L'Odyssée Scène 9 : Les troupeaux du dieu Soleil

Le coeur encore navré de cet horrible spectacle et de la perte de leurs compagnons, les matelots d'Ulysse aperçurent bientôt la belle île où paissaient les troupeaux du Soleil.

Or les paroles de Tirésias résonnaient toujours aux oreilles d'Ulysse. « Continuons sans nous arrêter, supplia-t-il, et évitons le péril qui nous menace ici. »

Mais un homme parla au nom de tout l'équipage.

« Tu es certainement un homme de fer, Ulysse, et tes membres ne sont jamais las. Sinon, tu laisserais tes hommes fatigués débarquer et prendre un repas chaud. Tu connais les dangers de la navigation nocturne. Comment, dans notre état d'épuisement, pourrions-nous échapper, si un vent impétueux s'élève? Passons la nuit près des navires. Le matin, nous rembarquerons. »

Ulysse sut alors qu'un dieu préparait un désastre à ses hommes. Mais il leur donna un dernier avertissement.

« Je suis seul contre tous. Mais jurez-moi solennellement que, si nous rencontrons des bestiaux ou des moutons, vous ne ferez pas de mal à un seul d'entre eux. Circé nous a donné de la nourriture, et nous pouvons avoir la vie sauve si nous ne touchons pas au bétail. »

Ils jurèrent tous, et cette nuit-là mangèrent de la nourriture du navire et se couchèrent pour dormir.

Mais dans la nuit Zeus, l'Assembleur de nuées, agita les vents irrités en une terrible tempête.

À la première lueur du jour ils tirèrent leur navire au sec. Ulysse avertit une fois de plus ses hommes de ne pas toucher au bétail du dieu. Mais comme la tempête continuait à souffler, il vit que le malheur allait les frapper. Tant que leurs réserves de blé et de vin leur fournirent de la nourriture, ils n'approchèrent pas des vaches grasses. Mais quand la faim commença à leur mordre les entrailles, ils se mirent à murmurer :

« Pourquoi mourrions-nous lentement des affres de la faim, disaient-ils, quand nous sommes entourés de nourriture ? Pourquoi ne pas emmener les plus belles bêtes pour en faire un sacrifice à Apollon, dieu du soleil, et lui promettre un beau temple quand nous rentrerons chez nous ainsi que de nombreux présents pour le remercier de nous avoir sauvé la vie? Même s'il est encore irrité et veut faire sombrer notre navire, il vaut mieux être englouti d'un coup par la vague que mourir lentement de faim sur une île déserte. »

Tandis qu'Ulysse priait les dieux, leur demandant un vent favorable, les matelots tuèrent les plus belles bêtes. Ils offrirent en sacrifice au dieu les cuisses enveloppées de graisse puis firent rôtir des morceaux succulents.

Quand Ulysse vit cela, il poussa des gémissements. Déjà, il y avait des signes terrifiants : les peaux des bêtes semblaient ramper sur le sol et la viande en train de rôtir poussait des beuglements sur les broches.

Pourtant les hommes s'assirent et festoyèrent.

Le septième jour, la tempête cessa. Ulysse et ses hommes s'embarquèrent rapidement et gagnèrent la haute mer, déployant leur voile blanche à la brise favorable.

Mais Zeus avait bien fait son plan. Ils n'eurent pas plus tôt perdu la terre de vue qu'un nuage noir vint planer au-dessus du navire, assombrissant la mer. Puis le vent d'Ouest les frappa avec la force d'un ouragan, brisant le mât et le jetant, avec son gréement, sur le pont. Un morceau du mât frappa le pilote, lui brisant le crâne, et le lançant par-dessus bord, comme un plongeur.

Puis Zeus lança sa foudre et l'éclair frappa le navire. Le navire chancela et les hommes furent projetés en tous sens. Jamais plus ils ne reverraient leur patrie. Zeus le leur refusait.

Ulysse parcourait encore le navire désemparé, que les vents entraînaient farouchement, jusqu'à ce que les vagues arrachent les bordages de la quille. Enfin il attacha deux morceaux de bois ensemble avec une lanière de cuir de boeuf. Il s'y accrocha et fut entraîné, dérivant impuissant devant l'ouragan, pendant neuf jours et neuf nuits. Le dixième jour les dieux le firent enfin échouer sur une île, plus mort que vif.

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