Si l'on ne consulte que les chiffres absolus, les célibataires paraissent se tuer moins que les gens mariés. Ainsi, en France, pendant la période 1873-78, il y a eu 16.264 suicides de gens mariés, tandis que les célibataires n'en ont donné que 14.709. Le premier de ces nombres est au second comme 100 est à 132. Comme la même proportion s'observe aux autres périodes et dans d'autres pays, certains auteurs avaient autrefois enseigné que le mariage et la vie de famille multiplient les chances de suicide. Il est certain que si, suivant la conception courante, on voit avant tout dans le suicide un acte de désespoir déterminé par les difficultés de l'existence, cette opinion a pour elle toutes les vraisemblances. Le célibataire, en effet, a la vie plus facile que l'homme marié. Le mariage n'apporte-t-il pas avec lui toute sorte de charges et de responsabilités? Ne faut-il pas, pour assurer le présent et l'avenir d'une famille, s'imposer plus de privations et de peines que pour subvenir aux besoins d'un homme isolé[158]? Cependant, si évident qu'il paraisse, ce raisonnement a priori est entièrement faux et les faits ne lui donnent une apparence de raison que pour avoir été mal analysés. C'est ce que Bertillon père a été le premier à établir par un ingénieux calcul que nous allons reproduire[159].
En effet, pour bien apprécier les chiffres précédemment cités, il faut tenir compte de ce qu'un très grand nombre de célibataires ont moins de 16 ans, tandis que tous les gens mariés sont plus âgés. Or, jusqu'à 16 ans, la tendance au suicide est très faible par le seul fait de l'âge. En France, on ne compte à cette période de la vie qu'un ou deux suicides par million d'habitants; à la période qui suit, il y en a déjà vingt fois plus. La présence d'un très grand nombre d'enfants au-dessous de 16 ans parmi les célibataires abaisse donc indûment l'aptitude moyenne de ces derniers, car cette atténuation est due à l'âge et non au célibat. S'ils fournissent, en apparence, un moindre contingent au suicide, ce n'est pas parce qu'ils ne sont pas mariés, mais parce que beaucoup d'entre eux ne sont pas encore sortis de l'enfance. Si donc on veut comparer ces deux populations de manière à dégager quelle est l'influence de l'état civil et celle-là seulement, il faut se débarrasser de cet élément perturbateur et ne rapprocher des gens mariés que les célibataires au-dessus de 16 ans en éliminant les autres. Cette soustraction faite, on trouve que, pendant les années 1863-68, il y a eu, en moyenne, pour un million de célibataires au-dessus de 16 ans, 173 suicides, et pour un million de mariés 154,5. Le premier de ces nombres est au second comme 112 est à 100.
Il y a donc une aggravation qui tient au célibat. Mais elle est beaucoup plus considérable que ne l'indiquent les chiffres précédents. En effet, nous avons raisonné comme si tous les célibataires au-dessus de 16 ans et tous les époux avaient le même âge moyen. Or, il n'en est rien. En France, la majorité des garçons, exactement les 58 centièmes, est comprise entre 15 et 20 ans, la majorité des filles, exactement les 57 centièmes, a moins de 25 ans. L'âge moyen des premiers est de 26,8, des secondes, de 28,4. Au contraire, l'âge moyen des époux se trouve entre 40 et 45 ans. D'un autre côté, voici comment le suicide progresse suivant l'âge pour les deux sexes réunis:
/* +—————————————+————————————————————-+ | De 16 à 21 ans. | 45,9 suicides par million d'habitants. | +—————————————+————————————————————-+ | De 21 à 30 ans. | 97,9 - - | +—————————————+————————————————————-+ | De 31 à 40 ans. | 114,5 - - | +—————————————+————————————————————-+ | De 41 à 50 ans. | 164,4 - - | +—————————————+————————————————————-+ */
Ces chiffres se rapportent aux années 1848-57. Si donc l'âge agissait seul, l'aptitude des célibataires au suicide ne pourrait être supérieure à 97,9 et celle des gens mariés serait comprise entre 114,5 et 164,4, c'est-à-dire d'environ 140. Les suicides des époux seraient à ceux des célibataires comme 100 est à 69. Les seconds ne représenteraient que les deux tiers des premiers; or, nous savons que, en fait, ils leur sont supérieurs. La vie de famille a ainsi pour résultat de renverser le rapport. Tandis que, si l'association familiale ne faisait pas sentir son influence, les gens mariés devraient, en vertu de leur âge, se tuer moitié plus que les célibataires, ils se tuent sensiblement moins. On peut dire, par conséquent, que l'état de mariage diminue de moitié environ le danger du suicide; ou, pour parler avec plus de précision, il résulte du célibat une aggravation qui est exprimée par le rapport 112/69 = 1,6. Si donc, l'on convient de représenter par l'unité la tendance des époux pour le suicide, il faudra figurer par 1,6 celle des célibataires du même âge moyen.
Les rapports sont sensiblement les mêmes en Italie. Par suite de leur âge, les époux (années 1873-77) devraient donner 102 suicides pour 1 million et les célibataires au-dessus de 16 ans, 77 seulement; le premier de ces nombres est au second comme 100 est à 75[160]. Mais, en fait, ce sont les gens mariés qui se tuent le moins; ils ne produisent que 71 cas pour 86 que fournissent les célibataires, soit 100 pour 121. L'aptitude des célibataires est donc à celle des époux dans le rapport de 121 à 75, soit 1,6, comme en France. On pourrait faire des constatations analogues dans les différents pays. Partout, le taux des gens mariés est plus ou moins inférieur à celui des célibataires[161], alors que, en vertu de l'âge, il devrait être plus élevé. En Wurtemberg, de 1846 à 1860, ces deux nombres étaient entre eux comme 100 est à 143, en Prusse de 1873 à 1875 comme 100 est à 111.
Mais si, dans l'état actuel des informations, cette méthode de calcul est, dans presque tous les cas, la seule qui soit applicable, si, par conséquent, il est nécessaire de l'employer pour établir la généralité du fait, les résultats qu'elle donne ne peuvent être qu'assez grossièrement approximatifs. Elle suffit, sans doute, à montrer que le célibat aggrave la tendance au suicide; mais elle ne donne de l'importance de cette aggravation qu'une idée imparfaitement exacte. En effet, pour séparer l'influence de l'âge et celle de l'état civil, nous avons pris pour point de repère le rapport entre le taux des suicides de 30 ans et celui de 45 ans. Malheureusement, l'influence de l'état civil a déjà marqué ce rapport lui-même de son empreinte; car le contingent propre à chacun de ces deux âges a été calculé pour les célibataires et les mariés pris ensemble. Sans doute, si la proportion des époux et des garçons était la même aux deux périodes, ainsi que celle des filles et des femmes, il y aurait compensation et l'action de l'âge ressortirait seule. Mais il en va tout autrement. Tandis que, à 30 ans, les garçons sont un peu plus nombreux que les époux (746.111 d'un côté, 714.278 de l'autre, d'après le dénombrement de 1891), à 45 ans, au contraire, ils ne sont plus qu'une petite minorité (333.033 contre 1.864.401 mariés); il en est de même dans l'autre sexe. Par suite de cette inégale distribution, leur grande aptitude au suicide ne produit pas les mêmes effets dans les deux cas. Elle élève beaucoup plus le premier taux que le second. Celui-ci est donc relativement trop faible et la quantité dont il devrait dépasser l'autre, si l'âge agissait seul, est artificiellement diminuée. Autrement dit, l'écart qu'il y a, sous le rapport du suicide, et par le fait seul de l'âge, entre la population de 25 à 30 ans et celle de 40 à 45 est certainement plus grand que ne le montre cette manière de le calculer. Or, c'est cet écart dont l'économie constitue presque toute l'immunité dont bénéficient les gens mariés. Celle-ci apparaît donc moindre qu'elle n'est en réalité.
Cette méthode a même donné lieu à de plus graves erreurs. Ainsi, pour déterminer l'influence du veuvage sur le suicide, on s'est quelquefois contenté de comparer le taux propre aux veufs à celui des gens de tout état civil qui ont le même âge moyen, soit 65 ans environ. Or, un million de veufs, en 1863-68, produisait 628 suicides; un million d'hommes de 65 ans (tout état civil réuni) environ 461. On pouvait donc conclure de ces chiffres que, même à âge égal, les veufs se tuent sensiblement plus qu'aucune autre classe de la population. C'est ainsi que s'est accrédité le préjugé qui fait du veuvage la plus disgraciée de toutes les conditions au point de vue du suicide[162]. En réalité, si la population de 65 ans ne donne pas plus de suicides, c'est qu'elle est presque tout entière composée de mariés (997.198 contre 134.238 célibataires). Si donc ce rapprochement suffit à prouver que les veufs se tuent plus que les mariés du même âge, on n'en peut rien inférer en ce qui concerne leur tendance au suicide comparée à celle des célibataires.
Enfin, quand on ne compare que des moyennes, on ne peut apercevoir qu'en gros les faits et leurs rapports. Ainsi, il peut très bien arriver que, en général, les mariés se tuent moins que les célibataires et que, pourtant, à certains âges, ce rapport soit exceptionnellement renversé; nous verrons qu'en effet le cas se rencontre. Or ces exceptions, qui peuvent être instructives pour l'explication du phénomène, ne sauraient être manifestées par la méthode précédente. Il peut y avoir aussi, d'un âge à l'autre, des changements qui, sans aller jusqu'à l'inversion complète ont, cependant leur importance et qu'il est, par conséquent, utile de faire apparaître.
Le seul moyen d'échapper à ces inconvénients est de déterminer le taux de chaque groupe, pris à part, pour chaque âge de la vie. Dans ces conditions, on pourra comparer, par exemple, les célibataires de 25 à 30 ans aux époux et aux veufs du même âge, et de même pour les autres périodes; l'influence de l'état civil sera ainsi dégagée de toute autre et les variations de toute sorte par lesquelles elle peut passer seront rendues apparentes. C'est, d'ailleurs, la méthode que Bertillon a, le premier, appliquée à la mortalité et à la nuptialité. Malheureusement, les publications officielles ne nous fournissent pas les éléments nécessaires pour cette comparaison[163]. Elles nous font connaître, en effet, l'âge des suicidés indépendamment de leur état civil. La seule qui, à notre connaissance, ait suivi une autre pratique est celle du grand-duché d'Oldenbourg (y compris les principautés de Lubeck et de Birkenfeld)[164]. Pour les années 1871-85, elle nous donne la distribution des suicides par âge, pour chaque catégorie d'état civil considérée isolément. Mais ce petit État n'a compté pendant ces quinze années que 1.369 suicides. Comme d'un aussi petit nombre de cas on ne peut rien conclure avec certitude, nous avons entrepris de faire nous-même ce travail pour notre pays à l'aide de documents inédits que possède le Ministère de la Justice. Notre recherche a porté sur les années 1889, 1890 et 1891. Nous avons classé ainsi environ 25.000 suicides. Outre que, par lui-même, un tel chiffre est assez important pour servir de base à une induction, nous nous sommes assuré qu'il n'était pas nécessaire d'étendre nos observations à une plus longue période. En effet, d'une année à l'autre, le contingent de chaque âge reste, dans chaque groupe, très sensiblement le même. Il n'y a donc pas lieu d'établir les moyennes d'après un plus grand nombre d'années.
Les tableaux XX et XXI (V. pp. 182 et 183) contiennent ces différents résultats. Pour en rendre la signification plus sensible, nous avons mis pour chaque âge, à côté du chiffre qui exprime le taux des veufs et celui des époux, ce que nous appelons le coefficient de préservation soit des seconds par rapport aux premiers soit des uns et des autres par rapport aux célibataires. Par ce mot, nous désignons le nombre qui indique combien, dans un groupe, on se tue de fois moins que dans un autre considéré au même âge. Quand donc nous dirons que le coefficient de préservation des époux de 25 ans par rapport aux garçons est 3, il faudra entendre que, si l'on représente par 1 la tendance au suicide des époux à ce moment de la vie, il faudra représenter par 3 celle des célibataires à la même période. Naturellement, quand le coefficient de préservation descend au-dessous de l'unité, il se transforme, en réalité, en un coefficient d'aggravation.
TABLEAU XX
GRAND-DUCHÉ d'OLDENBOURG.
Suicides commis dans chaque sexe par 10.000 habitants de chaque groupe d'âge et d'état civil pendant l'ensemble de la période 1871-85[165].
/* +————-+——————+——-+——-+————————————————-+ |AGES. |CÉLIBATAIRES|ÉPOUX|VEUFS| COEFFICIENTS DE PRÉSERVATION DES| | | | | |——————————+——————+ | | | | | ÉPOUX | VEUFS | | | | | |——————+———-+——————+ | | | | |par rapport |par |par rapport | | | | | |aux |rapport|aux | | | | | |célibataires|aux |célibataires| | | | | | |veufs | | +————-+——————+——-+——-+——————+———-+——————+ | HOMMES. | +————-+——————+——-+——-+——————+———-+——————+ |DE 0 à 20| 7,2 |769,2| " | 0,09 | " | " | +————-+——————+——-+——-+——————+———-+——————+ | 20 à 30| 70,6 | 49,0|285,7| 1,40 | 5,8 | 0,24 | +————-+——————+——-+——-+——————+———-+——————+ | 30 à 40| 130,4 | 73,6| 76,9| 1,77 | 1,04 | 1,69 | +————-+——————+——-+——-+——————+———-+——————+ | 40 à 50| 188,8 | 95,0|285,7| 1,97 | 3,01 | 0,66 | +————-+——————+——-+——-+——————+———-+——————+ | 50 à 60| 263,6 |137,8|271,4| 1,90 | 1,90 | 0,97 | +————-+——————+——-+——-+——————+———-+——————+ | 60 à 70| 242,8 |148,3|304,7| 1,63 | 2,05 | 0,79 | +————-+——————+——-+——-+——————+———-+——————+ |Au delà. | 266,6 |114,2|259,0| 2,30 | 2,26 | 1,02 | +————-+——————+——-+——-+——————+———-+——————+ | FEMMES. | +————-+——————+——-+——-+——————+———-+——————+ | 0 à 20| 3,9 | 95,2| " | 0,04 | " | " | +————-+——————+——-+——-+——————+———-+——————+ | 20 à 30| 39,0 | 17,4| " | 2,24 | " | " | +————-+——————+——-+——-+——————+———-+——————+ | 30 à 40| 32,3 | 16,8| 30,0| 1,92 | 1,78 | 1,07 | +————-+——————+——-+——-+——————+———-+——————+ | 40 à 50| 52,9 | 18,6| 68,1| 2,85 | 3,66 | 0,77 | +————-+——————+——-+——-+——————+———-+——————+ | 50 à 60| 66,6 | 31,1| 50,0| 2,14 | 1,60 | 1,33 | +————-+——————+——-+——-+——————+———-+——————+ | 60 à 70| 62,5 | 37,2| 55,8| 1,68 | 1,50 | 1,12 | +————-+——————+——-+——-+——————+———-+——————+ |Au delà | " |120 | 91,4| " | 1,31 | " | +————-+——————+——-+——-+——————+———-+——————+ */
Les lois qui se dégagent de ces tableaux peuvent se formuler ainsi:
1° Les mariages trop précoces ont une influence aggravante sur le suicide, surtout en ce qui concerne les hommes. Il est vrai que ce résultat, étant calculé d'après un très petit nombre de cas, aurait besoin d'être confirmé; en France, de 15 à 20 ans, il ne se commet guère, année moyenne, qu'un suicide d'époux, exactement 1,33. Cependant, comme le fait s'observe également dans le grand-duché d'Oldenbourg, et même pour les femmes, il est peu vraisemblable qu'il soit fortuit. Même la statistique suédoise, que nous avons rapportée plus haut[166], manifeste la même aggravation, du moins pour le sexe masculin.
TABLEAU XXI
France (1889-1891).
Suicides commis par 1.000.000 d'habitants de chaque groupe d'âge et d'état civil, année moyenne.
/* +———-+——————-+———+——-+————————————————-+ |AGES. |CÉLIBATAIRES.|ÉPOUX.|VEUFS| COEFFICIENTS DE PRÉSERVATION DES| | | | | | ÉPOUX | VEUFS | | | | | | par | par | par | | | | | | rapport |rapport| rapport | | | | | | aux | aux | aux | | | | | |célibataires|veufs |célibataires| +———-+——————-+———+——-+——————+———-+——————+ | HOMMES. | +———-+——————-+———+——-+——————+———-+——————+ |15-20. | 113 | 500 | " | 0,22 | " | " | +———-+——————-+———+——-+——————+———-+——————+ |20-25. | 237 | 97 | 142 | 2,40 | 1,45 | 1,66 | +———-+——————-+———+——-+——————+———-+——————+ |25-30. | 394 | 122 | 412 | 3,20 | 3,37 | 0,95 | +———-+——————-+———+——-+——————+———-+——————+ |30-40 | 627 | 226 | 560 | 2,77 | 2,47 | 1,12 | +———-+——————-+———+——-+——————+———-+——————+ |40-50 | 975 | 340 | 721 | 2,86 | 2,12 | 1,35 | +———-+——————-+———+——-+——————+———-+——————+ |50-60 | 1434 | 520 | 979 | 2,75 | 1,88 | 1,46 | +———-+——————-+———+——-+——————+———-+——————+ |60-70 | 1768 | 635 | 1166| 2,78 | 1,83 | 1,51 | +———-+——————-+———+——-+——————+———-+——————+ |70-80. | 1983 | 704 | 1288| 2,81 | 1,82 | 1,54 | +———-+——————-+———+——-+——————+———-+——————+ |Au delà| 1571 | 770 | 1154| 2,04 | 1,49 | 1,36 | +———-+——————-+———+——-+——————+———-+——————+ | FEMMES. | +———-+——————-+———+——-+——————+———-+——————+ |15-20. | 79,4 | 33 | 333 | 2,39 | 10 | 0,23 | +———-+——————-+———+——-+——————+———-+——————+ |20-25. | 106 | 53 | 66 | 2,00 | 1,05 | 1,60 | +———-+——————-+———+——-+——————+———-+——————+ |25-30. | 151 | 68 | 178 | 2,22 | 2,61 | 0,84 | +———-+——————-+———+——-+——————+———-+——————+ |30-40. | 126 | 82 | 205 | 1,53 | 2,50 | 0,61 | +———-+——————-+———+——-+——————+———-+——————+ |40-50. | 171 | 106 | 168 | 1,61 | 1,58 | 1,01 | +———-+——————-+———+——-+——————+———-+——————+ |50-60 | 204 | 151 | 199 | 1,35 | 1,31 | 1,02 | +———-+——————-+———+——-+——————+———-+——————+ |70-80. | 206 | 209 | 248 | 0,98 | 1,18 | 0,83 | +———-+——————-+———+——-+——————+———-+——————+ |Au delà| 176 | 110 | 240 | 1,60 | 2,18 | 0,79 | +———-+——————-+———+——-+——————+———-+——————+ */
Or, si, pour les raisons que nous avons exposées, nous croyons cette statistique inexacte pour les âges avancés, nous n'avons aucun motif de la révoquer en doute pour les premières périodes de l'existence, alors qu'il n'y a pas encore de veufs. On sait, d'ailleurs, que la mortalité des époux et des épouses trop jeunes dépasse très sensiblement celle des garçons et des filles du même âge. Mille célibataires hommes entre 15 et 20 ans donnent chaque année 8,9 décès, mille hommes mariés du même âge 51, soit 473 % en plus. L'écart est moindre pour l'autre sexe, 9,9 pour les épouses, 8,3 pour les filles; le premier de ces nombres est seulement au second comme 119 est à 100[167]. Cette plus grande mortalité des jeunes ménages, est évidemment due à des raisons sociales; car si elle avait principalement pour cause l'insuffisante maturité de l'organisme, c'est dans le sexe féminin qu'elle serait le plus marquée, par suite des dangers propres à la parturition. Tout tend donc à prouver que les mariages prématurés déterminent un état moral dont l'action est nocive, surtout sur les hommes.
2° À partir de 20 ans, les mariés des deux sexes bénéficient d'un coefficient de préservation par rapport aux célibataires. Il est supérieur à celui qu'avait calculé Bertillon. Le chiffre de 1,6, indiqué par cet observateur, est plutôt un minimum qu'une moyenne[168].
Ce coefficient évolue suivant l'âge. Il arrive rapidement à un maximum qui a lieu entre 25 et 30 ans en France, entre 30 et 40 à Oldenbourg; à partir de ce moment, il décroît jusqu'à la dernière période de la vie où se produit parfois un léger relèvement.
3° Le coefficient de préservation des mariés par rapport aux célibataires varie avec les sexes. En France, ce sont les hommes qui sont favorisés et l'écart entre les deux sexes est considérable; pour les époux, la moyenne est de 2,73, tandis que, pour les épouses, elle n'est que de 1,56, soit 43 % en moins. Mais à Oldenbourg, c'est l'inverse qui a lieu; la moyenne est pour les femmes de 2,16 et pour les hommes de 1,83 seulement. Il est à noter que, en même temps, la disproportion est moindre; le second de ces nombres n'est inférieur au premier que de 16 %. Nous dirons donc que le sexe le plus favorisé à l'état de mariage varie suivant les sociétés et que la grandeur de l'écart entre le taux des deux sexes varie elle-même selon la nature du sexe le plus favorisé. Nous rencontrerons, chemin faisant, des faits qui confirmeront cette loi.
4° Le veuvage diminue le coefficient des époux des deux sexes, mais, le plus souvent, il ne le supprime pas complètement. Les veufs se tuent plus que les gens mariés, mais, en général, moins que les célibataires. Leur coefficient s'élève même dans certains cas jusqu'à 1,60 et 1,66. Comme celui des époux, il change avec l'âge, mais suivant une évolution irrégulière et dont il est impossible d'apercevoir la loi.
Tout comme pour les époux, le coefficient de préservation des veufs par rapport aux célibataires varie avec les sexes. En France, ce sont les hommes qui sont favorisés; leur coefficient moyen est de 1,32 tandis que, pour les veuves, il descend au-dessous de l'unité, 0,84, soit 37 % en moins. Mais à Oldenbourg, ce sont les femmes qui ont l'avantage comme pour le mariage; elles ont un coefficient moyen de 1,07, tandis que celui des veufs est au-dessous de l'unité 0,89, soit 17 % en moins. Comme à l'état de mariage, quand c'est la femme qui est le plus préservée, l'écart entre les sexes est moindre que là où l'homme a l'avantage. Nous pouvons donc dire dans les mêmes termes que le sexe le plus favorisé à l'état de veuvage varie selon les sociétés et que la grandeur de l'écart entre le taux des deux sexes varie elle-même selon la nature du sexe le plus favorisé.
Les faits étant ainsi établis, il nous faut chercher à les expliquer.