La véritable méthode philosophique est donc la méthode expérimentale qui comprend trois parties :

1. observation, classement et généralisation des faits

2. invention d’hypothèses

3. vérification par l’expérimentation des hypothèses inventées

Cette méthode tient le milieu entre les méthodes déductive et empirique. D’après les idéalistes, l’esprit est tout. D’après les empiriques, l’observation est tout. La méthode expérimentale, contrairement aux idéalistes, commence par observer. Contrairement aux empiriques, elle invente ensuite une loi que l’esprit tire de lui même, et qu’elle vérifie ensuite encore une fois par les faits. A ceux-ci appartiennent donc le premier et le dernier mot, mais l’esprit est l’âme de la méthode. C’est l’esprit qui crée, qui invente, mais à condition de toujours respecter les faits.

On a souvent agité la question de savoir si la philosophie était une science, dans quelle mesure elle en était une, et quels étaient ses rapports avec les autres sciences. Pour en trouver la solution, il faut d'abord définir la science. Au premier coup d'oeil la science nous apparaît comme un système de connaissances. Mais ce système a un ordre spécial qu'il faut déterminer. Pour y arriver, voyons quel est le but de la science. Elle a un double but: D'une part elle doit satisfaire un besoin de l'esprit; de l'autre, elle est destinée à faciliter et à améliorer la pratique. Ce besoin de l'esprit c'est l'instinct de curiosité, la passion de savoir. Enfin la science a toujours sinon pour but, du moins pour résultat, d'améliorer les conditions matérielles de l'existence, par cela même qu'elle facilite et améliore la pratique en expliquant la théorie.

Elle atteint ce double but par un seul moyen, l'explication. En expliquant les choses, la raison satisfait de la manière la plus complète et la plus parfaite possible l'instinct de curiosité. Savoir que les faits existent est un premier plaisir, mais savoir pourquoi ils existent, les comprendre, c'est là une satisfaction d'ordre supérieur. On peut se representer la science comme une lutte entre l'intelligence et les choses. Suivant que l'intelligence est victorieuse ou vaincue, elle est satisfaite ou elle souffre. Elle est surtout heureuse quand elle peut saisir tout entière la chose qu'elle examine, la comprendre, la faire sienne pour ainsi dire. C'est là l'idéal de l'explication. Ainsi expliquer est le meilleur moyen de satisfaire l'instinct de curiosité. C'est aussi le meilleur moyen d'atteindre le second but de la science en rendant les choses plus facilement utilisables. Quand nous connaissons une chose à fond, nous pouvons beaucoup mieux et beaucoup plus utilement nous en servir que si nous connaissons uniquement son existence. Par cela même que la chose expliquée et comprise est devenue [mot illisible] nous nous en servons beaucoup mieux que d'une chose étrangère. Tandis que la chaleur, par exemple, dont on connaît bien les lois, a donné naissance aux applications les plus utiles, on ne retire que peu d'utilité de l'électricité dont on ne connaît ni la nature ni les véritables lois et dont l'emploi est presque entièrement empirique.

Ainsi donc, le meilleur moyen d'arriver à son but pour la science étant d'expliquer, on peut dire: l'objet de la science est d'expliquer.

Mais il y a deux formes de sciences et deux manières d'expliquer. Les mathématiques expliquent en démontrant, c'est à dire en faisant voir que le théorème à prouver est compris dans un autre déjà prouvé, qu'énoncer l'un, c'est énoncer l'autre, que l'un, en un mot, est identique à l'autre. De montrer mathématiquement, c'est donc établir une identité entre le connu et le cherché. Donc, les mathématiques expliquent au moyen de rapports d'identité. Comment démontre-t-on que les trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits? En faisant voir que dire:

1. que les angles alternés, internes et correspondants sont égaux et;

2. que la somme des angles faits autour d'un point du même côté d'une droite, valent deux droits; et

3. dire que la somme des angles d'un triangle vaut deux droits, c'est la même chose.

Or, les deux premières propositions étant vraies, il s'ensuit nécessairement que la troisième, qui leur est identique, est vraie aussi.

Les sciences physiques expliquent autrement: ce ne sont plus des rapports d'identité, mais des rapport de causalité qu'elles établissent. Tant qu'on ne voit pas la cause d'un fait, il est inexpliqué, et l'esprit n'est pas satisfait. On en fait voir la cause, et aussitôt l'esprit est satisfait le fait est expliqué.

On peut donc généraliser et dire: l'objet de la science est d'établir des rapports rationnels - rapports d'identité ou de causalité - puisque nous avons établi qu'elle avait pour but d'expliquer, et qu'expliquer, c'était établir entre les choses des rapports d'identité ou de causalité.

Connaissant tout cela, voyons quelles conditions doit remplir un système de connaissances pour mériter d'être appelé science.

Il faut avant tout qu'il ait un objet propre à expliquer, que cet objet ne se confonde avec celui d'aucune autre science, et qu'il soit bien déterminé. Comment expliquer, alors que la chose à expliquer n'est pas définie?

En second lieu, il faut que cet objet soit soumis soit à la loi d'identité, soit à celle de causalité, sans quoi il n'y a pas d'explication possible et par conséquent, pas de science.

Mais ces deux premières conditions ne suffisent pas: en effet, pour pouvoir expliquer un objet, il faut qu'il nous soit accessible de quelque façon. S'il nous était inaccessible, nous ne pourrions en faire la science. Le ou les moyens dont doit disposer l'esprit pour pouvoir aborder l'étude de cet objet composent la méthode. La troisième condition à remplir pour une science c'est donc d'avoir une méthode pour étudier l'objet.

Au moyens de ces principes, examinons maintenant si la philosophie est une science.

Elle a un objet propre, bien défini et dont ne s'occupe aucune autre science: les états de conscience. La première condition est donc remplie. - Les faits qui constituent son objet sont soumis à des rapports rationnels: l'on ne saurait prétendre que les états de conscience échappent à la loi de la causalité. La seconde condition est donc également remplie. - Enfin, la philosophie a sa méthode, la méthode expérimentale: elle remplit donc les trois conditions nécessaires à obtenir le titre de science et peut-être à juste titre regardée comme une science.

La philosophie étant reconnue pour une science, quels sont les rapports avec les autres sciences?

A l'origine de la spéculation, les philosophes, par excès de confiance, ont cru que cette science comprenait toutes les autres, que la philosophie, à elle seule, menait à la connaissance universelle. Les sciences ne seraient dès lors que des parties, des chapitres de la philosophie.

La définition de la philosophie et la preuve de ses droits au titre de science distincte suffisent à montrer que cette théorie ne saurait être admise.

De nos jours s'est produite une autre idée: on a soutenu que la philosophie n'avait pas d'existence propre et n'était que le dernier chapitre des sciences positives, la synthèse de leurs principes les plus généraux: telle était, par exemple, la pensé d'Auguste Comte.

Il n'y a qu'à invoquer - encore la définition de la philosophie pour réfuter cette théorie. La philosophie à son objet propre, les états de conscience, objet indépendant de celui de toutes les autres sciences. Là, elle est chez elle, elle est indépendante, et si pour expliquer son objet elle peut emprunter aux autres sciences, elle ne se confond en tout cas avec aucune d'elles et n'en reste pas moins une science distincte au milieu des autres sciences.

Quels sont donc les rapports de la philosophie avec ces autres sciences? - Il y en a de deux espèces: les rapports généraux, qui sont les mêmes avec toutes les sciences; les rapports particuliers, qui sont différents pour chaque science particulière.

Examinons d'abord les rapports généraux. Les objets qu'étudient les différentes sciences positives n'existent pour nous qu'en tant qu'ils sont connus. Or, la science qui étudie les lois de la connaissance, c'est la philosophie. Elle se trouve donc ainsi placer au centre auquel viennent converger toutes les sciences, parce que l'esprit lui-même est placée au centre du monde de la connaissance. Supposons par exemple que la philosophie décide que l'esprit humain, comme le pensait Kant, n'a pas de valeur objective, c'est à dire ne peut pas atteindre les objets réel, voilà toutes les sciences condamnées par là même à être uniquement subjectives.

Passons au rapports particuliers. Ils sont de deux sortes: la philosophie reçoit des autres sciences et leur donne.

La philosophie emprunte aux autres sciences un grand nombre de faits sur lesquels elle réfléchit et qui servent à faciliter l'explication de son objet. Par exemple, il est impossible de faire de la psychologie sans avoir recours aux enseignements de la physiologie. Quand on spécule sur les phénomènes extérieurs il faut bien prendre pour base des raisonnements que l'on fait les données de la physique et de la chimie.

D'autre part, pour se fonder et se construire les différentes sciences emploient différents moyens, suivant ce qu'elles ont à expliquer: les mathématiques ont la déduction; la physique, l'induction; l'histoire naturelle, la classification. Mais qui étudie ces procédés? C'est la philosophie. Elle en fait la théorie, elle voit à quelles conditions ils doivent être soumis pour donner des résultats justes. Dès lors, elle se demande comment ces différents procédés doivent être différemment combinés pour étudier les différents objets des différents sciences. Elle cherche en un mot quelle est la meilleure méthode pour chaque science particulière. C'est même là le sujet d'une importante partie de la logique qu'on appelle Méthodologie.

Tels sont les rapports de la philosophie et des différentes sciences qui l'avoisinent.


Connaissant l'objet de la philosophie, nous prévoyons facilement que cet objet sera complexe: les états de conscience représentent des phénomènes de genres bien différents les uns des autres: pour en étudier l'ensemble il faudra donc plusieurs divisions de la science philosophique, plusieurs sciences particulières qu'il faut distinguer et classer.

Ces divisions ont beaucoup varié avec les différents systèmes, et c'est bien naturel, car elles dépendent très étroitement de l'esprit général du système. A l'origine de la spéculation grecque, la philosophie n'est pas divisée. Elle est l'ensemble des connaissances humaines intérieures et extérieures. Elle se confond avec la physique et jusqu'à Socrate, tous les traités philosophiques portent le titre: [Greek phrase] On ne sait si Socrate divisait la philosophie, ni comment il la divisait. Platon, qui nous a surtout fait connaître la philosophie de son maître, ne divise pas. Il est donc peu probable que Socrate le fit. La philosophie est synthétique. Il n'expose pas une partie bien distincte de son système dans chaque dialogue: ces oeuvres contiennent l'étude de questions diverses, qui semblent n'avoir d'autre liaison que les hasards de la conversation.

Aristote le premier a nettement divisé la philosophie: Il y voit trois sciences bien distinctes: "Toute l'activité humaine, dit-il, se manifeste sous trois formes différentes, savoir, agir, faire [écrit au-dessus du mot "faire" est écrit le mot "créer." Il suit trois mots grecs.] De là trois sciences: La théorétique qui a pour objet la spéculation; la pratique, qui se définit par son nom même; elle équivaut à ce qu'on appelle aujourd'hui la morale; enfin la poétique, qui a l'art pour objet."

Après Aristote, cette division tombe en désuétude. A mesure qu'elle tend à disparaître, elle est remplacée par une autre qu'acceptent également les deux grandes écoles philosophiques d'alors, l'epicurisme et le stoïcisme. Voici cette division; elle comprend comme l'autre, trois parties. La physique science de la nature extérieure; la logique science des lois de l'esprit et de la connaissance; l'éthique ou morale.

Descartes, dans ces ouvrages, n'a jamais suivi de division bien stricte de la philosophie. Il y a pourtant chez lui une tentative de division, division plutôt de l'ensemble des connaissances humaines que de la seule philosophie: "Toute la philosophie est comme un arbre dont les racines sont la métaphysique. Le tronc est la physique et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences qui se réduisent à trois principales: la médecine, la mécanique et la morale."

Toutes ces divisions ne peuvent cadrer avec la définition de la philosophie que nous avons établie, car elles embrassent un champs plus vaste que celui de la philosophie.

Depuis V. Cousin, une nouvelle division s'est établie qui a prévalu et qui divise la philosophie en quatre parties: Psychologie. Logique. Morale. Métaphysique. Cette division est de toutes la plus simple; c'est aussi la meilleure, et nous l'adopterons.

En effet, la définition de la philosophie comprend deux parties: les états de conscience et leurs conditions. Il faudra donc au moins déjà une division de la philosophie correspondant à chacune d'elles.

Mais les états de conscience ne peuvent être étudiés par une seule science. Il est nécessaire d'abord d'en déterminer les types importants, de connaître les espèces et les propriétés de chacun d'eux. Il y a donc d'abord place au commencement de la philosophie, pour une étude descriptive des états de conscience, science ayant pour but de les énumérer et de les réduire à leurs types principaux.

Cet inventaire fait, il faut étudier les états de conscience à un autre point de vue. Il en est une espèce, qui constitue la vie intellectuelle ou intelligence. Cette intelligence est faite pour aller à la vérité. Les règles auxquelles elle doit se soumettre pour ne pas se tromper forment la seconde partie de la philosophie, qu'on appelle la logique. La logique se distingue de la psychologie en ce qu'elle étudie non tous les états de conscience, mais quelques-uns et que, tandis que la psychologie ne fait que décrire, la logique explique les lois de la connaissance.

Il y a une autre catégorie de faits, qui ont entré eux des caractères communs de diverses sortes, et dont l'ensemble constitue l'activité. Il y aura lieu de se poser la question: Comment, à quelles conditions, l'activité fera ce qu'elle doit faire? Quelles sont les lois auxquelles elle doit être soumise?

C'est l'objet de la morale. Cette science, par son objet, est bien distincte de la logique et de la psychologie.

Restent enfin les conditions des états de conscience. Ces conditions font l'objet de la métaphysique.

Ces diverses parties de la philosophie devront être traitées dans l'ordre où nous venons de les exposer. Il est bien clair qu'avant d'étudier les états de conscience en détail, il faut en voir l'ensemble, et les décrire avant de les expliquer. La psychologie doit donc nécessairement être étudiée la première.

De même la métaphysique doit être étudiée la dernière: pour pouvoir examiner les conditions des états de conscience il faut les connaître entièrement, ce qui est l'objet des trois autres divisions de la philosophie.

Quant à la logique, qui reste encore, elle doit être placée avant la morale. En effet, elle traite les questions les plus importantes de toutes, et l'on ne peut bien raisonner qu'en connaissant les lois du raisonnement. Aussi faudrait-il, si possible, la placer la première de toutes. Mais comme on ne peut le faire, la psychologie ayant nécessairement la première place, il faut au moins lui donner la place la plus rapprochée possible de la première, et pour cela par conséquent la placer avant la morale.

Nous avons donc à étudier quatre sciences dans la philosophie:

1. la psychologie

2. la logique

3. la morale

4. la métaphysique


Nous avons déjà défini l'objet de la psychologie: décrire les états de conscience et les réduire à un certain nombre de types généraux.

Mais les phénomènes qu'étudie la psychologie ont de fréquentes relations avec d'autres phénomènes dont il faut les distinguer. Sans se demander si le principe intellectuel est matériel ou non, on constate que le corps a d'étroits rapports avec l'âme. On peut presque dire que rien ne s'y passe qui n'ait son écho dans l'âme. Le fait d'ailleurs est réciproque. A cause de ces rapports, il faut déterminer avec exactitude les limites des domaines de la physiologie et de la psychologie.

Les faits physiologiques sont:

1. des phénomènes qui ont lieu dans l'espace, qui occupent une certaine partie de l'étendue, qui peuvent tous se réduire à des mouvements. Aussi peut-on les exprimer par des figures: pour dessiner un mouvement nerveux, il suffira d'avoir bien saisi ses différentes phases.

2. Les faits physiologiques se passant dans l'espace, peuvent être mesurés. On peut estimer mathématiquement la quantité d'étendue qu'ils occupent.

3. Les faits physiologiques sont inconscients: Sans doute nous avons conscience de leur résultat quand il aboutit dans l'âme, mais non du fait physiologique lui-même. Nous n'avons pas conscience des mouvements qui se produisent entre une partie de notre corps blessée et l'âme, nous n'en connaissons que le résultat, la douleur.

4. Enfin, nous ne nous attribuons pas les phénomènes physiologiques, nous ne les rapportons pas au moi. Nous disons bien: je souffre, mais la souffrance n'est que le résultat psychologique d'une lésion physiologique. Les phénomènes de ce dernier ordre, appartiennent non point à nous, mais à notre corps. Le corps seul digère et l'expression je digère, n'est qu'un abus de langage.

Les phénomènes psychologiques présentent les caractères exactement opposés:

1. Ils ne sont pas dans l'espace et ne peuvent pas par conséquent être ramenés à des mouvements. On ne peut se représenter une sensation comme on se représente un mouvement nerveux. Les sensations n'ont rien à voir avec l'espace et n'ont lieu que dans le temps.

2. Puisqu'ils ne sont pas dans l'espace, on ne peut mesurer d'eux que leur durée.

3. Les phénomènes psychologiques sont tous conscients et ne nous sont même connus que par là. Sans nous servir de sens, par la seule conscience nous assistons à leur naissance et à leur développement.

4. Nous rapportons au moi tous les phénomènes psychologiques. Le moi n'en est pas toujours cause, mais en tout cas il se les attribue. Si l'on se blesse, la cause de l'état de conscience produit n'est pas le moi, mais la souffrance appartient évidemment au moi.

Ainsi, ces deux sciences, physiologie et psychologie sont bien distinctes. Chacune a son objet propre, très différent de celui de l'autre. Il n'y a donc pas lien de les confondre.

Comme de toutes les explications, la méthode mathématique est celle qui convient le mieux à l'esprit, on a essayé de l'appliquer à la psychologie. C'est dans ce but que Weber a fondé en Allemagne l'école psychophysique. L'objet des recherches de cette école est d'arriver à mesurer l'intensité de la sensation, la durée étant d'ailleurs facilement mesurable.

Voici les calculs de Fechner, le principal adepte de cette doctrine: Pour mesurer une chose, il faut avoir:

1. un étalon de mesure distinct de ce qui est à mesurer. Il faut

2. que la chose à mesurer soit mesurable.

Quel étalon de mesure trouvera-t-on pour la sensation? Ce que Fechner appelle l'excitation, c'est-à-dire la cause extérieure produisant la sensation. En prenant des poids de différentes grosseurs, on sent bien qu'il y a un certain rapport de l'excitation à la sensation. Calculer ce rapport exactement, voilà ce que recherche la psychophysique.

Examinons maintenant si la sensation est mesurable. Dans les sensations, la psychologie distingue la qualité et l'intensité. Pour les sensations visuelles on aura par exemple une sensation rouge et une autre bleue. C'est là la différence de qualité. L'une est rouge vif, l'autre bleu pâle: elles différent alors également d'intensité. Cette intensité semble être une quantité mesurable, et voici comment Fechner la mesure: ayant d'une part notre étalon et de l'autre notre sensation dont un élément au moins est mesurable, il reste une difficulté. Nous pouvons faire varier la quantité de l'excitation et savoir exactement de combien elle varie. Mais on ne peut apprécier directement de même les variations de la sensation. On les appréciera indirectement par "les plus petites différences perceptibles de sensation."

Voici en quoi consiste la plus petite différence perceptible de sensation:

J'ai dans la main 100 gr. J'en ajoute un gramme; je ne sens pas de différence; j'en ajoute deux. Je n'en sens point encore de différence. J'augmente toujours ainsi jusqu'à ce que la différence de 100 gr. au poids ainsi formé soit appréciable. L'expérience établit qu'il faut pour cela ajouter au poids primitif un tiers (en moyenne) de ce poids. C'est là la plus petite différence perceptible.

Prenons cette plus petite différence pour unité. Nous appelons 1 la sensation 1 l'excitation correspondante. Continuons l'expérience de façon à sentir encore une fois une sensation de différence. Cette sensation, étant la somme de la première et de la seconde sensation, chacune égale à l'unité vaudra elle-même 2, suivant Fechner. Continuons. Nous arrivons à dresser le tableau suivant:

Excitations

1

2

4

8

16

32

64

..

Sensations

0

1

2

3

4

5

6

..

De ces deux progressions on déduit la loi suivante:

La sensation varie comme le logarithme de l'excitation.

La valeur de cette loi a tout d'abord été contestée au point de vue mathématique. On est même arrivé à prouver que les calculs faits par Fechner pour la trôner renfermaient des inexactitudes. Mais ce qu'il y a de plus attaquable dans le système, c'est ce qui fait sa base même. De quelle droit prétendre que si la sensation produite par la plus petite différence perceptible vaut 1, la sensation produite par deux fois la plus petite différence perceptible vaut 2? Qui prouve que les deux sensations s'additionnent, et ne se combinent pas? Le principe de la méthode est la mesurabilité des sensations: on ne saurait dire qu'une sensation soit double d'une autre. Les mathématiques, toutes les sciences ne mesurent que des lignes et des mouvements. Quand on dit qu'une force est double d'une autre, cela veut dire uniquement que, appliquées au même mobile et dans les mêmes conditions, si la première le fait marcher avec une vitesse a, la seconde lui exprimera une vitesse 2a. Supprimez le mobile, supprimez l'espace, on ne saurait mesurer ces forces par rapport l'une à l'autre. On ne peut donc mesurer que des résultats, des mouvements.

Mais ce qu'on prétend mesurer dans les sensations c'est elles-mêmes, non leurs résultats. Or, c'est impossible: elles sont en dehors de l'espace. On ne saurait donc mesurer que leur durée. Une sensation est autre qu'une autre, mais ne peut être établie en fonction d'elle.

On a fait encore une autre objection à la méthode psycho-physique: elle méconnaît les conditions physiologiques du phénomène psychique. Fechner et Weber n'établissent de relations qu'entre le phénomène psychique et son antécédent physique. Mais on oublie le phénomène physiologique qui se place entre deux, et qui est l'antécédent immédiat du fait psychique. Si le corps était un milieu sans action qui transmit sans altération l'excitation produite à l'âme, on pourrait le négliger comme le fait la psychophysique. Mais il est loin d'en être ainsi, et le corps en transmettant les faits physiques à l'âme les modifie beaucoup, et différemment, suivant les circonstances et les individus. En bonne méthode, il aurait donc fallu en tenir compte, et établir des relations d'abord entre les phénomènes physique et physiologique, puis entre les phénomènes physiologique et psychique. La méthode psychophysique, pour toutes ces raisons ne peut être admise.

Pour vaincre cette dernière difficulté, une autre école, celle de Wundt, s'est fondée sous le titre d'école psycho-physiologique. Elle ne rattache plus immédiatement les états de conscience aux phénomènes physiques, mais aux phénomènes physiologiques. Ce sera donc, suivant ce système, la physiologie qui fournira les moyens de faire la psychologie.

D'après Wundt, l'âme dépend du corps. La vie consciente de l'âme a ses racines dans la vie inconsciente du corps. Les antécédents immédiats de tous les phénomènes psychiques sont des phénomènes physiologiques. En outre Wundt a montré que sans mesure, il n'y avait pas de science possible. Il faut donc mesurer. Les philosophes qui lui ont succédé ont appliqué ce principe. Mais reconnaissant l'inutilité des efforts faits pour mesurer l'intensité, ils se sont contentés de mesurer la durée. Cette école a donc deux principes caractéristiques:

1. Elle établit des relations non entre la psychologie et la physique, mais entre la psychologie et la physiologie.

2. Elle étudie la durée et non l'intensité.

Mais cette école croit que le seul moyen d'étudier l'âme, c'est d'étudier ses relations avec le corps. C'est là qu'est l'erreur. Il peut y avoir assurément grand intérêt à cela. Mais les recherches de ce genre quelque utiles qu'elles puissent être, ne dispensent pas d'une science qui étudie les faits psychologiques en eux-mêmes; il faut d'abord les connaître, en faire un inventaire exact, les décrire, les réduire à un certain nombre de types généraux; et c'est là l'objet propre de la psychologie pure. Cette étude s'impose et l'on ne saurait la remplacer par une science établissant uniquement les rapports de l'âme et du corps.

En second lieu, nous ne proscrirons pas la psycho-physiologie ou toute science analogue. Mais comme elle a pour objet de ramener en quelque sorte l'âme au corps, il faut au préalable:

1. qu'une science indépendante ait été instituée pour étudier uniquement l'âme;

2. qu'une science indépendante ait été instituée pour étudier uniquement le corps;

3. il faut que chacune de ces sciences ait ramené les phénomènes qu'elle étudie à un ou plusieurs faits principaux, types et origines de tous les autres.

Ainsi, on parle beaucoup de ramener la physique à la mécanique: que faudrait-il pour cela? Une science de la mécanique, ayant un seul objet: le mouvement; une science de la physique, ramenant tous les phénomènes physiques à un seul, le mouvement. C'est ainsi seulement qu'on pourrait démontrer l'identité de ces deux sciences et des phénomènes qui les occupent. Il en est de même des phénomènes psychiques et physiologiques.

Ainsi donc, il faut, même si l'on veut assurer plus tard à une psychophysiologie quelconque, établir tout d'abord une science spéciale de l'âme, la physiologie pure.

De cette étude sur la psychophysique et la psychophysiologie sort donc une conclusion positive: il faut étudier les états de conscience en eux-mêmes et pour eux-mêmes. La seule méthode qui convienne à cette science est l'observation par le moyen de la conscience.

Cette méthode a pourtant été critiquée: On a dit que ce genre d'observation était trop difficile, les phénomènes psychiques sont très fuyants, ne restent qu'un instant dans le champ de la vision intérieure. Leur mobilité ne permet pas de les analyser en détail. Et puis, le regard de la conscience n'est-il pas bien grossier, ne manque-t-il pas de précision? En l'employant on n'atteindra que les lignes générales des phénomènes, non leurs détails et leur caractères essentiels.

Seconde objection: non seulement cette observation est difficile, mais même elle est impossible. En effet, l'esprit observe à la fois et est observé; il est tout ensemble acteur et spectateur, ce qui est impossible.

Troisième objection: fut-elle facile, cette méthode ne peut donner de résultat scientifique. Par elle qu'observe-t-on? Des individus, différant beaucoup les uns des autres. L'observation manque donc de généralité, n'a de vérité que dans le particulier. Cette méthode réduirait la psychologie à n'être qu'une collection de monographies individuelles.

On peut facilement réfuter ces objections:

A la première on répondra que l'observation de faits psychiques par la conscience n'est pas si difficile qu'elle l'affirme, puisque elle se fait tous les jours et donne des résultats incontestables. Elle a été cultivée par les plus grands esprits: moralistes, écrivains comiques ou satiriques, artistes, tous ont trouvé moyen de saisir les nuances les plus délicats du monde intérieur et de les fixer. Et d'ailleurs, s'il est vrai que bien des phénomènes psychologiques fuient, il est facile de les ressusciter artificiellement par la mémoire, se donnant ainsi toute facilité pour les étudier de sang-froid, à loisir, comme des objets extérieurs. L'observation par la conscience offre donc, nous l'avouons des difficultés, mais elles ne sont point insurmontables.

La seconde objection n'est, on peut le dire, qu'une discussion de mots. Le même sujet peut être à la fois observant et observé. On ne peut être acteur et spectateur mais on peut être acteur et se regarder jouer. On peut se regarder dans une glace. Enfin, s'écouter parler est une expression quotidienne. On ne peut donc admettre la seconde objection.

Enfin, à la troisième on répondra qu'on n'étudiera dans chaque homme particulier, que ce qui est commun à tous les hommes, de même que, dans un triangle donné, un mathématicien ne considère que les propriétés communes à tous les triangles. En outre, nous comparerons les résultats obtenus sur nous à ceux obtenus sur d'autres, de façon à ne laisser absolument dans nos observations que les caractères communs. Nous ne nous contenterons même pas d'étudier ceux qui vivent autour de nous, sous l'empire des mêmes circonstances: nous observons les documents que l'histoire nous a laissés sur les grands hommes des temps passés. Ce nous sera encore une aide utile. Mais il y a ici un autre écueil à éviter: un système a prétendu chercher dans les seuls documents historiques les renseignements nécessaires à l'organisation de la psychologie. C'est un excès. L'histoire ne nous parle que des grandes hommes: et leur niveau psychologique ne saurait être pris pour celui de l'humanité entière. En outre on ne saurait comprendre leurs idées, leurs passions, sans avoir étudié d'abord celles qui nous touchent de plus près. L'histoire ne peut donc donner à notre méthode d'observation qu'un complément.


Nous connaissons l'objet de la psychologie, nous en connaissons la méthode: il ne nous reste plus qu'à l'appliquer à l'objet.

Cet objet est d'énumérer, de décrire et de classer les états de conscience. Mais à cette étude il faut un certain ordre; pour la rendre méthodique, il faut répartir les états de conscience en un certain nombre de classes que nous reprendrons de plus près. Sans nous laisser arrêter par une apparente diversité, cherchons les caractères communs qui puissent servir de base à une division en groupes. Autant nous admettrons de groupes, autant nous aurons formé de facultés de l'âme. Une faculté n'est autre chose qu'un mode particulier et naturel de l'activité consciente. Autant il y a de formes différentes sous lesquelles apparaît la vie intérieure, autant il y a de facultés. Ce qu'on appelle faculté dans l'âme est donc ce qu'on nomme propriété dans les corps inorganiques, fonctions dans les corps organisés. La seule différence est que la faculté représente une plus grande somme d'activité que la fonction, la fonction une plus grande somme d'activité que la propriété.

Voyons donc combien nous allons trouver dans l'âme de facultés ou de groupes d'états de conscience.

Il y en a trois:

1. Nous agissons: sur l'extérieur par l'intermédiaire de notre corps; sur l'intérieur, par la simple volonté, dirigeant notre intelligence, exerçant notre pensée, etc. Le groupe qui a ce caractère porte ainsi que la faculté correspondante le titre d'activité.

2. Suivant que nos actions sont libres ou non, suivant que notre activité est libre ou rencontre des obstacles, nous ressentons ce qu'on appelle du plaisir ou de la douleur. Ce n'est point là une action: tout au contraire, ce nouveau groupe présente des caractères opposés à ceux de l'activité. En effet, le plaisir et la douleur peuvent bien résulter d'actions, mais ils se produisent en nous sans que nous le voulions. Dans les phénomènes de ce genre nous sommes donc en majeure partie passifs. A ce deuxième groupe, constitué ainsi bien indépendamment du premier, est attribué le nom de sensibilité.

3. Quand nous agissons, nous savons que nous agissons; quand nous souffrons, nous savons que nous souffrons; quand nous pensons, nous savons que nous pensons. Ce n'est pas agir ou sentir: c'est avoir la connaissance de notre action ou de notre sensation. D'une manière générale il y a toute une catégorie d'états de conscience qui sont ce qu'on appelle des idées. Ces idées se rapportent tantôt au monde extérieur, tantôt au monde intérieur. L'ensemble de ces états de conscience et la faculté correspondante forment l'intelligence.

Nous distinguons donc trois facultés principales: l'activité ou faculté d'agir; la sensibilité ou faculté d'éprouver du plaisir et de la douleur; l'intelligence ou faculté de connaître.

Pour déterminer ces trois facultés, nous nous sommes contentés de classer les états de conscience. C'est qu'en effet, en dehors des états de conscience où elles se réalisent, ces facultés ne possèdent qu'une existence virtuelle. Tout en corrélatant cela, il ne faudrait pas croire pourtant qu'elles n'aient d'autre existence que celle de termes génériques, qu'elles ne soient que des étiquettes placées sur des faisceaux d'états de conscience. Sans ces derniers assurément elles n'auraient pas de réalité concrète, mais elles n'en seraient pas moins des pouvoirs réels de l'âme. Supprimez les états de conscience, les pouvoirs ne s'expriment pas mais n'en ont pas moins leur fondement dans la nature même de l'âme. Les états de conscience dérivent des facultés comme les facultés de la nature du moi. Quand bien même nous ne penserions pas, nous aurions le pouvoir de penser une intelligence virtuelle. Ce qui prouve que la faculté n'existe pas uniquement dans les états de conscience, c'est qu'elle les précède et leur survit.

Donc, les facultés sont des pouvoirs réels et non de simples collections d'états de conscience.

On s'est demandé quelquefois si l'on ne pourrait pas simplifier le nombre des facultés, et réduire à une seule les différentes facultés de l'âme. Condillac a tenté de les ramener toutes à la sensibilité: il entend par ce mot la faculté de connaître au moyen des sensations. De la sensation pour lui dépend toute l'âme. Maine de Biran ramène tout à l'effort musculaire; c'est-a-dire à l'activité. Enfin toutes les facultés de l'âme, suivant Spinoza, se réduisent à l'intelligence.

Mais nous avons montré que ces différents groupes différaient trop pour être joints les uns aux autres. L'activité est caractérisée par l'action. La sensibilité par la passivité. l'intelligence, par la représentation.

Il y a un autre écueil à éviter: c'est de faire des facultés des êtres distincts comme Platon, qui non content de les matérialiser ainsi leur donne des demeures distinctes: il met le [Greek], ou intelligence raisonnable, ce qu'il croit être la partie immortelle de l'âme de l'homme, dans la tête; le [Greek], qui représente en partie l'activité les appétits nobles de l'homme, dans la poitrine; enfin l'[Greek], qui représente les besoins, les désirs bas et vulgaires, sont placés dans le bas-ventre.

C'est une erreur d'en faire ainsi des êtres: ce sont les propriétés, les pouvoirs d'un seul et même être, le moi. Elles ne sont que les formes distinctes que revêt notre activité. Le moi est un: il est le point vers lequel convergent toutes les facultés. Celles-ci agissent toujours concurremment. On ne peut trouver de fait psychologique qui dépende d'une seule d'entre elles. Nous n'agissons que d'après les motifs dictés par la raison ou des mobiles fournis par la sensibilité. Cela prouve bien l'unité originelle de ces trois facultés. Nous ne vivons pas avec une faculté, mais avec l'âme tout entière. [Greek]. Comme dit Aristote. [Marginal note to this paragraph illegible.]

1) Pour savoir ce que c'est que le sentiment (la sensibilité), il faut s'en rapporter à l'expérience personnelle de chacun. La chaleur qu'on ressent au soleil, la douceur du miel, le parfum des fleurs, la beauté d'un paysage, voilà des sentiments.. - Les caractères de la pensée et de la volonté sont assez clairs: il nous fournissent donc d'excellents moyens de circonscrire le domaine du sentiment. - A. Bain. Sens et Intelligence. Introduction.

Bain confond ici bien des choses: la chaleur du soleil est une perception, chose intellectuelle ce qui par conséquent retire de ce qu'il nomme d'un terme trop étroit d'ailleurs, la pensée. Il en est de même de la douceur et du parfum. Toutes ces choses peuvent être accompagnées de plaisir ou de douleur, et des mouvements qui en dérivent immédiatement - mais elles ne sont par elles-mêmes ni sentiment ni passion.

Quant à la beauté, c'est une question de savoir si on la doit ranger parmi les [Greek] intellectuels ou sensibles. L'exemple [Greek] donc mal choisi.


La sensibilité, nous l'avons vu, est la faculté d'éprouver du plaisir et de la douleur. Qu'est-ce donc que le plaisir et la douleur? On ne saurait donner à cette question une réponse parfaite. On peut seulement déterminer les caractères du plaisir et de la douleur, et en chercher les causes.

Ces états de conscience présentent trois caractères essentiels:

1. Le plaisir et la douleur sont des phénomènes affectifs, c'est-à-dire se produisent en nous sans que nous intervenions. Quand nous les éprouvons nous sommes passifs. Il n'y a pas, à vrai dire, d'absolue passivité dans la vie psychologique. Nous réagissons bien soit pour affaiblir la douleur, soit pour augmenter le plaisir, mais la passivité n'en prédomine pas moins dans les faits de ce genre.

2. Le second caractère de ces faits est leur nécessité. Ils se produisent fatalement. Nous ne pouvons les empêcher de naître. Ils sont la conséquence nécessaire d'un évènement antérieur: nous ne pouvons les modifier qu'en modifiant l'évènement qui les a causés. Cependant par la volonté, nous pouvons détourner le regard de notre conscience du plaisir ou de la douleur, ou les rendre plus intenses en fixant sur eux notre attention; nous pouvons trouver dans la douleur même des plaisirs très délicats: la mélancolie par exemple; mais malgré ces différentes influences que nous avons sur ces sentiments, nous n'en sommes jamais maîtres absolus. C'est là l'illusion des stoïciens et des épicuriens, qui ont cru pouvoir par la seule volonté, supprimer la douleur.

3. Le troisième caractère de ces sentiments est la relativité. Tout ce qui est sensible est relatif, ce qui est plaisir pour l'un est douleur pour l'autre. L'homme qui s'est livré aux travaux manuels y trouve toutes ses joies. L'homme qui a vécu dans les exercices intellectuels ne voit dans les travaux du corps qu'une fatigue, une souffrance.

Passivité, Nécessité, Relativité sont donc les trois caractères des phénomènes affectifs.

Cherchons maintenant leur cause. Suivant certains philosophes le plaisir ne consiste que dans l'absence de la douleur. On ne peut avoir de plaisir sans connaître la douleur; ce sont deux ennemis, et l'on ne peut pourtant avoir l'un sans l'autre. C'était déjà l'opinion de Platon. [Note: Phédon]. Plus récemment, Schopenhauer a repris cette thèse dans l'ouvrage Le monde comme volonté et représentation. La douleur est suivant lui le fait positif, primitif. Le plaisir est seulement sa cessation. En effet dit-il, pour éprouver du plaisir à posséder quelque chose - par exemple, il faut commencer par avoir désiré ce quelque chose, par avoir trouvé qu'il nous manquait. Or ce manque est douloureux: le plaisir sort donc de la douleur.

Cette doctrine a de tristes conséquences: si le plaisir n'est que l'absence de la douleur, s'il nous faut acheter la moindre jouissance par une souffrance préalable, la vie est bien sombre, et il ne vaut guère la peine de rechercher ce plaisir qu'il faut pour ainsi dire payer comptant. A tout le moins la vie serait elle indifférente. Mais le plaisir compense-t-il même exactement la douleur? Egale-t-il les souffrances supportées pour l'obtenir? Schopenhauer croit que non. La vie vaut-elle dès lors la peine d'être vécue? Le philosophe allemand, fidèle à la logique, n'hésite pas à répondre: Non.

Eduard von Hartmann, auteur de la Philosophie de l'inconscient et disciple de Schopenhauer, arrive aux mêmes conclusions que son maître tout en réfutant sa théorie. Vivre n'en vaut pas la peine, dit-il. Ce n'est pas que le plaisir n'ait pas d'existence positive, c'est que la somme des douleurs dépasse la somme des plaisirs. Mais on ne peut adopter la théorie de Schopenhauer: il y a bien des plaisirs que l'on obtient sans souffrance préalable. Sans doute, si le besoin qui l'a précédé a été violent, nous avons souffert. Mais si cet état de besoin est faible, si l'on est assuré de pouvoir le satisfaire, c'est un plaisir qui précède un autre plaisir. Ainsi, si le plaisir de manger a été précédé d'un long jeûne, il y a eu souffrance; si l'on n'a eu que le temps d'avoir ce qu'on appelle de l'appétit, il n'y a eu là qu'un état agréable. Il y a même des plaisirs qui ne sont précédés par aucun besoin: tels sont par exemple l'annonce d'une heureuse nouvelle, les plaisirs des arts ou de la science. Au nom de ces diverses objections, il y a donc lieu de rejeter la doctrine qui ne donne au plaisir qu'une valeur négative.

D'après une autre doctrine, la cause du plaisir serait dans la libre activité. Cette théorie remonte à Aristote; plus récemment elle a été reprise par Hamilton, philosophe écossais du commencement du siècle, puis par M. Francisque Bouillier dans son ouvrage: Du plaisir et de la douleur. Voici cette théorie: Nous jouissons quand notre activité se déploie librement. Nous souffrons quand elle est comprimée. Où trouver en effet une cause de plaisir, sinon dans la liberté? Le plaisir de l'être c'est son action propre, [Greek phrase]. Cette théorie d'ailleurs explique fort bien la plupart des faits. Les exercices musculaires, les couleurs brillantes, les études, les plaisirs intellectuels nous plaisent parce que nos divers modes d'activité y trouvent leur déploiement. Il est donc certain que l'activité libre est au moins la principale cause du plaisir.

Mais est-ce la seule? La théorie précédente ne rend pas compte de la douleur qu'on éprouve après une grande dépense d'activité dirigé toujours dans le même sens. Pas plus qu'au commencement l'activité ne rencontre pourtant d'obstacle. C'est que pour produire le plaisir l'activité doit être encore non seulement libre, mais variée; il faut pour être agréable qu'elle change de forme. Cela seul explique le vif plaisir reconnu de tout temps et causé par le pur changement. En outre, cela explique le plaisir qu'on éprouve au repos, dans l'inaction: l'activité alors n'a pas encore pris de forme. Aussi dans l'imagination, elle semble pouvoir en prendre une infinité, et c'est justement cette variété qui fait le plaisir de l'inaction. C'est encore là le plaisir de la jeunesse, qui semble pouvoir varier indéfiniment son activité qui n'a point encore pris de voie spéciale.

La libre activité et la variété sont donc les deux causes du plaisir.

Stuart Mill. Philosophy of Hamilton. Chap. XXV

Hamilton's Lectures (où sont écrites et développées les théories d'Aristote et de Platon) II, Lect. XLIII

Bouillier. Du plaisir et de la douleur.

Aristote. Morale à Nicomaque, Livre X.

Platon. Phédon, [title unclear], Philèbe.


Si on s'en tient à la définition de la sensibilité, elle ne comprendrait que l'étude du plaisir et de la douleur. Mais on rattache en outre à la sensibilité certains mouvements inséparables du plaisir et de la douleur: suivant qu'un objet nous cause l'un ou l'autre de ces sentiments, qu'il nous est agréable ou désagréable, nous tendons vers lui ou nous nous en éloignons. Ces mouvements relèvent à vrai dire bien plus de l'activité que de la sensibilité; mais ils ont avec cette faculté des rapports si étroits qu'il est impossible de les en séparer.

Cette tendance du moi vers un objet agréable distinct de lui constitue ce que l'on appelle une inclination. De cette définition résulte une méthode pour classer les inclinations: autant il y aura d'espèces différentes d'objets produisant chez nous ces mouvements, autant il y aura d'espèces différentes d'inclinations. Or, on peut distinguer trois grandes classes de ces objets: le moi; les autres mois, c'est-à-dire nos semblables; enfin certaines idées, certaines conceptions de l'esprit, comme le bien ou le beau. Nous aurons donc trois espèces d'inclinations; on les nomme inclinations égoïstes, altruistes, supérieures.

Les inclinations égoïstes, nous l'avons dit, ont pour objet le moi. Elles peuvent se présenter sous deux formes: tantôt elles ont pour objet de maintenir l'être tel qu'il est, elles sont alors purement conservatrices; ou bien elles veulent y ajouter, elles sont alors acquérantes. Conserver l'être et l'augmenter sont deux tendances de la nature. Le type des inclinations du premier genre est l'instinct de conservation, l'amour de la vie. Malgré tout, nous tenons à la vie pour elle-même quand bien même on admettrait qu'elle renferme plus de douleur que de plaisir, avant tout nous tenons à la garder. On voit des exceptions à cette règle, on ne le peut nier, mais c'est là seulement une infime minorité. Dans l'instinct de conservation figurent au premier rang les besoins physiques qu'il faut satisfaire: ces inclinations sont caractérisées par ceci:

1. Elles ont leur siège dans un point déterminé de l'organisme.

2. Elles sont périodiques, c'est-à-dire que ces besoins une fois satisfaits disparaissent pour reparaître au bout d'un temps déterminé.

Les inclinations qui ont pour objet l'accroissement de l'être sont très complexes et très nombreuses. Quand l'être nous est assuré, nous voulons avoir le bien-être, intellectuel aussi bien que physique. De là un certain nombre d'inclinations que l'on caractériserait bien par le mot grec [Greek]. Toutes ont pour but d'ajouter à ce que nous avons déjà: ces inclinations sont l'ambition sous toutes ses formes, l'amour, des grandeurs, des richesses, etc.

Les inclinations altruistes, nous l'avons dit, ont pour objet nos semblables. On a souvent agité la question de savoir s'il y avait réellement des inclinations altruistes et si l'être ou le bien-être du moi n'étaient pas les seules fins de nos inclinations. La Rochefoucauld, Hobbes, Pascal, Rousseau sont de cet avis. Sans trancher la question immédiatement, nous nous contentons pour le moment de constater que certaines de nos inclinations s'appliquent à d'autres êtres que nous; naturellement, nous sommes faits de façon à nous occuper, à avoir besoin d'autrui. Les inclinations altruistes, qu'on appelle encore inclinations sympathiques peuvent se subdiviser en autant de groupes différents qu'il y a d'espèces différentes dans nos "semblables".

1. Inclinations domestiques. Elle ont pour objet la famille.

2. Inclinations sociales, ayant pour objet la patrie. Ce second groupe d'inclinations a bien varié avec le temps, en effet, d'abord communauté de famille, puis communauté de religion, enfin communauté de gouvernement, l'idée de la patrie a bien changé. Mais malgré toutes ces transformations les inclinations sociales sont toujours restées les mêmes en principe.

3. Enfin vient le groupe le plus général, l'ensemble des hommes, et l'inclination dont il est l'objet: l'amour de l'humanité.

Les trois sortes d'inclinations altruistes que nous venons de voir ne sont point nées en même temps. La plus ancienne est celle pour la famille. Au commencement, en dehors de la famille, l'homme ne voit que des ennemis. Plus tard, les familles se réunissent, et alors se forment la cité, la société. Avec cette seconde forme de groupement se développe l'inclination patriotique. Enfin, quand les hommes se connaissent assez réciproquement, ont des points de contact fréquents dans des idées et des volontés communes: le stoïcisme, le christianisme, ont été au nombre des doctrines qui ont surtout répandu l'amour de l'humanité.

On a cru quelquefois que les trois inclinations: pour la famille, pour la patrie, pour l'humanité; se contredisaient et devaient s'exclure. Alors, suivant le temps on a demandé l'abolition de deux de ces inclinations au profit d'une seule. Platon rejette le sentiment domestique et ne connaissant pas l'amour de l'humanité fait tout du patriotisme. On est allé plus loin, on a voulu que l'amour de l'humanité absorbât les deux autres. Toutes ces unifications ne sauraient être admises: ces trois sentiments non seulement ont leur raison d'être propre mais s'appuient encore les uns les autres. La société est une réunion de familles; l'humanité une réunion de sociétés. C'est de l'amour de la famille qu'on s'élève à celui de la société, de celui de la société à celui de l'humanité. Quand bien même on réaliserait la paix universelle, on n'abolirait pas pour cela le patriotisme pris dans son sens le plus large, pas plus que l'établissement de la société et de la patrie n'a aboli le sentiment de la famille.

Passons maintenant à la troisième catégorie d'inclinations, celles qu'on nomme les inclinations supérieures: elles ont pour objet trois idées: le vrai, le beau, le bien. Le vrai, le beau et le bien forment ce que nous nommons l'idéal, nous pouvons donc définir les inclinations supérieures: la tendance de l'homme vers l'idéal. Quand on personnifie l'idéal, qu'on en fait un être vivant et conscient, la tendance à l'idéal devient le sentiment religieux.

Voici les caractères des inclinations supérieures:

1. Elles sont infinies, insatiables. Il n'est point de moment où, comme les autres, elles se déclarent satisfaites; plus on sait, plus l'on veut savoir.

2. Elles sont impersonnelles. Dans les inclinations de ce genre, il n'y a rien de jaloux. Nous ne cherchons pas à garder pour nous seuls la vérité que nous apprenons; nous sentons au contraire le besoin de la répandre. De même du beau; nous laissons volontiers les autres participer aux jouissances esthétiques que nous avons éprouvées.

Telles sont les différentes sortes d'inclination et leurs caractères essentiels; généralisons: de quoi se compose une inclination? De deux mouvements: dans le cas d'un objet agréable

1. le moi se dirige vers l'objet désiré. L'inclination n'est alors qu'un désir; si le désir est violent, un besoin.

2. le moi atteint l'objet agréable. Il fait alors effort pour le rendre semblable à lui-même, en faire une partie de son être, se l'assimiler, se l'identifier, se l'approprier.

Le premier de ces deux mouvements est un mouvement d'expansion, le second un mouvement de concentration. C'est le second mouvement seul qui a pour caractères l'égoïsme, la jalousie. Il a pour but de garder pour soi seul l'objet recherché, d'en interdire la possession à autrui. Il justifierait donc parfaitement les théories de La Rochefoucauld et de Hobbes. Le moi serait à la fois le point de départ et le point d'arrivée du mouvement. Mais pour cela, il faudrait que toutes les inclinations présentassent les deux mouvements que nous venons d'indiquer. Or, il est évident que certaines d'entre elles ne présentent que le premier:

1. Les inclinations supérieures d'abord [phrase unclear] jamais le second mouvement. Nous jouissons de l'idéal sans vouloir en aucune façon l'accaparer et en interdire la jouissance à autrui. Qui donc pratiquant le bien, n'est pas heureux de voir les autres le pratiquer comme lui? Lorsqu'on sent le beau vivement, ne cherche-t-on pas quelqu'un à qui faire partager ce sentiment? Enfin n'éprouve-t-on pas, dès qu'on sait la vérité, un désir puissant de la faire connaître?

2. Certaines inclinations altruistes présentent le même caractère; il arrive souvent que nous aimons autrui pour autrui et non pas pour nous. L'inclination s'arrête au premier mouvement: y a-t-il rien d'égoïste dans l'amour maternel par exemple? [There is an illegible marginal note to this passage.] Bien qu'il y ait à tout ceci des exceptions provenant du mélange inévitable des différentes inclinations, et que des préoccupations égoïstes viennent souvent ôter aux inclinations même supérieures leur caractère d'impersonnalité, on peut affirmer que certaines inclinations n'ont jamais ni consciemment ni inconsciemment pour but de s'apåproprier l'objet agréable uniquement pour le faire servir aux fins propres du moi: en un mot qu'il y a des inclinations désintéressées.

Est-il juste de réunir dans une même partie de la psychologie qu'on désigne sous le nom général de sensibilité, des choses aussi différentes que les peines et plaisirs d'une part, les inclinations et passions de l'autre?

Les inclinations et passions rentrent évidemment dans l'étude de l'activité de l'esprit humain. On peut même dire qu'elles sont la source unique de cette activité, que nul acte n'est accompli par l'individu qui n'ait sa raison première dans un instinct, une inclination, une passion.

L'intelligence n'est pas une source d'activité. Toute activité suppose un but, l'intelligence ne nous fournit jamais que des constatations. Elle nous apprend ce qui est; mais pour agir, il faut que nous sachions ce qui doit être - ceci du moins que nous nous représentions quelquechose comme étant bon, bien, avantageux, etc.

Nous parlons de l'instinct. Le plaisir s'y ajoute [Greek] et l'instinct cette constatation faite devient inclination.

Nous avons vu que les inclinations avait un objet, agréable ou désagréable. Suivant que l'inclination est satisfaite ou non, il se produit du plaisir ou de la douleur. Mais plaisir et douleur sont des termes généraux; les diverses variétés des phénomènes affectifs portent le nom d'émotions. Les émotions sont donc comme ces phénomènes, tantôt agréables et tantôt désagréables; comme eux encore, elles ont pour caractère commun la passivité. De plus, tandis que le plaisir et la douleur sont localisés, les émotions ne le sont pas. En goûtant un mets délicat, le goût seul et non le moi tout entier éprouve un certain plaisir. Une grande partie de notre être est alors disponible, inoccupée. L'émotion au contraire tend à envahir le moi tout entier, à tout absorber. La volonté peut l'arrêter, au moins en partie; mais de sa nature, L'émotion est envahissante.

Voici donc L'émotion définie à un double point de vue. Par rapport au plaisir et à la douleur: elle en est une forme, mais s'en distingue en ce qu'elle est expansive et n'est point localisée. Par rapport aux inclinations: elle en est une suite; elle est en nous le contre-coup du succès ou de l'insuccès des efforts de l'inclination.

Reste à classer les émotions. On ne peut en donner une classification rigoureuse. Cependant, l'expression de L'émotion en fonction de l'inclination va nous donner un moyen de mettre quelque ordre dans l'ensemble confus des émotions. Pour cela nous n'avons qu'à faire varier les rapports de l'objet au moi: le moi passera par diverses émotions qu'il sera facile de noter.

Supposons le cas d'un objet agréable: suivant qu'il s'approchera ou s'éloignera du moi, on aura des émotions agréables ou désagréables. Ce seul objet nous permettra donc d'étudier tous les genres d'émotions.

L'objet est à l'infini, c'est-à-dire n'existe pour nous que virtuellement; nous ne le connaissons pas, nous le rêvons. Alors, si nous croyons pouvoir un jour atteindre cet infini, il se produit en nous un certain sentiment d'inquiétude où domine le plaisir.

L'objet approche. Alors se produit une autre émotion, l'espérance, qui va en augmentant à mesure que l'objet approche davantage. Quand nous possédons l'objet, l'espérance disparaît à son tour pour faire place à la joie.

Si la possession est continue, nous éprouvons un autre sentiment agréable, la joie de posséder, plus tranquille que la joie d'acquérir qui l'a précédée. Laissant le mot joie pour cette dernière émotion, on peut nommer encore sécurité la joie de posséder.

Supposons maintenant que la possession de l'objet aimé ne soit pas sûre, que nous craignons de voir cet objet disparaître, il se produit alors le sentiment pénible connu couramment sous le nom d'inquiétude. Supposons encore que nous voyons tout à coup l'objet prêt de nous être enlevé: L'émotion qui survient est la peur. Si nous en sommes privés subitement sans l'avoir prévu, c'est l'épouvante.

L'objet s'éloigne. Alors le sentiment de la privation est la tristesse; si on l'a possédé, le regret. S'il continue à s'éloigner, la tristesse devient désespoir. Le désespoir augmente avec la distance de l'objet. Enfin quand il est retourné à l'infini, le sentiment qui nous reste de notre impuissance à l'atteindre, c'est l'abattement.

Toutes les variétés des émotions ont été étudiées par Spinoza dans son ouvrage: l'Ethique.

On a trouvé commode, quelquefois, de ne faire que deux catégories d'émotions:

1. les émotions physiques qu'on appelle sensations.

2. les émotions morales qu'on appelle sentiments.

Nous n'avons pas cru, pour plusieurs raisons, devoir adopter cette division. D'abord, elle est trop grossière: elle n'a pas la finesse nécessaire à la classification de ces phénomènes au caractère ondoyant. Le mot de sensation d'autre part est bien détourné par là de son sens propre. Il doit exprimer nous semble-t-il, non le fait physiologique et l'impression que nous en ressentons, mais seulement les phénomènes de connaissance concernant le monde extérieur. De la sorte, on évite toute équivoque. Prenons un exemple:

Je me blesse; il se produit une affection douloureuse. Ce n'est pas là la sensation; mais en même temps j'apprends l'existence du corps qui m'a blessé. Cette connaissance est la sensation.

En outre, le mot sentiment a dans la langue courante un sens très vague; et le sens précis que lui attribue ce système introduira toujours quelque obscurité dans son emploi. Aussi ne l'emploierons-nous que dans le sens général de phénomène sensible.

Il y a donc lieu de ne point adopter cette division des émotions.

Il nous reste à étudier la dernière espèce des phénomènes sensibles, les passions. On a entendu par ce mot des phénomènes sensibles bien différents les uns des autres. Bossuet dans le traité de la connaissance de Dieu et de soi-même, mélange, sous le titre de passions, les inclinations et les émotions. Selon lui, il y a onze passions dont dix s'opposent deux à deux: l'amour, la haine - le désir, l'aversion - la joie, la tristesse - L'audace, la crainte - L'espérance, le désespoir - enfin, la colère. Toutes peuvent d'ailleurs, selon lui, se ramener à l'amour et à la haine, et la haine d'un objet n'étant que l'amour de son contraire, il n'y a pour lui qu'une seule passion: l'amour.

Descartes a fait de son côté un traité des passions. Il les ramène toutes lui aussi à une seule, l'admiration. Mais pour lui, les passions sont des phénomènes semi-sensibles et semi-intellectuels, se produisant au moyen des esprits animaux (théorie particulière de Descartes) -

Spinoza, dans son Ethique, a consacré un livre à l'étude des passions; mais de même que Bossuet il mélange aux passions proprement dites les inclinations et des émotions. Il y a pour lui deux passions primitives, la joie et l'amour.

Pour nous, employant le mot passion dans son sens courant, nous la définirons: un mouvement sensible d'une intensité particulière; ce qui caractérise la passion, c'est sa violence. Cette force peut se manifester soit d'un seul coup, soit lentement. Ainsi certaines passions sont des habitudes: leur force se manifeste par leur ténacité. D'autres au contraire ne durent qu'un instant; elles s'épuisent en s'exprimant. Cette distinction est importante pour réfuter la théorie qui ne voit que des habitudes dans toutes les passions.

En quoi consiste exactement la passion? Elle présente les deux caractères suivants:

1. Comme l'inclination, elle est relative à un objet extérieur. On se passionne pour quelquechose. L'émotion au contraire a bien une cause, mais d'objet, point. Elle agite le moi, mais sans l'entraîner vers un but déterminé.

2. D'autre part, comme L'émotion la passion est envahissante, prend le moi tout entier. Tandis qu'au contraire les inclinations sont localisées. En outre, tandis que les inclinations n'absorbent qu'une faible partie du moi, la passion est exclusive et dirige vers son objet toutes les facultés du moi.

Ainsi, la passion emprunte un de ses caractères à l'inclination, l'autre à l'émotion. C'est qu'en effet la passion n'est que l'état le plus violent de l'inclination ou de l'émotion. Une émotion très vive devient une passion. Si la colère n'est pas très violente, elle n'est qu'une émotion. Devient-elle plus forte, plus vive, c'est une passion. La peur en elle-même n'est qu'une émotion: si par sa violence elle absorbe toutes les facultés de l'être elle devient une passion. Si l'amour maternel est au repos, ce n'est qu'une inclination; un obstacle quelconque augmente-t-il sa vivacité, il envahit tout le moi, devient passion.

Les deux caractères de la passion peuvent être exprimés d'un seul coup: d'une part, elle concentre le moi; de l'autre elle le dirige vers un objet. On peut donc dire qu'elle concentre tout le moi vers un seul et même objet. Toutes les forces sont dirigées vers un même but, sont assemblées. C'est dire que la passion introduit dans la vie psychologique une unité absolue.

Cette analyse de la passion nous permet de juger de sa valeur, du rôle utile ou nuisible qu'elle peut jouer. On lui a reproché d'être un développement maladif. On a dit que son caractère essentiellement exclusif ["On ne peut avoir deux grandes passions à la fois" (Pascal)] en faisait un appauvrissement du moi où elle venait à naître. Ce danger ne peut être nié. Mais on peut se demander si c'est là l'état véritable de la passion. Assurément, abandonnée uniquement à elle-même, elle peut amener cet appauvrissement de l'être. Par elle l'équilibre des facultés est alors détruit. On poursuit son objet avec violence, on ne voit plus que lui, on cherche à l'atteindre par tous les moyens, quels qu'ils soient.

Dans ce cas le moi tout entier est dans une seule passion. L'activité n'a plus qu'une forme. Le désir d'atteindre l'objet de cette passion est si fort, que le moi ne peut pas avoir la patience de chercher les moyens d'arriver à ses fins. Certaines gens, par exemple, ont la passion de la volonté si violente qu'elle renonce à retarder l'accomplissement de son désir pour se procurer les moyens de le satisfaire. On est alors volontaire quand-même, c'est-à-dire obstiné. C'est seulement mesquin et étroit.

Mais si la passion est quelque peu arrêtée par la réflexion, elle a conscience d'elle-même et de ce dont elle a besoin; elle comprend qu'il lui faut des moyens d'atteindre ce but. Alors naissent des passions secondaires, utiles le plus souvent, qui, tandis que la passion principale s'attache à la fin, s'attachent de leur côté aux moyens de les réaliser.

Supposons par exemple la passion de l'or, qui est immorale en elle-même. Pour peu qu'elle soit un peu réfléchie, elle entraînera avec elle la passion du travail et celle de l'économie qui toutes deux sont des passions utiles. Supposons la passion de la gloire: elle entraînera de même la passion du travail, de l'étude, etc.

Evidemment, une passion qui a un but immoral est et reste toujours immorale. Mais la passion en elle-même, abstraction faite de son but, trouble-t-elle dangereusement l'économie de l'être intérieur? Nous venons de voir qu'elle engendre des passions secondaires dont quelques unes au moins sont toujours utiles. A ce point de vue par conséquent, la passion peut et doit être utilisée.

Pour que l'activité soit vraiment productrice, il faut qu'elle soit concentrée, qu'il n'y ait pas de perte de force; il faut par conséquent qu'elle soit émue par la passion. Pour faire une oeuvre une vivante il faut se passionner pour elle: artistes, écrivains ne réussissent qu'en se passionnant pour leur objet. Il faut qu'un peintre ait, non seulement la passion de peindre, mais la passion des personnages qu'il peint. Il en sera de même d'un penseur. Ainsi donc, lorsque l'objet de la passion n'est pas mauvais en soi, lorsqu'un minimum de raison en surveille le développement, elle est la condition indispensable sans laquelle on ne fait rien de grand."

Classifications des mouvements sensibles

I. Ayant un objet         A. Envahissants         Passions

        B. Non envahissants         Inclinations

II. N'ayant pas d'objet         A. Localisés         Affections

        B. Non localisés         Emotions

L'intelligence est la faculté de connaître. L'acte propre de l'intelligence est l'idée. Ce qui la caractérise, c'est d'être représentative. Toute idée représente un objet. Voilà donc un moyen de classer les différentes formes de l'acte intellectuel. Autant il y aura d'espèces d'objets à connaître, autant nous compterons de facultés intellectuelles.

Or nous connaissons trois espèces de choses: ce qui nous est donné dans l'expérience, ce qui nous est donné sans nous être donné par l'expérience, enfin le monde intérieur. Il est vrai qu'on s'est demandé si il y avait bien réellement des choses connues par nous en dehors de l'expérience. Mais, sans trancher la question, admettons la solution du sens commun qui voit là deux connaissances d'ordre différent, quitte à les réunir plus tard si nous croyons le devoir faire.

Nous avons donc trois facultés dites de perception: La conscience, les sens, la raison.

Nous avons encore trois autres facultés intellectuelles qui se distinguent des premières en ce qu'elles ne se rapportent pas à des objets actuellement présents; ce sont: l'association des idées, la mémoire et l'imagination. On les appelle facultés de conception.

En dehors de ces facultés simples, il y a un certain nombre d'opérations complexes formées par la combinaison de différentes facultés, intellectuelles ou autres; ce sont: l'abstraction, l'attention, le jugement, le raisonnement.

Telles sont les grandes divisions de la théorie de la connaissance.

La perception extérieure est la faculté qui nous fait connaître le monde extérieur. Où finit le monde de la conscience commence le monde extérieur.

Voyons quelles sont les conditions de la perception extérieure. Il y en a trois:

1. L'existence d'un objet dans notre voisinage. C'est évident. Cependant la perception se produit quelquefois en l'absence de l'objet: on dit alors qu'il y a hallucination. [Lalande: On peut établir cette distinction sans préjuger de l'existence du monde extérieur; en effet, qu'il existe ou non, il y a toujours des perceptions qui sont isolées, passagères, et d'autres qui sont répétées plusieurs fois, et contrôlées par celles des autres sens. Que ces dernières aient ou n'aient pas pour cause l'existence d'objets extérieurs, il n'y en a pas moins deux classes de perceptions à distinguer.]

2. Il faut que certaines conditions physiologiques soient remplies. Ces conditions physiologiques sont au nombre de trois: relation d'un organe sensible avec l'objet; transmission par les nerfs de la modification apportée à cet organe; centralisation au cerveau.

3. Le moi doit intervenir. Les modifications organiques sont multiples, diverses dépourvues d'unité. Ce n'est que grâce à l'intervention du moi que l'unité se produit dans la perception.

Telles sont les conditions de la perception extérieure.

De ces trois conditions, il n'y en a qu'une seule qu'il faille étudier: les rapports des sens et de l'objet. Il ne peut y avoir sujet de s'occuper de l'existence de l'objet et de l'intervention du moi. Il nous faut donc étudier les organes qui sont les intermédiaires entre les objets et le cerveau: ces organes sont ce qu'on nomme les sens.

On compte généralement cinq sens: le toucher, l'odorat, le goût, la vue et l'ouïe. Il ne faut pas entendre uniquement par sens les organes sensibles qui sont les intermédiaires entre le monde extérieur et le moi; il faut les définir seulement: Certaines sources d'informations relatives au monde extérieur. En effet, il y a des sens qui ne sont point situés. Il en est deux, connus depuis peu, qui n'ont point d'organe spécial: ce sont, d'abord le sens musculaire par lequel nous sentons, l'état, la position, la fatigue de nos muscles; puis le sens vital, qui nous fait seulement connaître l'état général du corps, le bien-être ou le malaise sans siège déterminé. "C'est comme une sorte de toucher intérieur." [Lalande: Albert Lemoine] C'est ce que l'on nommait au moyen-âge sensus vagus. "Quand c'est à l'oeil que j'ai mal ou à l'oreille, ce n'est pas de la vue ou par la vue, ce n'est pas de l'ouïe ou par l'ouïe que je souffre..Les cinq sens n'ont rien à voir dans la production de sensations pareilles. Elles dépendent d'une autre puissance de la sensibilité." [Note reference here, but no note; check original document on microfiche.]

Il y a lieu maintenant de se demander quelle est la valeur relative de ces différents sens. Les uns nous donnent évidemment des sensations, des renseignements plus précis ou plus abondants que les autres.

Il faut évidemment mettre au degré le plus bas de l'échelle les sens de l'odorat et du goût. Ils sont si pauvres que, hormis les affections sensibles, il n'y a presque rien d'appréciable dans ces sensations. Elles sont purement affectives et ce n'est qu'après une longue éducation qu'ils nous donnent de véritables connaissances.

Après, nous placerons le sens vital. C'est là se mettre en désaccord avec l'inventeur, Albert Lemoine, qui affirme que "grâce à lui seul nous connaissons le monde extérieur." C'est qu'on voit bien que toutes les indications du sens vital contiennent une grande part d'affection sensible, et peu de renseignements précis.

Plus haut, on mettra la vue et l'ouïe. Ces deux sens sont les sens esthétiques. C'est là ce qui fait leur supériorité.

Au quatrième degré viendra le toucher, à qui nous devons une foule de notions très précises. Il peut remplacer la vue, l'ouïe parfois. L'antiquité reconnaissait bien la supériorité de ce sens; Anaxagore disait que c'est grâce à la main que l'homme a le privilège de penser.

Au sommet de l'échelle vient le sens musculaire, qui nous donne les notions les plus précises. Avec le toucher, il nous donne la connaissance de l'étendue. C'est en outre dans la sensation de l'effort musculaire que l'homme se distingue le mieux du monde extérieur.

Odorat - goût - sens vital - ouïe - toucher - et enfin sens musculaire, telle est donc la classification naturelle des sens.

Il nous reste à déterminer quelles sont les perceptions fournies naturellement par chaque sens. Chaque sens en effet nous donne certaines connaissances naturellement. Certains autres par éducation par suite de comparaison avec des connaissances données par un autre sens. [Note in left margin cut off. See original microfiche.]

Nous avons donc à distinguer la perception naturelle, c'est-à-dire celle fournie naturellement par chaque sens, et la perception acquise, c'est-à-dire celle que nous avons actuellement.

Pour la plupart des sens, il n'y a pas de graves difficultés: le goût donne naturellement la saveur; l'odorat, l'odeur; l'ouïe, le son: le sens musculaire la résistance; le toucher, l'étendue, le sens vital enfin, les connaissances relatives à l'état général du corps.

Reste la vue. Elle a bien en propre la perception de la couleur. Mais n'a-t-elle que celle-là? Ne donne-t-elle pas aussi l'étendue? Actuellement, nous ne pouvons séparer ces deux perceptions. Mais n'est-ce qu'un effet de l'éducation et, primitivement, la vue donne-t-elle la notion de l'étendue?

Certains philosophes croient que oui. On les nomme nativistes, à cause de leur opinion qui fait de l'étendue une perception innée de l'oeil. Les empiriques au contraire ne voient dans cette perception qu'un effet de l'expérience et de l'éducation. [Note in left margin refers to the "school of Müller," but is cut off and barely legible. See original microfiche.]

Mais il y a deux choses à étudier dans l'étendue:

1. L'idée de la distance. Il est démontré que la vue ne donne pas cette idée. Les résultats obtenus sur des aveugles-nés opérés de la cataracte le prouve. Un aveugle ainsi opéré par Cheselden dit, sitôt qu'il put voir, que les couleurs lui apparaissaient sur un plan tangent à l'orbite de l'oeil.

2. L'idée de la surface. L'expérience de Cheselden semblerait prouver que la vue donne naturellement quelque idée de la surface. Mais cela n'est pas concluant. L'aveugle-né, par ses autres sens, s'est déjà formé une idée de la surface, qui influe sur sa manière de voir les couleurs.

Aucune expérience n'a pu être faite de manière à trancher la question de savoir si la vue nous donne naturellement l'idée de l'étendue.

Cependant, l'hypothèse empirique a des probabilités en sa faveur. Par quel mécanisme l'oeil projetterait-il dans l'espace la sensation de couleur perçue? [Note in right margin cut off and illegible. See original microfiche.] Et quand même il la projetterait, cette notion de l'espace serait bien rudimentaire, et pour arriver à la notion de l'espace que nous avons aujourd'hui, il faudrait une longue éducation. [The following sentence is crossed out with an illegible note in the right margin. See original microfiche.] En outre, l'impuissance reconnue de la vue à donner la troisième dimension rend par analogie la puissance à percevoir les deux autres peu probables. Nous pouvons donc dire que, dans l'état actuel de la question, l'hypothèse empirique a toutes les probabilités en sa faveur.

On a fait des hypothèses diverses pour expliquer comment nous associons peu à peu la couleur et l'étendue. Alexandre Bain a montré comment le temps et le sens musculaire combinés nous donnaient la connaissance de l'étendue. Pour expliquer l'association des idées d'étendue et de couleur il a inventé la théorie des signes locaux.

Nous connaître, est étudier nos états de conscience, les classer dans le temps, les entraîner logique et ontologique: or ce qui étudie nos états de conscience c'est ou la force qui les a produits [symbol] lois et [symbol] par conséquent les étudie avec ses lois: ou ce sont les états eux. [symbol] qui par une sorte de mouvement phonographique se présentent à nous [word illegible] précédemment [symbol] états physl. les lois [symbol] cas sont encore les [symbol] ce sont des lois - courants nerveux qui sont restés [symbol] cette dernière hypoth. doit être [word illegible] [symbol] dans la théorie de Kant. Donc il reste ceci: le moi [symbol] a [symbol] les états de conscience [symbol] examine-t-il avec les [symbol] lois qui lui ont [symbol] prod. Cela semble évident: dire le moi est double cela revient à dire que le moi qui reçoit les impress. produit les pensées n'est [symbol] les juge. Or pour examiner [symbol] il faut une solution, des jugements [symbol]. Le moi producteur est le [symbol] juge la distinction (symbols) moi et entre leur lois [symbol] inutile et contradictoire. Cela confirme d'ailleurs en rien l'existence [symbol] monde phénoménal extérieur au moi.

Restent les critiques et les reproches politiques. [There follows a full page of doodling and text, with some references to Socrates, all of which have been crossed out.]


La perception extérieure nous fait connaître quelque chose que nous appelons monde extérieur. Le monde extérieur existe-t-il réellement? Telle est l'importante question qui se présente d'elle-même à l'esprit. Cette question se subdivise en deux autres:

1. Existe-t-il quelque chose en dehors du moi?

2. Si ce quelque chose existe, est-il tel que nous le percevons?

Pour répondre à ces deux questions, il en est une autre qu'il faut résoudre au préalable: D'où nous vient l'idée d'extériorité ou autrement dit, de non-moi?

Une idée ne peut avoir que deux sortes d'origine: ou bien elle est donnée toute faite de quelque façon à l'esprit, ou bien elle est son œuvre, elle résulte d'un certain travail intellectuel, elle est construite par lui.

Examinons donc si l'idée d'extériorité est construite?

Un certain nombre de philosophes appartenant à des écoles très différentes, ont cru pouvoir répondre oui à cette question. C'était l'avis de Cousin. C'était aussi celui de Stuart Mill. Ce philosophe est même celui qui a donné à ce sujet la théorie la plus complète. Voici, selon lui comment se construit cette idée: Nous ne connaissons rien de relatif au monde extérieur que par la sensation. La sensation, de sa nature est subjective. Il est vrai qu'aujourd'hui, quand nous avons une sensation de couleur, nous concluons immédiatement à l'existence d'un objet coloré. Mais comment en sommes-nous venus là? C'est ce qu'il faut justement expliquer. Une sensation, en elle-même, est purement affective, purement subjective. Il semble donc que la sensation ne puisse se donner l'idée d'extériorité.

Nous arrivons à cette idée par le moyen d'une division des sensations. J'entre dans une salle: j'ai la perception de la porte, puis celle d'une bibliothèque, puis celle d'une table. Chaque fois que j'entrerai, ces trois sensations se renouvelleront dans le même ordre. Dans les moments où je ne les éprouverai pas, je saurai pourtant que je puis les éprouver. Ainsi Stuart Mill appelle ces sensations sensations possibles. Il les oppose aux sensations présentes, dont la reproduction n'est pas déterminée et qu'il nomme pour cette raison sensations actuelles.

Ces deux sortes de sensation diffèrent beaucoup. Les dernières sont fugitives. Les premières au contraire sont permanentes; ces sensations possibles, se reproduisant avec régularité, demandent à être expliquées. C'est pour cela, selon Mill, que le moi leur imagine une cause distincte du moi. Puisque, dit-il, elles sont possibles, c'est qu'elles continuent à exister sans que je les perçoive; elles ne sont donc pas moi. Le non-moi ou monde extérieur se compose donc des causes des sensations possibles.

Mais ce n'est pas tout. Cet historique de l'idée d'extériorité n'explique pas entièrement la notion que nous avons du monde extérieur. Nous ne voyons pas dans le non-moi des sensations jetées au hasard, mais des corps, des substances ayant des qualités qui causent les sensations.

Il faut donc ainsi compléter cette explication: Les sensations possibles sont associées par groupes, nous apparaissent comme coexistantes: une sensation de couleur avec une sensation d'étendue, une autre de résistance, une autre de goût par exemple. Au lieu de se présenter isolées, les perceptions possibles se présentent par groupes, on a appelé objet une chose imaginée par l'esprit, et dont les diverses sensations possibles qui sont d'ordinaire groupées ensemble ne seraient que différentes qualités.

Telle est la théorie de Stuart Mill sur l'origine de l'idée de l'extériorité.

La doctrine de Mill est sujette à de graves objections: Toutes les sensations, sans exception, sont subjectives. On ne saurait donc avec elles, former une idée qui est éminemment objective. La différence qu'établit Stuart Mill entre les sensations possibles et les sensations actuelles, ne suffit nullement à montrer comment l'esprit a pu se former l'idée d'extériorité. Entre le moi et le non-moi il y a l'opposition la plus marquée. Cette opposition n'existe pas entre les sensations possibles et les sensations actuelles.

Trois [word illegible] sensations se sont produites à la suite, l'une de l'autre, dans le même ordre, à différentes reprises; l'esprit en conclura-t-il à la présence d'un objet? Ce n'est pas nécessaire. La loi qui fait que ces sensations se renouvellent ainsi peut être aussi bien attribuée à l'esprit ; on en déduira aussi bien qu'un certain nombre d'états subjectifs sont soumis à une déterminisme absolu.

De cette réfutation de la théorie de Stuart Mill ressort une connaissance générale. C'est que, pour être construite, l'idée de l'extériorité devrait avoir pour base des sensations; et, d'autre part, les sensations n'ayant aucune valeur objective, l'idée du monde extérieur ne peut être construite. Or comme nous l'avons, il s'ensuit naturellement qu'elle est donnée.

L'idée d'extériorité est donc donnée. Mais elle peut l'être de plusieurs façons. Est-elle donnée dans l'expérience, c'est-à-dire apportée toute faite à l'esprit par une ou plusieurs sensations, ou bien est-elle inhérente à la nature même de l'esprit ? Car il n'y a que ces deux manières dont l'idée puisse être donnée.

Examinons donc si l'idée d'extériorité nous est donnée dans l'expérience. Les perceptionnistes, c'est-à-dire les philosophes qui affirment que l'idée d'extériorité nous est donnée dans l'expérience, apportée pour ainsi dire toute élaborée par la sensation, se divisent en deux classes. Les uns, comme Hamilton, attribuent à toutes les sensations la propriété d'apporter cette idée. Les autres, comme Maine de Biran, la réservent au seul effort musculaire: c'est la sensation de résistance qui nous donne l'idée du monde extérieur. L'obstacle, selon ce philosophe, ne peut-être qu'un non-moi.

Nous réfuterons la première théorie en exposant les mêmes arguments que nous avons déjà dirigés contre Stuart Mill. Les sensations toutes subjectives, ne peuvent nous donner l'idée d'objectivité. Ce sont des états des modifications du moi dont la cause peut tout aussi bien être située dans le moi que dans le non-moi.

La sensation d'effort musculaire ne fait pas exception à cette règle. L'obstacle qui arrête notre mouvement peut aussi bien être dans le moi qu'en dehors et l'on peut sentir une résistance là où en réalité, il n'y a rien. [Expérience sur les hallucinations, de Foucher. Taine, De l'Intelligence, Vol. I. p. 398.]

Puisque d'une part, l'idée d'extériorité ne peut être construite, que de l'autre, la nature essentiellement subjective des sensations ne permet pas de croire qu'elle puisse être donnée dans l'expérience, c'est qu'elle est donnée en dehors de l'expérience, qu'elle dérive de la nature même de l'esprit.

Une idée qui est en nous sans y avoir été déposée par l'expérience, s'appelle une idée a priori.

Essayons de remonter plus loin et voyons comment nous est donnée cette idée a priori?

C'est que nous avons une idée plus générale, inséparable de la nature de notre intelligence, qui est celle d'espace. Cette espace nous entoure ; il est donc distinct du moi. Mais cet espace, tant que nous n'avons encore éprouvé aucune sensation, n'existe que virtuellement. Dès qu'une sensation est éprouvée, nous l'objectivons spontanément et nous situons sa cause dans l'espace. C'est ainsi que naît l'idée d'extériorité.

Mais si c'est spontanément que nous formons l'idée d'extériorité, c'est seulement par l'expérience que nous introduisons dans le désordre primitif l'ordre que nous concevons aujourd'hui; et cela, en faisant un objet de la cause des sensations possibles qui se reproduisent toujours ensemble. Si la théorie de Stuart Mill est fausse en ce qui concerne l'origine première de l'idée d'extériorité, elle est vrai en la restreignant, à la mise en ordre des sensations éprouvées et objectivées spontanément par le moi.

Nous savons maintenant d'où nous vient l'idée d'extériorité. Il semble donc que nous soyons en mesure de décider maintenant si elle correspond ou non à des objets réels situés en dehors de nous. Elle nous est donnée dans l'idée d'espace; la question pourrait donc se ramener à celle-ci: l'idée d'espace correspond-elle à une réalité objective? - Mais nous ne pouvons encore trancher cette question. Elle revient à se demander si les choses sont réellement dans l'espace. Mais pour cela, il faudrait avoir décidé auparavant s'il y a des choses, et c'est cela même que nous cherchons. La question de l'objectivité de l'idée d'espace n'est qu'une partie d'une autre question plus complexe que nous étudierons plus tard: cette question est de savoir si les lois de l'esprit sont les lois des choses.

Il faut donc procéder autrement pour savoir s'il existe réellement quelque chose en dehors du moi. Nous nous servirons pour cela d'une méthode inductive. Nous avons une sensation: il faut en déterminer la cause. Une fois cette cause déterminée si elle est en nous, nous concluerons à la non-existence du non-moi; si elle est hors de nous, nous déciderons que le monde extérieur existe.

Comment détermine-t-on la cause d'un phénomène? Voici une première manière de procéder, qui nous est offerte par la logique. Soient deux phénomènes, A et B. Si toutes les fois que A se produit, B se produit également, il y a une très forte présomption que A est la cause [Note in margin: ou la condition] de B. Inversement, si A se produit régulièrement sans que B se produise, il y a très forte présomption que A n'est pas la cause de B. Cette présomption devient une certitude si l'on établit que rien n'empêcherait A de produire son effet.

Appliquons ce principe à l'étude qui nous occupe. Je suis dans une salle. Mon moi est formé de souvenirs, d'émotions, de passions, de sensations. Je désigne par A B C ces divers états de conscience. Tout à coup, un son D se produit. Voilà une nouvelle sensation: quelle en est la cause?

Elle n'est pas en moi. [Crossed-out: Car avant elle, il n'y avait en moi que A B C et ils ne produisaient rien]. [Note in margin: des termes A B C existaient déjà avant peuvent être non-moi].

Mais peut-être un obstacle les empêchait-il de faire leur effet? Si cet obstacle existait, il était en moi ou en dehors de moi. Or, il n'était pas en moi, car il n'aurait pu être qu'un des états de conscience A B C et ces états de conscience ont persisté après que D s'est produit.

L'empêchement n'aurait donc pu venir que du dehors. Que le phénomène D ait été produit par une cause extérieure, ou empêché un certain temps par une cause extérieure, il n'en est pas moins démontré qu'il y a quelquechose d'extérieur à nous.

Voici une autre méthode que l'on peut également employer pour cette démonstration.

Si un phénomène B se produit sans être précédé par un autre phénomène A, A n'est pas la cause de B.

Appliquons ce principe: J'entre dans une salle; mon moi étant alors composé d'états de conscience divers A, B, C j'éprouve la sensation de cette salle que je désigne par D.

Au bout d'un certain temps je reviens dans cette salle, je suppose que rien n'y ait été changé. Mon moi est alors composé des états de conscience A1, B1, C1. J'entre et j'ai la sensation D.

La cause de D est-elle en moi ou m'est-elle extérieure?

Elle n'est pas en moi, car elle devrait être dans la première expérience A, ou B, ou C. Mais aucun de ces états de conscience n'existe plus dans la seconde expérience où D se produit pourtant. Aucun d'eux n'est donc la cause de D.

La cause de D est donc extérieure.

Les deux méthodes employées nous amènent à un même but résultant: l'objectivité du monde extérieur est démontrée.

Nous savons maintenant que le monde extérieur est. Mais on peut se demander ce qu'il est. Est-il tel que nous le percevons? Est-il différent? Voilà ce qui nous reste à examiner. C'est par les sens que nous percevons ce monde extérieur. Voyons donc si nos sensations diverses correspondent à des qualités naturellement inhérentes à la matière.

Or les qualités de la matière qui nous font connaître nos sensations peuvent être distribuées en deux classes bien distinctes.

Les unes n'appartiennent pas à tous les corps. On peut concevoir les corps indépendants d'elles. Enfin, elles ne sont que des formes d'autres propriétés de la matière. On appelle ces qualités, qualités secondes. Ce sont la chaleur, la couleur, le goût, l'odeur, etc. En effet, il y a des corps qui ne sont pas sapides, pas odorants. On conçoit très bien un corps sans y faire entrer l'idée de couleur ou de chaleur. Enfin la science démontre que le son, la couleur ne sont que des variétés du mouvement. On en dirait autant des autres qualités secondes.

Les autres qualités, dites qualités premières, ont les caractères inverses. Elles appartiennent à tous les corps. On ne peut concevoir un corps sans elles. Enfin on peut leur ramener les qualités secondes, alors qu' elles-mêmes sont inéluctables.

On ne compte que deux qualités premières, l'étendue et le mouvement. Tout corps est étendu et mobile. On ne peut concevoir un corps qui ne soit pas étendu ou qui ne puisse pas se mouvoir.

Cette distinction nous permet, sans préjuger de la nature du monde extérieur, de dire au moins ce qu'il n'est pas. Les qualités secondes ne sont que des apparences des formes des qualités premières, différentes uniquement par l'intervention des sens. Il ne reste donc plus à la matière que les qualités premières, et l'on arrive à cette définition provisoire:

La matière est une étendue susceptible de se mouvoir.

Mais rien ne prouve jusqu'à présent que les qualités premières appartiennent réellement au corps, et ne soient pas de simples apparences. Il faut donc examiner ce qu'il y a d'objectif dans ces idées.

Nous allons voir, que l'idée d'étendue implique contradiction. Pour cela, nous nous baserons sur ce principe: Un tout composé de parties peut toujours être nombré, ou du moins est conçu comme pouvant être nombré à l'aide de moyens plus puissants que ceux dont nous disposons.

Or l'étendue est continue, et tout ce qui est continue peut être divisé en parties semblables entre elles. Il faudra donc pouvoir nombrer l'étendue; sinon, il y aura contradiction.

Nous allons faire voir que l'étendue ne peut être divisée ni en un nombre de parties fini, ni en un nombre infini.

L'étendue ne peut être divisible en un nombre fini de parties. En effet, quelque nombre qu'on ait trouvé de ces parties, chacune d'elles sera étendue et pourra être ainsi indéfiniment divisée.

Elle ne peut être divisée en un nombre infini de parties. En effet la notion de nombre infini implique contradiction; par définition même, un nombre est susceptible d'être augmenté ou diminué indéfiniment. L'infini a le caractère opposé; il est fixe. On ne peut l'augmenter ni le diminuer. Nombre infini ne signifie donc rien.

On parle pourtant d'infini en mathématiques. Mais ce n'est là qu'un symbole. On dit qu'un polygone régulier inscrit d'un nombre de côtés infini est égal à la circonférence. Cela signifie seulement qu'en augmentant le nombre des côtés d'un polygone, la différence de son périmètre décroît constamment, et qu'on pourra par conséquent, rendre cette différence aussi petite qu'on voudra. C'est ce symbole qui permet d'appliquer à la circonférence les lois du polygone, au cône celles de la pyramide. Mais il n'y faut voir qu'un symbole.

Quand on écrit que la progression [équation] égale à l'infini l'unité, cela ne veut pas dire qu'il viendra un moment où en faisant la somme on trouvera 1; mais seulement que plus on prolonge la série donnée, plus sa différence avec l'unité est faible. Il faut donc admettre que le nombre infini n'existant pas réellement, l'étendue ne saurait être divisée en un nombre de parties infini.

Mais il est une division possible de l'étendue. C'est la division en un nombre indéfini de parties. Mais par suite de la définition de la division en parties indéfinies, on ne pourra à aucun moment compter le nombre de ces parties. Or, comme nous avons établi que tout ce qui est ensemble pourrait être nombré, et d'autre part que l'étendue était un ensemble de parties d'étendues, nous avons:

D'une part: Il est impossible de nombrer l'étendue.

De l'autre: L'étendue est nombrable.

Il y a contradiction, et l'idée d'étendue doit être rejetée comme n'étant qu'une apparence trompeuse.

Les corps ne seront donc pas étendus. D'autre part, ils sont divisibles. C'est qu'alors ils sont divisibles en parties inétendues.

De plus, le nombre de ces parties ne sera pas infini: nous avons fait voir que nombre infini impliquait contradiction. Le nombre ne sera pas indéfini: La loi du nombre ne le permet pas. Ce nombre ne pourra donc être que fini. Les corps sont donc divisibles en un nombre fini d'éléments inétendus et distincts.

On peu remarquer que la physique et la chimie sans spéculer sur la nature des corps, reconnaissent qu'ils sont formés d'un nombre fini de parties inétendues, que ces sciences nomment les atomes.

Examinons maintenant comment nous pourrons nous faire une idée de ces éléments inétendus des corps. Ils sont des êtres. On ne peut dès lors les concevoir que par analogie avec le seul être que nous connaissons, qui est le moi. Voyons donc ce que nous sommes. Nous sommes une force qui a conscience d'elle-même, qui se meut elle-même: vis sui consciea sui motria. La force que nous sommes est donnée en outre de sensibilité et d'intelligence. Il est évident qu'aucun des phénomènes que nous connaissons ne nous autorise à attribuer aux êtres que nous étudions ces deux qualités de notre moi. Reste donc seulement l'activité.

Nous pouvons donc nous représenter les éléments des corps comme semblables à ce que serait notre âme si elle avait en moins la sensibilité de l'intelligence, comme une force inconsciente. Ce sont ces forces qui limitent, qui repoussent la force qui est le moi. C'est par cela même que cette dernière force les reconnaît pour semblables à elle-même.

Nous connaissons donc maintenant la nature des corps. Ils sont formés d'un nombre fini de forces élémentaires.

L'étendue et le mouvement ne sont donc que des apparences. Pour l'étendue, c'est démontré. Pour le mouvement nous remarquons que, étant par définition un changement dans l'étendue, il n'existe plus que comme une simple apparence du moment que l'étendue n'a pas de réalité objective. La seule chose réelle est la force, des forces semblables à celle que nous sommes et qui n'ont pas besoin de l'étendue pour agir. Notre volonté peut agir sur notre intelligence. Cela se passe en dehors de l'étendue. Il en est de même du monde extérieur.

Voyons maintenant quelles sont les différentes théories faites sur le monde extérieur. On trouve d'abord deux grandes branches, l'idéalisme et le réalisme. L'idéalisme conclut à la non-objectivité du monde extérieur. Le réalisme l'accepte au contraire comme existant réellement. Notre doctrine est donc une doctrine réaliste.

Mais il y a différentes sortes de réalisme.

On peut se représenter le monde extérieur comme formé de parties d'étendue en mouvement: c'est là le mécanisme ou le dynamisme; théorie de Descartes.

On peut se le représenter comme composé d'êtres semblables à nous, chez qui la conscience est presque entièrement éteinte. Le réalisme s'appelle alors spiritualisme.

D'après cette doctrine, que nous avons acceptée, il n'y a pas dans la nature de brusque solution de continuité; depuis l'esprit parfait jusqu'à la matière inorganique, tout est esprit, tout est force. Il n'y a qu'une question de degré dans la conscience.

Quant à l'étendue, au mouvement, aux qualités premières et secondes, ce ne sont que des apparences dues uniquement à la déformation subies par les choses quand elles arrivent jusqu'à nous par l'intermédiaire des sens.

Toutes ces propriétés mortes, inertes, n'existent pas. Tout dans la nature est vivant, est animé.

Cette doctrine a ses fondements chez Aristote. Mais le plus grand génie qui y ait attaché son nom est Leibniz.

La matière est une abstraction:

On remarquera que les animaux [l'homme compris] n'ont aucun moyen de se représenter un être non vivant; ils ne connaissent qu'eux-mêmes et par eux tout le reste. On sait que les enfants personnifient tout: le feu, la cheminée, la voiture..

La conception scientifique d'une matière inerte [word illegible] du Lewes ne s'obtient que par une longue éducation qui unit l'esprit capable d'abstraire; très certainement les animaux et les sauvages n'y atteignent jamais. (The Physical Basis of Mind, 308).

Espinas, Sociétés animales, p. 413. Note.


La conscience. Des conditions de la conscience

La conscience est la faculté qui nous fait connaître les phénomènes intérieurs. Examinons comme pour les phénomènes de la perception extérieure quelles sont les conditions de la perception intérieure.

Il faut d'abord qu'il se produise une modification du moi. Tout phénomène est une connaissance. Pour qu'il y ait connaissance, il faut qu'il y ait quelque chose à connaître. Ce quelque chose est la modification psychique. C'est là l'objet de la connaissance par la conscience. C'est ce qui correspond à la première condition de la perception extérieure.

Il faut en outre un sujet de cette connaissance. Ce sujet est le moi. La seconde condition de la perception intérieure sera donc l'intervention du moi, car le moi seul connaît. Nous retrouvons donc dans la conscience toutes les conditions de la perception extérieure, sauf la nécessité d'un sens servant d'intermédiaire entre l'objet et le sujet. Telles sont les conditions de la perception intérieure.

On a dit que certains de nos phénomènes intérieurs ne présentaient pas toutes les conditions requises et ne pouvaient dès lors être observés par la conscience. Leibniz le premier a attiré sur ce point l'attention des philosophes. Le monde intérieur se composait selon lui de perceptions et d'aperceptions. Les derniers de ces phénomènes avaient seul le privilège d'être pleinement conscients. Cette idée de Leibniz a fait fortune. Une doctrine entière s'est formée de nos jours en l'ayant pour base. Les deux plus libres représentants en sont Schopenhauer: Le monde comme volonté et représentation et Hartmann: Philosophie de l'inconscient.

Il y a en effet dans le monde intérieur des phénomènes cités de tout temps par les partisans de la théorie de l'inconscient qui sont l'objet d'une conscience très faible ou nulle. En voici quelques exemples.

En se promenant sur le bord de la mer, on n'entend pas les bruits élémentaires formés par les chocs de chaque molécule d'eau contre les autres ou contre la plage. Nous n'entendons que le bruit total. Mais pour que ce résultat se produise, il faut que le moi ait subi une modification. Cette modification est la somme des modifications élémentaires. Ces modifications élémentaires se produisent donc, et nous ne les percevons pas. Voilà un premier phénomène psychique inconscient.

Sous l'influence de l'habitude, certains phénomènes d'abord conscients, deviennent inconscients. Il en est ainsi, par exemple, des mouvements nerveux qu'on appelle des tics. Le meunier n'entend plus le bruit de son moulin. Si le bruit cesse, il s'en aperçoit, preuve qu'il percevait le bruit sans en avoir conscience.

Une grande passion peut produire le même résultat. Un soldat blessé, au milieu du combat, ne sent sa blessure que la bataille une fois terminée. La douleur s'est pourtant produite, a été perçue, mais inconsciemment. Si l'on est la proie d'une idée fixe on voit les objets placés devant les yeux, mais on n'a pas conscience de cette perception. Et la preuve qu'elle a cependant réellement lieu, c'est que si un mouvement vient à se produire, on s'en aperçoit immédiatement et l'on a alors conscience de cette perception.

En outre, il arrive qu'en ayant donné à notre réflexion une impulsion consciente, le mouvement de l'intelligence continue inconsciemment. On cherche une citation qu'on ne retrouve pas. On cesse d'y songer. Au bout de quelque temps elle se représente comme d'elle-même à l'esprit. Il y a donc eu travail inconscient. Il se produit la même chose pour la solution d'un problème que l'on ne peut trouver.

Eduard de Hartmann a systématisé tous les faits qui établissent l'existence de phénomènes inconscients. Il a montré que la mémoire supposait l'inconscience, car la modification psychique qui devient consciente au moment du souvenir existait inconsciemment auparavant. Il a fait voir que l'instinct témoigne aussi manifestement de l'existence de phénomènes inconscients. En effet, si l'instinct était conscient, il supposerait chez les animaux un sens de prévision infiniment plus développé que celui des hommes. Si c'était consciemment que l'abeille bâtit les cellules destinées à recevoir son miel, il faudrait croire qu'elle sait la géométrie. On pourrait en dire autant des inexplicables instincts de la plupart des animaux.

Hartmann conclut de là que le fond du moi est formé par les phénomènes inconscients, et que les phénomènes conscients n'en sont que les conséquences. Le monde du conscient a ses racines dans le monde de l'inconscient. C'est seulement par illusion que le vulgaire place tout le moi dans le conscient. On croit avoir une fin, un but, une volonté personnelle, et l'on n'est qu'un instrument dans la main de l'Inconscient. Nous retrouvons ici les tendances pessimistes du système de Hartmann. Il faudrait donc ou se laisser tromper pour être heureux, ou se résigner à être malheureux si l'on veut se rendre compte de la vrai nature des choses.

Laissant de côté les tristes conséquences métaphysiques et morales de la doctrine de Hartmann, on peut facilement faire voir que ce système ne repose pas sur une base bien solide. Il n'est pas démontré par les exemples donnés qu'il y ait des phénomènes absolument inconscients. Tous s'expliquent aussi bien dans le cas d'une conscience extrêmement faible que dans celui d'une conscience absolument nulle. D'ailleurs, comment rentreraient-ils dans le moi conscient s'ils en étaient absolument sortis?

Cette réfutation s'appuie même sur des faits. Dans certains cas, on se souvient en réfléchissant ensuite de ce travail lent dont on n'avait pas conscience quand il se produisait. Prenons l'exemple d'une citation ou d'une solution que l'esprit cherche inconsciemment. Jusqu'au moment où elle est trouvée, l'esprit ressent une certaine tension, une certaine fatigue qu'il n'attribue à rien de précis, mais qui prouve bien que l'on a une certaine conscience de cette réflexion prétendue inconsciente.

En outre, comment se représenter un phénomène psychique inconscient? il y a contradiction. Un adage latin nous dit: Intelligere nil abud est quam sentire se intelligere. Que deviendrait un phénomène psychique qui sortirait de la conscience, et comment y rentrerait-il une fois sorti? Supposer qu'une partie de l'âme est soustraite au regard de la conscience est donc arbitraire et nous pouvons conclure contre de Hartmann qu'il n'y a pas dans la vie psychologique d'inconscience absolue.

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