– À quatre cuartos par famille, on te doit soixante-huit cuartos ou treize réaux et demi. Tends la main ! continua Pedro Gil.
Hadjar présenta sa main noire et velue. Pedro Gil, sans la toucher, y laissa tomber six douros en disant encore une fois :
– Voici la paye de la semaine.
Pepe, Nombres et les autres reçurent leur solde à leur tour. Le compagnon de Pedro Gil inscrivait sur ses tablettes les sommes ainsi payées, et ne prononçait pas une parole.
Bobazon se creusait la cervelle et cherchait, de bonne foi, un moyen de se présenter à ces mystérieux comptables pour recevoir aussi son appointement de la semaine.
Pendant qu’il réfléchissait ainsi, une main se posa sur son épaule, et une voix creuse murmura tout près de son oreille :
– Rustre, que fais-tu là ?
Cette main lui parut peser cent livres. Il se retourna plus mort que vif, et vit derrière lui un visage de bronze, dont les yeux flamboyants le couvaient.
Dans les demi-ténèbres qui obscurcissaient encore le fond de la cour, cette apparition prit, pour notre fidèle Bobazon, des proportions gigantesques. Le dicton espagnol prétend que le diable est derrière ceux qui écoutent aux portes. Bobazon se crut tout d’abord au pouvoir du diable. Il y a peu d’esprits forts en Estramadure. Bobazon n’avait pas beaucoup de préjugés au point de vue des idées de propriété : il confondait volontiers le tien avec le mien, par la bonne envie qu’il avait de se créer des ressources sur ses vieux jours : mais il avait peur du diable.
Par le fait, le personnage dont les doigts de fer pesaient sur son épaule avait en lui quelque chose de démoniaque et de fantastique. Il était grand. Sa peau brune empruntait aux lueurs qui venaient d’en haut des reflets cuivrés. Il portait une robe large d’étoffe moelleuse et sombre ; une écharpe brodée de métal était enroulée autour de son front.