IV.

Il n'est pas impossible d'apercevoir dès maintenant de quelle nature sont ces causes.

Si l'on compare la part proportionnelle de chaque mois dans le total des suicides annuels à la longueur moyenne de la journée au même moment de l'année, les deux séries de nombres que l'on obtient ainsi varient exactement de la même manière (V. Tableau XIII).

Tableau XIII

Comparaison des variations mensuelles des suicides avec la longueur moyenne des journées en France.

/* +————-+——————-+———————+———————————————-+ | | | | COMBIEN | | | | LONGUEUR |ACCROISSEMENT | de suicides | ACCROISSEMENT | | |des jours[94]| et | par mois | et | | | | diminution | sur 1.000 | diminution | | | | | suicides | | | | | | annuels | | | | |———————+——————-+————————-+ | | |Accroissement.| | Accroissement. | +————-+——————-+———————+——————-+————————-+ |Janvier | 9 h. 19' | | 68 | | +————-+——————-+ +——————-+ + |Février | 10 h. 56' |De janvier à | 80 | De janvier à | +————-+——————-+ +——————-+ | |Mars | 12 h. 47' | avril 55 %. | 86 | avril 50 %. | +————-+——————-+ +——————-+ | |Avril | 14 h. 29' | | 102 | | +————-+——————-+———————+——————-+————————-+ |Mai | 15 h. 48' |D'avril à juin| 105 | D'avril à juin | +————-+——————-+ +——————-+ | |Juin | 16 h. 3' | 10 %. | 107 | 5 %. | +————-+——————-+———————+——————-+————————-+ | | | Diminution. | | Diminution. | +————-+——————-+———————+——————-+————————-+ |Juillet | 15 h. 4' |De juin à août| 100 | De juin à août | +————-+——————-+ +——————-+ | |Août | 13 h. 25' | 17 %. | 82 | 24 %. | +————-+——————-+———————+——————-+————————-+ |Septembre| 11 h. 39' | D'août à | 74 | D'août à octobre| +————-+——————-+ octobre +——————-+ | |Octobre | 9 h. 51' | 27 %. | 70 | 27 %. | +————-+——————-+———————+——————-+————————-+ |Novembre | 8 h. 31' | D'octobre à | 66 | D'octobre à | +————-+——————-+ décembre +——————-+ décembre | |Décembre | 8 h. 11' | 17 %. | 61 | 13 %. | +————-+——————-+———————+——————-+————————-+ */

Le parallélisme est parfait. Le maximum est, de part et d'autre, atteint au même moment et le minimum de même; dans l'intervalle, les deux ordres de faits marchent pari passu. Quand les jours s'allongent vite, les suicides augmentent beaucoup (janvier à avril); quand l'accroissement des uns se ralentit, celui des autres fait de même (avril à juin). La même correspondance se retrouve dans la période de décroissance. Même les mois différents où le jour est à peu près de même durée ont à peu près le même nombre de suicides (juillet et mai, août et avril).

Une correspondance aussi régulière et aussi précise ne peut être fortuite. Il doit donc y avoir une relation entre la marche du jour et celle du suicide. Outre que cette hypothèse résulte immédiatement du tableau XIII, elle permet d'expliquer un fait que nous avons signalé précédemment. Nous avons vu que, dans les principales sociétés européennes, les suicides se répartissent rigoureusement de la même manière entre les différentes parties de l'année, saisons ou mois[95]. Les théories de Ferri et de Lombroso ne pouvaient rendre aucunement compte de cette curieuse uniformité, car la température est très différente dans les différentes contrées de l'Europe et elle y évolue diversement. Au contraire, la longueur de la journée est sensiblement la même pour tous les pays européens que nous avons comparés.

Mais ce qui achève de démontrer la réalité de ce rapport, c'est ce fait que, en toute saison, la majeure partie des suicides a lieu de jour. Brierre de Boismont a pu dépouiller les dossiers de 4.595 suicides accomplis à Paris de 1834 à 1843. Sur 3.518 cas dont le moment a pu être déterminé, 2.094 avaient été commis le jour, 766 le soir et 658 la nuit. Les suicides du jour et du soir représentent donc les quatre cinquièmes de la somme totale et les premiers, à eux seuls, en sont déjà les trois cinquièmes.

La statistique prussienne a recueilli sur ce point des documents plus nombreux. Ils se rapportent à 11.822 cas qui se sont produits pendant les années 1869-72. Ils ne font que confirmer les conclusions de Brierre de Boismont. Comme les rapports sont sensiblement les mêmes chaque année, nous ne donnons pour abréger que ceux de 1871 et 1872:

Tableau XIV

/* +——————————————+———————————————————-+ | | COMBIEN DE SUICIDES | | |à chaque moment de la journée sur 1.000| | | suicides journaliers. | | +—————————+——————————+ | | 1871. | 1872. | +——————————————+—————-+———+————-+—————+ |Première matinée[96] | 35,9 | | 35,9 | | +——————————————+—————-+ +————-+ | |Deuxième —- | 158,3 | | 159,7 | | +——————————————+—————-+ 375 +————-+ 391,9 | |Milieu du jour | 73,1 | | 71,5 | | +——————————————+—————-+ +————-+ | |Après-midi | 143,6 | | 160,7 | | +——————————————+—————-+———+————-+—————+ |Le soir | 53,5 | 61,0 | +——————————————+—————————+——————————+ |La nuit | 212,6 | 219,3 | +——————————————+—————————+——————————+ |Heure inconnue | 322 | 291,9 | +——————————————+—————————+——————————+ | | 1.000 | 1.000 | +——————————————+—————————+——————————+ */

La prépondérance des suicides diurnes est évidente. Si donc le jour est plus fécond en suicides que la nuit, il est naturel que ceux-ci deviennent plus nombreux à mesure qu'il devient plus long.

Mais d'où vient cette influence du jour?

Certainement, on ne saurait invoquer, pour en rendre compte, l'action du soleil et de la température. En effet, les suicides commis au milieu de la journée, c'est-à-dire au moment de la plus grande chaleur, sont beaucoup moins nombreux que ceux du soir ou de la seconde matinée. On verra même plus bas qu'en plein midi il se produit un abaissement sensible. Cette explication écartée, il n'en reste plus qu'une de possible, c'est que le jour favorise le suicide parce que c'est le moment où les affaires sont le plus actives, où les relations humaines se croisent et s'entrecroisent, où la vie sociale est le plus intense.

Les quelques renseignements que nous avons sur la manière dont le suicide se répartit entre les différentes heures de la journée ou entre les différents jours de la semaine confirment cette interprétation. Voici d'après 1.993 cas observés par Brierre de Boismont à Paris et 548 cas, relatifs à l'ensemble de la France et réunis par Guerry, quelles seraient les principales oscillations du suicide dans les 24 heures:

/* +—————————————————+————————————————-+ | PARIS. | FRANCE. | +———————————-+—————+———————————+—————+ | |Nombre des| |Nombre des| | | suicides | | suicides | | |par heure | |par heure | +———————————-+—————+———————————+—————+ |De minuit à 6 heures | 55 |De minuit à 6 heures | 30 | +———————————-+—————+———————————+—————+ |De 6 heures à 11 heures| 108 |De 6 heures à midi | 61 | +———————————-+—————+———————————+—————+ |De 11 heures à midi | 81 |De midi à 2 heures | 32 | +———————————-+—————+———————————+—————+ |De midi à 4 heures | 105 |De 2 heures à 6 heures| 47 | +———————————-+—————+———————————+—————+ |De 4 heures à 8 heures | 81 |De 6 heures à minuit | 38 | +———————————-+—————+———————————+—————+ |De 8 heures à minuit | 61 | | | +———————————-+—————+———————————+—————+ */

On voit qu'il y a deux moments où le suicide bat son plein; ce sont ceux où le mouvement des affaires est le plus rapide, le matin et l'après-midi. Entre ces deux périodes, il en est une de repos où l'activité générale est momentanément suspendue; le suicide s'arrête un instant. C'est vers onze heures à Paris et vers midi en province que se produit cette accalmie. Elle est plus prononcée et plus prolongée dans les départements que dans la capitale, par cela seul que c'est l'heure où les provinciaux prennent leur principal repas; aussi le stationnement du suicide y est-il plus marqué et de plus de durée. Les données de la statistique prussienne, que nous avons rapportées un peu plus haut, pourraient fournir l'occasion de remarques analogues[97].

D'autre part, Guerry, ayant déterminé pour 6.587 cas le jour de la semaine où ils avaient été commis, a obtenu l'échelle que nous reproduisons au Tableau XV (V. ci-dessous). Il en ressort que le suicide diminue à la fin de la semaine à partir du vendredi. Or, on sait que les préjugés relatifs au vendredi ont pour effet de ralentir la vie publique. La circulation sur les chemins

Share on Twitter Share on Facebook