XXIII NUIT D’ÉVASION

Si Angus Mac-Farlane eût attendu cinq minutes pour mourir, il eût pu embrasser sa fille Anna.

En effet, la porte s’ouvrit ; un gentleman s’effaça pour laisser passer une jeune miss qui l’accompagnait : l’un était Angelo Bembo, la seconde Anna Mac-Farlane. Chacune des filles du laird devait quitter Londres avec celui qu’elle aimait : c’était écrit.

On va voir comment la sœur de Clary, à son tour, avait quitté la maison de mistress Mac-Nab, dans Cornhill. Les circonstances de sa fuite, pour être moins dramatiques, ne manquent pas pour cela d’intérêt. Dans tous les cas, le mobile était le même : l’amour. Il n’y a ni portes, ni murs pour retenir les filles amoureuses.

Quand le cavalier Angelo Bembo, après la fuite si bien combinée de Rio-Santo, sentit celui-ci en sûreté, il rôda pendant quelques instants autour de la prison. Il ne lui était pas désagréable de jouir un peu de la déconvenue des policemen ; d’autre part, il ignorait le sort de Randal Grahame et eût été fort aise de lui serrer la main pour ce qu’il venait de faire. Enfin, en troisième lieu, il désirait causer avec certains hommes de la famille cachés dans Giltspur-Street. Tout cela était fort naturel, en somme, et le cavalier était aussi en ce moment d’humeur assez joyeuse : on n’a pas toutes les nuits le spectacle d’une prison aussi redoutable que celle de Newgate, percée à jour comme un vulgaire filet et laissant échapper ses prisonniers.

Le bruit de l’évasion s’était d’ailleurs répandu avec une incroyable rapidité. On s’étonne parfois de voir les corbeaux de toute une contrée se rassembler à tire-d’aile vers un point unique où gît un cadavre et l’on se demande comment ils le savent. Les rôdeurs nocturnes de Londres agissent de même et s’abattent instantanément, comme des corbeaux, là où vient de se passer un fait. Ils aiment d’ailleurs à rôder plus particulièrement autour des prisons, qui furent plus ou moins leur demeure, et cette attirance est connue : ne voit-on pas autour de la potence ou de la guillotine, à l’aube des exécutions, tous ceux qui mériteraient le sort du supplicié ?

Tout ceci est pour dire qu’une foule déguenillée, ou pour mieux parler, une partie de la fripouille londonienne, s’était vite réunie autour de Newgate et commentait l’événement, toute prête à aller en colporter la nouvelle en l’amplifiant à sa façon. Les rôdeurs de nuit sont d’ailleurs de précieux informateurs de presse et d’aucuns émargent à la caisse des grands journaux de longtemps. Toutefois faut-il contrôler leurs dires, certains d’entre eux ayant l’imagination féconde : pour six pence, ils affirmeraient qu’ils ont vu assassiner un prince ; pour un demi-souverain, ils jureraient qu’ils ont vu la reine sortir nuitamment d’un public-house au bras d’un charbonnier et cuver son gin dans le ruisseau. Après tout, ceux qui lancent dans les grandes feuilles britanniques des insinuations malveillantes et fantaisistes contre la France sont payés davantage et ne sont pas plus consciencieux. Les uns portent des haillons, les autres des smokings : toute la différence est là.

Parmi la tourbe réunie ce soir-là autour des murs épais et dans les rues avoisinantes, deux personnages se distinguaient surtout par leur faconde. Postés au-dessus du casse-cou de Green Arbour-Court, ils renseignaient tous les arrivants sur les plus légers détails de l’évasion, distribuaient à qui en voulait un morceau du cadavre du cheval qui gisait au pied des marches, ne se gênaient pas pour manifester leur admiration à l’égard de celui qui avait franchi cette impasse où nul n’eût osé s’engager, et accompagnaient volontiers leurs dithyrambes de mordants sarcasmes à l’adresse de la police. Seuls l’honorable Bob-Lantern et son ami Snail pouvaient se gausser ainsi de l’autorité.

Ceci ne pouvait durer. La police londonienne n’aime pas à être prise en flagrant délit d’incapacité, moins encore à se l’entendre dire. Elle avait pris tant de précautions cette nuit-là que l’évasion du prisonnier était le plus violent camouflet donné à sa perspicacité ordinaire. À quoi avaient servi les postes installés dans Ludgate-Hill, dans Fleet-Lane, au bout de Cheapside, sinon à concentrer un plus grand nombre de policemen qui se regardaient maintenant avec cet air déconfit d’un renard pris au piège ? Or, l’amour-propre blessé est mauvais conseiller et les agents furieux avaient besoin de détendre leurs nerfs sur quelqu’un. Bob-Lantern et Snail semblaient être là tout exprès.

Snail s’en aperçut bien vite et remit dans sa poche le couteau avec lequel il découpait si gentiment des quartiers du cheval pour les distribuer aux pauvres de Londres, ses amis. Toutefois, s’en aller sans rien dire eût été contraire à ses principes. Il s’avança sous le nez de l’intendant du Métropolitan-Police, S. Boyne, esq., et lui tint un petit discours de la plus haute impertinence :

– Ce cheval était décidément un bête de race, Votre Honneur, dit-il d’un ton narquois. J’en emporte un filet pour ma femme Madge et nous le ferons griller tout à l’heure dans une taverne quelconque, où nous le mangerons à la santé de Votre Honneur. Mais le cheval n’était rien, à ce qu’on dit, auprès de celui qui le montait. Je voudrais bien avoir, à ce sujet, l’avis de sir Boyne, esquire et intendant du très honorable Métropolitan-Police. Si Votre Honneur voulait me dire où est le cavalier, ma femme Madge, j’en suis sûr, mangerait du cheval avec beaucoup plus de plaisir.

Or, S. Boyne, esq., n’aimait pas la plaisanterie, tant comme policier que comme homme. Il fit un signe à ses agents qui se précipitèrent. Malheureusement, il était écrit que, cette nuit-là, ils ne saisiraient que du vent. Quand leurs grosses mains se tendirent en avant, Snail était déjà loin et Bob-Lantern avec lui.

À l’intérieur de la prison, c’était bien un autre remue-ménage. Les punitions pleuvaient dru sur les sentinelles et les gardiens : le vieux Noll Brye, le porte-clés, avait été mis aux fers dans un cachot et chacun accusait son voisin d’avoir laissé échapper le prisonnier. Snail et Bob-Lantern, mis en cellule, n’eussent guère remplacé le gibier envolé et peut-être se fussent-ils envolés de même.

Les deux compères, une fois hors de la poigne des policemen, s’étaient vite arrêtés. À l’angle de Skinner-Street, ils retrouvèrent un groupe dont ils n’hésitèrent pas à s’approcher. C’étaient les gens de la Famille, dont une partie n’avait plus rien à faire là et se dispersa aussitôt. Le noyau qui restait devait dès le matin prendre le chemin de l’Écosse pour y rejoindre Rio-Santo. C’étaient Angelo Bembo, Randal Grahame, le capitaine Paddy O’Chrane, Tom Turnbull et autres, en très petit nombre. Randal était dépositaire des dernières instructions du marquis : il les dit et, au coin de Skinner-Street, il ne resta plus personne.

Le cavalier Bembo, sans savoir pourquoi, s’en alla vers Cornhill. Il s’arrêta devant la porte d’une maison où naguère il avait ramené une jeune fille dont le nom chantait encore à son oreille et dans son cœur.

La maison était sens dessus dessous : du moins en pouvait-on juger ainsi par les lumières passant et repassant sans cesse derrière les fenêtres. Il craignit qu’un malheur y fût arrivé et décida de ne point s’éloigner : peut-être son intervention pouvait-elle être utile à celle qu’il aimait ? Longtemps il demeura ainsi en observation et tout à coup son cœur bondit dans sa poitrine : à une croisée qui venait de s’ouvrir, il reconnut Anna explorant la rue de son regard où se lisait l’angoisse. Du moins, ce n’était pas elle qui était en danger et il fut rassuré à son sujet ; mais il la devina en proie à un grand chagrin. Embusqué dans l’ombre d’une porte, il n’osa point se montrer et résolut d’attendre les événements.

Un homme sortit, Bembo le reconnut aussitôt : c’était Stephen Mac-Nab. Il s’élança dans la rue comme un fou, tourmenté d’une contrariété très vive ; le cavalier le laissa passer. Pourtant Stephen ne devait pas aller loin ; à peine avait-il fait vingt pas que quelqu’un lui barra le passage en s’écriant :

– Quoi ! Votre Honneur ! ne suis-je donc pas le premier à vous apporter la nouvelle ?

– De quelle nouvelle parlez-vous ? demanda Mac-Nab, inquiet.

– Il n’y en a qu’une, repartit Donnor d’Ardagh, l’Irlandais : le marquis de Rio-Santo, qui devait être pendu à l’aube, s’est évadé, il y a une demi-heure, de la prison de Newgate.

Stephen pâlit :

– Êtes-vous fou, Donnor ? demanda-t-il, et qui vous a fait ce conte ? On ne s’évade pas de Newgate.

– Il paraît que si, Votre Seigneurie. J’ai vu le cadavre du cheval avec lequel il a franchi le casse-cou de Green Arbour-Court. Le cheval s’est brisé sur les pavés : l’homme a disparu. La chose est vraie comme j’ai droit à ma part du paradis.

Mac-Nab baissa la tête et laissa tomber ses bras le long de son corps :

– C’est étrange ! murmura-t-il, la disparition de Clary n’aurait-elle pas un rapport avec celle de ce bandit ? Il faut que je le sache.

– Je suis à vos ordres, dit Donnor d’Ardagh ; usez de moi comme il vous plaira.

– Venez, dit Mac-Nab. Ma cousine Clary Mac-Farlane a disparu, elle aussi, il y a plus d’une heure. Elle s’était couchée ce soir auprès de sa sœur, et nul ne nous dira où elle est si nous ne la retrouvons pas nous-mêmes.

– Il y a d’étranges mystères dans Londres, murmura l’Irlandais. Allons.

Les deux hommes s’éloignèrent, mais Bembo avait entendu toute leur conversation. La réflexion de Stephen surtout l’avait frappé : « La disparition de Clary n’aurait-elle pas un rapport avec celle du bandit ? »

Le dernier mot lui avait fait crisper les poings ; toutefois il avait préféré se contenir et maintenant il réfléchissait :

Si la femme en deuil, voilée et dont il n’avait pas vu le visage, n’était pas lady Ophélia, mais Clary Mac-Farlane ?

Il savait, il est vrai, bien peu de choses des secrets de son maître : cependant on ne fréquente pas un tel homme sans apprendre à son contact l’art des déductions. Au bout d’un instant, le cavalier Ange ne douta plus que la femme partie avec Rio-Santo fût la sœur d’Anna.

Que s’était-il donc passé dans la maison de mistress Mac-Nab ?

Anna se réveilla par hasard, sans savoir combien de temps elle avait dormi et, ne trouvant plus Clary auprès d’elle, commença à l’appeler à voix basse. Ne recevant point de réponse, elle se leva et se mit à parcourir sans bruit toutes les pièces où pouvait s’être réfugiée sa sœur. Vaines recherches ! Elle ne tarda pas à s’apercevoir que Clary s’était vêtue d’une robe noire qui manquait à sa garde-robe. Alors elle eut peur, elle alla frapper à la porte de Betty et, dès les premiers mots, celle-ci se mit à pousser des cris de détresse qui réveillèrent toute la maison. Quand bien même Anna l’eût voulu, il n’y avait plus moyen de cacher l’absence de Clary ; d’ailleurs, elle n’y songeait pas, en raison de son chagrin et de son inquiétude. Stephen apparut bientôt et, après de minutieuses investigations, découvrit que la porte de la rue n’était pas fermée à clef. Il fallait en conclure que la jeune fille était sortie d’elle-même et de sa propre volonté. Où était-elle allée à cette heure de nuit et par les rues si dangereuses de Londres ?

Ma pauvre sœur ! gémissait Anna dont le visage était baigné de larmes. Est-elle donc sortie depuis si peu de temps du malheur pour y retomber de nouveau ?

Stephen tremblait de colère. La fatalité était sur la famille Mac-Nab, sur les filles de Mac-Farlane, et la fatalité pour lui, c’était le marquis de Rio-Santo. Il n’avait aucun espoir en partant, cette fois encore, à la recherche de sa cousine. Ce fut bien pis quand Donnor lui apprit l’évasion du marquis : sa liberté, à lui, entraînait la disparition, l’esclavage et peut-être la honte de Clary. D’un regard, il avait pris possession d’elle, jadis, à Temple-Church, et, de ce jour-là, Clary avait été perdue pour Stephen Mac-Nab.

Celui-ci ne voulut point cependant rebrousser chemin, de peur d’apporter le découragement dans la maison ; aussi, en compagnie de Donnor d’Ardagh, s’enfonça-t-il dans la nuit, avec la persuasion que ses recherches seraient infructueuses.

Au bout d’un instant, la porte s’ouvrit de nouveau. La vieille Betty venait à son tour explorer la rue, une lanterne à la main. À son idée, elle allait voir apparaître Clary d’un côté ou de l’autre.

Il n’était plus possible à Bembo de rester dans l’ombre, où la bonne femme le découvrirait aussitôt. Il prit donc le parti de s’avancer et de lui adresser la parole :

– Qui cherchez-vous ? demanda-t-il. Y a-t-il donc quelqu’un de votre maison attardé à cette heure ? Les rues de Londres ne sont pas sûres…

Betty se rejeta d’abord vivement en arrière. Que faisait là ce personnage aux aguets dans une telle circonstance ? C’était quelque rôdeur de nuit, ou encore un faux Duncan de Leed ? Elle éleva sa lanterne et constata, non sans une vive surprise, la brillante tournure de son interlocuteur. Un gentleman aussi bien mis, correct, poli, et de figure si aimable, ne pouvait être un malfaiteur. La bonne femme était assez loquace et, pour l’instant, éprouvait le besoin de confier son chagrin à quelqu’un, fût-ce un inconnu ; peut-être celui-ci prendrait-il part à sa peine, ou pourrait-il la renseigner sur la disparition de Clary ?

– Les saints nous abandonnent, milord, gémit-elle en s’essuyant les yeux ; je ne sais vraiment ce qui se passe depuis quelque temps. N’avez-vous pas vu sortir d’ici une jeune fille, il y a un peu plus d’une heure ?

– Il y a une heure, je n’étais point dans Cornhill, répondit le cavalier.

Adroitement il questionna la servante, obtint bien vite d’elle tout ce qu’il lui importait de connaître, la plaignit et la rassura tour à tour ; finalement, sa conviction s’affermit davantage : il eût juré que la femme mystérieuse de Newgate était Clary Mac-Farlane.

Au même instant, attirée par le bruit des voix, Anna apparut dans l’entrebâillement de la porte. Elle avait ses beaux yeux tout rougis par les larmes et tenait à la main une lumière vacillante dont la clarté tomba en plein sur le visage de Bembo. La jeune fille ne put réprimer un cri, non d’effroi, mais de surprise :

– Angelo ! s’écria-t-elle.

Puis elle ajouta tout bas :

– Je me souviens de votre nom, vous l’entendez.

– Et moi du vôtre, Anna, répondit le jeune homme.

– Que venez-vous faire ici ? demanda-t-elle.

– Ce que j’ai fait quand je vous ai tirée du lord’s corner : vous servir et servir en même temps votre sœur, puisqu’il est question d’elle.

– Ma sœur est perdue ! murmura tristement Anna.

– Ne croyiez-vous point l’être vous-même ? répliqua le cavalier. Vous avez eu confiance en moi et je vous ai ramenée dans Cornhill. Voulez-vous avoir encore la même confiance et je vous conduirai près de votre sœur ?

– Vous savez donc où elle est ? vous savez qui l’a enlevée ? s’écria la jeune fille avec colère. Si vous êtes de ceux qui me l’ont prise pour la faire souffrir encore comme elle a déjà souffert, allez-vous-en ! Je n’ai plus confiance en vous ni en personne.

Était-ce là Anna, la douce jeune fille, l’enfant au visage pur dont Ange Bembo avait baisé les cheveux dans sa maison de Pimlico ? La douleur l’égarait sans doute pour qu’elle parlât aussi durement.

Le cavalier rendit sa voix encore plus douce, pour lui répondre ; cependant il y perçait quelque amertume :

– Je ne puis vous dire où nous la trouverions, dit-il ; mais là où elle est, c’est de son plein gré, entre des mains aussi sûres que vous l’étiez entre les miennes. Si vous vouliez me suivre, d’ici deux jours vous seriez avec elle et vous verriez qu’elle est libre. Si vous doutez de ma parole et de ma loyauté, je vais me retirer, madame. Je verrai sans doute miss Clary et je lui dirai que vous n’avez pas voulu venir.

Son regard honnête et tout plein de reproches croisa celui de la jeune fille : celle-ci se sentit défaillir. Bien souvent elle avait rêvé de ce beau et brave jeune homme, à qui elle devait l’honneur, peut-être la vie, et qu’elle n’avait plus espéré revoir ; bien souvent, comme Clary se répétait le nom d’Edward, elle avait répété celui d’Angelo, plus doux que le nom de Stephen ! Aujourd’hui elle le repoussait, elle venait presque de l’accuser ; et lui, profondément blessé, mais soumis et triste, se disposait à s’éloigner, cette fois sans doute pour toujours.

– Adieu, madame, dit-il, adieu pour jamais, cette fois. Des liens bien fragiles s’étaient noués un jour entre nous, si fragiles que vous venez de les rompre dans une circonstance où pourtant ils eussent pu devenir plus étroits. Vous ne le voulez point ainsi : que votre volonté soit faite ! Mon dévouement à votre personne n’en restera pas moins le même et j’emporterai le souvenir de cet instant, le dernier peut-être où il m’aura été donné de vous voir pour vous entendre dire : « Je n’ai pas confiance en vous ! » Adieu !

Miss Anna devint toute pâle. Quoi ! avait-elle donc dit cela ? Il allait partir sur cet adieu, après ce qu’il avait fait pour elle !… Et il ne reviendrait plus jamais ?

Oui, il s’en allait. Il avait fait trois ou quatre pas déjà : un cinquième, elle s’élança pour l’arrêter.

– Angelo ! s’écria-t-elle, que vous ai-je fait ?

Elle avait posé ses deux mains sur les épaules du cavalier, dans l’intention de le retenir et, dans ses yeux, il y avait des larmes.

– Me jurez-vous, demanda-t-elle, que je pourrai revenir ici quand il me plaira ?

– Si vous en doutez encore, demeurez ici, répondit-il.

– Non, je n’en doute point, gémit-elle. Ne soyez donc point méchant, vous qui êtes si bon. Tous ces mystères me brouillent la tête comme à Clary, et je ne sais plus ni où est le bien ni où est le mal.

Bembo vit qu’elle était sincère ; il lui tendit la main :

– Allez vite revêtir un costume de voyage, lui dit-il, et revenez aussitôt. Mes instants sont précieux : plus vite nous partirons, plus tôt vous reverrez votre sœur.

– Que vais-je dire à ma tante ?

– Rien. Quant à cette femme, elle répondra qu’un inconnu est venu vous chercher pour vous conduire auprès de miss Clary et que personne n’aura à se préoccuper de votre sort. Dans cinq ou six jours au plus, si vous voulez, Anna, vous serez de retour.

– As-tu entendu, Betty ? demanda la jeune fille.

– Vous vous connaissez donc ? marmonna la vieille femme. J’aurais dû m’en douter, à vous voir si beaux tous les deux et si bien faits pour être assortis. Il y a donc encore des honnêtes gens, dans ce pays où ils deviennent si rares ? Que Dieu vous protège, mes enfants, et ramenez-nous l’autre jeune maîtresse, la pauvre miss Clary.

La brave femme avait levé sa lanterne et les dévisageait avec complaisance. Bembo lui glissa deux florins dans la main.

– Hâtez-vous ! dit-il à miss Anna.

Cinq minutes après, celle-ci, au bras d’Angelo, tournait l’angle de Cornhill. Il était temps : Stephen Mac-Nab rentrait, découragé et les bras ballants.

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