XIX Sous la charmille

L’illusion s’enfuit tambour battant. Dans cette gageure qu’il avait engagée contre lui-même, Didier avait parié pour un berceau et une statue. Le berceau existait, mais ce qu’il venait de prendre pour une statue était une jeune fille en chair et en os, mademoiselle Alix de Vaunoy de La Tremlays.

La méprise du reste était fort excusable. Au moment où Didier l’avait aperçue, mademoiselle de Vaunoy lui tournait le dos. Elle était debout et immobile au centre du berceau, lisant une lettre froissée et sans doute bien souvent relue. Ses beaux cheveux noirs avaient, ce matin, de la poudre, et une robe de mousseline blanche formait toute sa toilette.

Au cri poussé par Didier, elle se retourna, comme nous l’avons dit, et le papier qu’elle lisait s’échappa de sa main.

Son premier mouvement fut de fuir, mais la réflexion la retint. Elle fit même un pas vers le coude de la charmille, où, suivant toute apparence, Didier allait se montrer.

Elle avait reconnu sa voix.

Mademoiselle de Vaunoy avait sur son visage cette pâleur qui présage de décisives résolutions. Son regard, ordinairement hardi dans sa douceur, était triste, timide et grave. Didier s’avança vers elle d’un air embarrassé. Pour prendre contenance, il se baissa et releva la lettre qu’Alix avait laissée tomber. Cette lettre était de lui. Il la reconnut et son malaise augmenta.

– C’est la lettre que vous crûtes devoir m’écrire pour m’annoncer votre départ, dit Alix avec simplicité. Je suis bien aise qu’elle soit tombée entre vos mains, vous la garderez.

Didier demeura muet. Alix reprit :

– J’ai été heureuse de vous revoir, car je me souvenais de vous comme d’un frère.

Didier l’avait appelée ma sœur dans son rêve, et bien souvent il lui était arrivé de comparer le sentiment qu’il gardait pour elle à la tendresse d’un frère. Et pourtant il demanda :

– Alix, dites-vous la vérité ?

– Je dis toujours la vérité, répondit-elle.

Elle eut un sourire grave et poursuivit :

– Parlons d’elle, je le veux.

« C’est une chère enfant. Son regard est pur comme le regard d’un ange. Son âme est plus pure que son regard. »

– De qui parlez-vous ? balbutia Didier.

– Oh ! fit Mlle de Vaunoy dont la voix devint plus sévère, vous n’avez rien à vous reprocher, je le sais ; mais ne niez pas, ce serait mal. Il y a une fraternité entre nous autres jeunes filles de la forêt. Je suis noble et riche, elle est paysanne et pauvre ; mais, enfants, nous nous sommes rencontrées souvent dans les bruyères. Nous avons joué autrefois sous les grands chênes qui protègent Notre-Dame de Mi-Forêt ; je l’avais apprivoisée, la petite sauvage ! Depuis lors, tandis qu’elle restait dans sa solitude, je faisais, moi, connaissance avec le monde ; tandis qu’elle courait libre sous le couvert, j’apprenais à porter le velours et la soie, à parler, à me taire, à sourire. Étrange destinée ! elle, dans sa solitude, moi, au milieu des somptueuses fêtes de Rennes, nous avons subi toutes deux le même sort. Dieu la destinait à l’homme que je… que je croyais souhaiter pour mari.

– Vous ne le croyez plus, Alix ?

– Un jour, il y avait deux mois que vous étiez parti, Didier, je me promenais seule dans la forêt, songeant encore aux fêtes de Mgr le comte de Toulouse, lorsque j’entendis une voix connue qui chantait sous le couvert la complainte d’Arthur de Bretagne.

– Fleur-des-Genêts ! balbutia le capitaine.

Alix sourit doucement.

– Vous savez enfin de qui je parle, Didier, dit-elle. Il y avait bien longtemps que je ne l’avais vue. Que je la trouvai belle, ce jour-là ! Elle me reconnut tout de suite et vint à moi les bras ouverts. Puis elle prit dans son panier de chèvrefeuille un beau bouquet de primevères qu’elle attacha à mon corsage, puis encore elle me parla de vous.

– De moi ! prononça involontairement Didier.

– Elle ne vous nomma point, mais je vous reconnus ; je sentis quel était mon devoir.

– Hélas ! mademoiselle, s’écria Didier, je suis bien coupable peut-être…

– Envers elle, oui, monsieur, si vous dites un mot de plus, car elle est votre fiancée.

Il y eut un moment de silence. Alix reprit :

– Quand elle sera votre femme…

Elle s’interrompit parce que le regard du jeune capitaine avait exprimé la surprise.

– Elle sera votre femme, poursuivit-elle cependant avec fermeté ; vous le voulez… et vous le devez. Elle est bien pauvre, mais vous avez votre épée, et vous n’êtes point de ceux que leur naissance enchaîne à l’orgueil !

Didier se redressa.

– Je ne suis pas gentilhomme, c’est vrai, dit-il, je le sais. Peut-être n’était-il pas besoin de me le rappeler.

Alix lui tendit la main cette fois et répliqua :

– Excusez-moi, je plaide la cause de mon amie.

Les capitaines n’aiment pas à être congédiés, même de cette façon noble et charmante.

– Mademoiselle, dit-il, la cause de Marie n’avait peut-être pas besoin d’être plaidée ; mais voyons, puisque nous sommes le frère et la sœur, noble sœur et frère de roture, j’ai bien le droit d’interroger.

– Interrogez.

– Votre conduite a-t-elle pour cause la distance qui nous sépare ?

– Non.

– Y aurait-il sous jeu un autre mariage ?

– Mon père veut en effet me marier.

– Ah ! ah !

– Mais celui qu’on me propose ne sera jamais mon mari.

– N’a-t-il pas un nom qui soit au niveau du vôtre ? demanda Didier non sans raillerie.

– C’est M. de Béchameil, marquis de Nointel, intendant royal de l’impôt.

Didier éclata de rire.

Comme s’il y avait eu de l’écho sous la charmille, un autre rire épais et bruyant retentit à une vingtaine de pas, derrière le feuillage.

– Folle que je suis ! s’écria Alix. Je ne vous ai pas dit le principal. Il n’est plus temps, ce sont eux ; à bientôt, nous nous reverrons encore une fois !

Elle s’enfuit précipitamment, laissant le capitaine étourdi de cette disparition subite.

L’éclat de rire se répéta sous la charmille. Un bruit de voix s’y joignit et bientôt, au tournant de l’allée, débouchèrent MM. de Vaunoy et de Béchameil.

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