LE QVATRIESME LIVRE DE L’ILIADE D’HOMERE.

LES DIEVX eſtoient au Palais nompareil

De Iuppiter, aſſemblez en conſeil :

Hebé, ſert de Couppe.

Auſquelz Hebé la gentille ſeruoit
Du doulx Nectar, dont chaſcun d’eulx beuuoit

Tant & ſi bien, que la dorée Coupe,
De l’ung à l’aultre alloit parmy la troupe,

Ayans touſjours la veue & la penſée,

Sur la Cité du long Siege laſſée.

    Lors Iuppiter eſpris d’ardent deſir

De ſe mocquer de ſa Femme à plaiſir :

Pour l’irriter meit avant ung propos,

Qui la priva bien ſoubdain de repos.

    En ce combat (dict : il) qu’avez peu voir,

Dieux immortelz, je vous fais aſcavoir,

Qu’il ya deux Deeſſes qui ſoubſtienent

Menelaus, leſquelles ſe contienent

Preſentement en plaiſir & ſoulas,

Rians à part : C’eſt la forte Pallas,

Avec Iuno mais Venus gratieuſe,

D’aultre coſté eſt triſte & ſoucieuſe,

Pour ſon Paris, ayant faict grand effort

De le tirer du danger de la mort.

Bien cognoiſſant qu’il n’a force ne cueur

De reſiſter au Grec qui eſt vainqueur.

Or maintenant il convient adviſer,

Auquel des deux vouldrons favoriſer :

S’il ſera bon rengreger le diſcord

Entre les camps, ou les mectre d’accord.

Certainement une concorde ſtable,

Ne pourroit eſtre à tous deux que ſortable :

Car le Gregeois en recouvrant Heleine,

Delivreroit les ſiens de bien grand peine.

Puis la Cité de Priam, tant ventée,

Seroit touſjours de beau peuple habitée.

    Ce fainct parler les Deeſſes troubla

Trop vivement, dont leur ire doubla :

Pallas retint touteſfois ſon courroux,

Contre le Pere, & le porta tout doulx :

(Bien qu’elle fuſt enflambée, & deſpite

Tres grieſvement) Mais Iuno la ſubite

(Quoy qu’il en deuſt eſtre pour l’advenir)

Ne peut jamais ſa fureur contenir,

Et dict ainſi. Ô Mary trop moleſte,

D’ou vient cela, que ton vouloir conteſte

Contre le mien ? As tu quelque raiſon

D’uſer ainſi vers moy de Trahyſon ?

Vouldrois tu bien, la Sueur, les travaulx

Que j’ay ſouffertz, & mes divins Chevaulx,

Pour aſſembler tant de Souldardz en place,

Eſtre perduz, & de nulle efficace ?

As tu deſja trouvé quelques moyens,

Pour garantir Priam, & les Troiens ?

Or fais du tout ce que tu pourras faire :

Il adviendra touteſfois le contraire.

Moy, & les Dieux, ſi bien y entendrons,

Qu’il n’en ſera, que ce que nous vouldrons.

    Quand Iuppiter ce deſſus entendit,

Ung grand Souſpir de l’Eſtomach rendit :

Diſant ainſi. Malheureuſe Deeſſe,

Quel deſplaiſir, quel mal, quelle rudeſſe,

T’a faict Priam, & ſes Filz, que tu vueilles

Ainſi leur fin ? & ſans ceſſer te dueilles

Si tu ne vois la Troiene Cité,

Par les Gregeois, miſe en neceſſité ?

Certainement je croy que ſans la honte

Qui te retient, & ta Fureur ſurmonte,

Long temps ya que tu feuſſes en voye,

Pour t’en aller en la Cité de Troie :

Et la, par toy comme fole enragée,

À belles dentz ſeroit la chair mengée

Du Roy Priam : Cela pourroit ſuffire

Tant ſeulement à refrener ton ire.

Puis qu’ainſi va, Entreprens, Fais, Abuſe

De ton vouloir, & ſur moy ne t’excuſe.

La ne ſeras en cecy eſcondite,

Ne contre toy une parole dicte.

Mais entens bien, & mets en tes eſpritz

Ma volunté. Quand j’auray entrepris

À l’advenir pour mon ire appaiſer,

De tes Citez la plus belle raſer,

Ne penſe pas alors contrevenir

À mon décret, mal t’en pourroit venir.

Veu meſmement qu’a ton intention,

Ie me conſens à la deſtruction

De la Cité la plus riche & inſigne

Deſſoubz le Ciel, & du Roy le plus digne,

Que j’ayme mieulx, & plus doibs honorer,

Pour le devoir qu’il faict de reverer

Ma Deité, par les belles Hoſties,

À mes autelz nuyct : & jour deſparties.

    Adonc Iuno ſatiſfaiſte & contente,

Voyant venir le fruict de ſon attente

Luy reſpondit. Iuppiter j’ay trois Villes

Pleines de gens, uſans de loix civiles,

Que j’ayme bien : C’eſt Argos l’opulente,

La forte Sparte, & Mycene excellente.

Quand te plaira en faire raſer l’une,

Ou toutes troys, la reſiſtence aulcune

Ne trouveras ; Auſſi quand je vouldroye

Contrarier, certes je ne pourroye.

    Tu es trop fort : il fault qu’à ta puiſſance,

Dieux & humains preſtent obeiſſance.

Semblablement grand tort me ſeroit faict,

Si mon deſſeing demouroit ſans effect

Ie ſuis Deeſſe auſſi bien que toy Dieu :

Fille à Saturne, & née en premier lieu :

Puis c’eſt raiſon, comme ton Eſpouſée,

Que ſur tous ſoye honorée & priſée.

Vivons en paix, & ne debatons point.

Tenons les cueurs uniz, quant à ce poinct.

Et ce faiſant, la divine aſſemblée,

Souventeſfois de noz debatz troublée,

S’eſjouyra voyant ceſte union,

Et deſcendront à noſtre opinion.

Commande donc à Minerve d’aller

Diligemment au Camp renouveler

L’horrible noiſe : & que ſi bien avance,

Que les Troiens rompent la convenance.

    Adonc le Dieu, accordant ſa requeſte,

Dict à Pallas. Ma fille point n’arreſte,

Va promptement devant Troie, & ſuſcite

Couvertement le Troien exercite,

À violer l’accord deſja promis,

En aſſaillant les Grecs leurs ennemys.

    Apres ces motz, encore ung coup l’enhorte

À ſ’en aller ſoubdainement : De ſorte

Que la Deeſſe en deſcendant grand erre,

Eſpouventa ceulx qui eſtoient en terre.

Car tout ainſi, que Iuppiter envoye

Le Fouldre ardent, qui reluyt & flamboye,

Dont bien ſouvent les peuples combatans,

Ou ceulx qui ſont en la mer frequentans,

Ont grand frayeur, penſans en leur courage,

Que ce leur ſoit quelque maulvais preſage.

De meſme ſorte, ardente & enflammée

Comme une Eſtoille, au mylieu de l’armée

S’en deſcendit, dont les camps ſ’eſbahyrent.

Et lors entre eulx furent quelqu’uns qui dirent

S’eſmerveillans. Ce prodige nous monſtre

Quelque bonheur, ou malheur à l’encontre.

Ou nous aurons toſt la Paix bien heurée,

Ou ceſte guerre aura longue durée.

    Eſtant Pallas deſcendue en la plaine,

Subitement print la ſemblance humaine,

D’ung des enfans d’Antenor le vieillard,

Laodocus belliqueux & gaillard.

Puis ſans arreſt, parmy Troiens ſe meſle :

Ayant deſir ſcavoir quelque nouvelle

De Pandarus le valeureux Archer.

Tant exploita, qu’apres le long chercher,

Elle le veid garny de belles armes,

Environé d’ung nombre de Genſdarmes

Tous ſes ſubjectz, & nourriz pres du Fleuve

Dict Aſopus : leſquelz pour faire eſpreuve

De leur vertu, reputoient à grand heur,

D’avoir ſuivy ſi vaillant conducteur.

Lors ſ’approcha la Deeſſe aux vers yeulx,

En luy diſant Prince victorieux,

De Lycaon prudente geniture,

Si tu voulois accepter l’avanture

Qui ſe preſente, on te pourroit clamer,

Le plus heureux qui ſoit deca la mer.

Il eſt beſoing maintenant que tu jectes

De grand roydeur, une de tes Sagettes,

Pour tranſpercer Menelaus le fort.

Et ſi tu fais ce Martial effort,

Ô quel honeur, helas quelle grand gloire

Rapporteras, de ſi belle victoire.

Et meſmement de Paris Alexandre,

Lequel voyant ainſi le ſang eſpandre

De l’ennemy, ſi joyeux en ſera,

Que de beaulx dons te recompenſera.

Prens donc courage, & apreſte ton Arc :

Faiſant ung veu à Phœbus, que du parc

De tes brebis luy ſera faict offrande,

S’il veult permettre accomplir ta demande :

Et ſ’il te donne apres temps & povoir

De ta Cité de Zelie revoir.

À ces beaulx mots. Pandarus conſentit

Trop folement, dont puis ſe repentit.

Alors tira ſon Arc, grand & poly

Hors du fourreau, garny de cuyr boully.

Or c eſt Arc cy, par merveilleux ouvrage,

Fut faict des Cors d’une Chievre ſauvage :

Que Pandarus avoit ſi bien chaſſée,

Que ſur ung roc l’avoit aux flans bleſſée,

Et puis des Cors, par ung ouvrier ſubtil,

Feit faire l’Arc tant propre & tant gentil.

Ces Cors avoient ſeize pas en longueur,

Qui ne povoient fléchir qu’à grand rigueur :

Mais l’Artillier tellement y poſa

L’entendement, que l’arc en compoſa.

Et pour le rendre encores plus duiſant,

Feit les deux boutz d’or fin & reluiſant.

Pandarus donc, ſans vouloir guere attendre,

Tira ceſt Arc, & ſe meit à le tendre,

Et pour garder qu’on ne peuſt deſcouvrir

Son entrepriſe, il ſe feit lors couvrir

À ſes Souldardz de leurs Boucliers, afin

Que le Gregeois, trop cauteleux & fin,

Ne ſ’adviſaſt, & l’eſmeute ſoudaine,

Ne luy rendiſt ſon entrepriſe vaine.

L’arc mis en poinct, de ſon carquois il jecte

Une ferrée & piquante Sagette,

Bien empennée, & toute convenable

À donner mort, cruelle & miſerable.

Deſſus la met, & puis ſes veux adreſſe

Au Dieu Phœbus, en luy faiſant promeſſe

De beaulx Aigneaux, ſ’il luy veult octroier,

Qu’il puiſſe bien la Sagette employer.

Le veu finy, ſon Arc de force tele

Il enfonca, qu’à la droicte mammelle

Mena la Corde, & quant & quant la poincte

De la Sagette eſtoit unie & joincte

Bien pres de l’arc. Puis comme bon archer

Soubdainement ſe meit à deſcocher :

Dont le fort nerf, & l’arc en deſlachant

Feirent ung bruyt merveilleux & trenchant

Les Dieux alors ne furent de toy loing

Menelaus, il t’en fut grand beſoing.

Meſmes Pallas aux armes furieuſe,

De ton ſalut ſe monſtra curieuſe.

Car tout ainſi que la Mere regarde

Son Petit Filz endormy, & le garde

Songneuſement, que l’ennuyeuſe Mouſche

La tendre chair du viſage ne touche :

De pareil ſoing Minerve deſtourna

Le traict mortel, qui touteſfois donna

Droict au Bauldrier, & feit telle poincture,

Que la grand Boucle attachant la Ceincture,

Laquelle eſtoit d’or maſſif, fut percée :

Pareillement la Cuyraſſe faulſée,

Avec la lame, & ſi bien ſ’acrocha,

Que dans la chair du fort Gregeois toucha.

Dont toſt apres on veid yſſir le Sang.

Et tout ainſi que ſur l’yvoire blanc,

Souventeſfois les dames de Carie

Mettent la Pourpre, & font en Broderie

Pour les Chevaulx belles Rennes exquiſes,

Des Chevaliers tant aymées & quiſes :

Qui touteſfois ſont de ſi riche arroy,

Que c’eſt ung propre ornement pour ung Roy :

De tainct pareil, voire de plus beau luſtre

Fut lors la chair de ce Gregeois illuſtre,

Du ſang vermeil qui tout ſoubdain coula,

Et par la cuyſſe aux talons devala.

De ce dur coup, ſubit & violent,

Fut le grand Grec Agamemnon dolent,

Et le bleſſé ſouffrit grande douleur,

Voyant ſa playe, & changea de couleur.

Lors ſ’approcha ſon bon Frere germain,

En ſoupirant, & le print par la main.

Puis aſſiſtans la plus grand part des Grecs,

Piteuſement commencea ſes regretz.

Las (diſoit il) Ô ma ſeule eſperance

Mon Frere cher, fault il que l’aſſeurance,

Qu’on te donna aſſaillant le Troien,

Soit maintenant de ta mort le moyen ?

Te devoit on meurdrir couvertement,

Apres l’accord paſſé ſi ſainctement ?

Ou eſt la Foy devant les Dieux jurée,

De ceſte Gent meſchante & parjurée.

Helas pourra la divine Iuſtice

Diſſimuler ceſte ſaincte malice ?

Ie croy que non. Car combien que les Dieux

Facent ſemblant de ſe rendre oublieux

Par quelque temps, du forfaict des humains,

Finablement ilz y mectent les mains

Si aſprement, que la grande longueur,

Eſt convertie en cruelle rigueur.

Ainſi ſera de ces Trayſtres infames.

Car quelque jour eulx, leurs Filz, et leurs Femmes,

Seront punyz : & verront ſur leur teſte,

Tumber du ciel tres horrible tempeſte.

Ie ſcay tres bien que Troie perira

Avant long temps, & que l’on occira

Le Roy Priarn : Car la fureur divine,

Qui tous les faictz des mortelz examine,

Eſt tellement contre luy provoquée,

Qu’elle ne peult eſtre plus revoquée.

Mais quel meſchef, helas quelle triſteſſe

Ce me ſera, ſ’il fault que je te laiſſe :

Et que ton corps de la mort aſſailly,

Soit en pays eſtrange enſevely.

Las, que dira la Grece à mon retour,

Tous ceulx d’Argos, & du pays d’entour,

Sachans ta mort : Et ceulx qui ſont icy,

Auront il pas fantaſie & ſoucy

De ſ’en aller ? Laiſſans gloire proſpere,

Aux faulx Troiens, & à nous vitupere :

Laiſſans Heleine, & dont je ſuis marry

Plus griefvement, laiſſans ton corps pourry

En ce pays. Dont apres adviendra,

Que bien ſouvent quelque Troien viendra

À ton Sepulchre, & couché deſſus l’herbe,

S’eſcriera tout enflé de ſuperbe.

Or plaiſe aux Dieux, que les aultres empriſes

D’Agamemnon, ſoient à telle fin miſes,

Que ceſte cy, ou les Grecs ſejournerent

Par ſi long temps, & puis ſ’en retournerent

Honteuſement. Ainſi le pourra dire,

Le fier Troien : mais pluſtoſt je deſire,

(Dieux immortelz) que par mort je periſſe,

Et que la terre en ſ’ouvrant m’engloutiſſe.

    Menelaus (combien que la bleſſure

Le tourmentait) de contenance ſeure,

Print la parole, & ſoubdain reſpondit

Virilement à ſon Frere, & luy dict.

Rejouys toy mon Frere, & prens courage :

Car tu pourrais par ce triſte language,

Dedans l’eſprit des Grecs telle peur mectre,

Qu’on ne pourroit bonnement les remectre.

Puis je ſens bien, que le coup n’eſt pas tel,

Qu’il m’ait bleſſé juſqu’au peril mortel.

La Boucle dor de ma Ceincture belle,

Et la Cuyraſſe eſprouvée & fidele,

Deſquelz je ſuys armé tout au devant,

Ont empeſché de percer plus avant.

Or vouluſt Dieu (dict ; Agamemnon lors)

Frere & amy, que tu fuſſes dehors

De ce danger, & que le coup ſouffert,

Fuſt gueriſſable. Ung Médecin expert

Que je cognois, ſi bien te penſeroit,

Que tes douleurs noires appaiſeroit.

Diſant ces motz, à ſon Hérault commande

Taltibius, d’aller de bande en bande,

Chercher le Filz d’Eſculape le Dieu,

Dict Machaon : Luy priant qu’en ce lieu

Se vueille rendre, afin de viſiter

Menelaus, & ſa playe taſter,

Qu’ung de Lycie ou de Troie à bleſſé

En trahyſon, cuydant avoir laiſſé

À tous les Grecs infamie notoire :

Et aux Troiens trop joyeuſe victoire.

Taltibius diligemment ſ’en va

Parmy le Camp, & feit tant qu’il trouva

Le medecin, pour lors environné

D’ung Bataillon, qu’il avoit amené

Avec ques luy, de Trice ſa grand ville,

Riche en herbage, & de Chevaulx fertile.

Adonc luy feit entendre ſon meſſage,

Luy ſuppliant vouloir faire ung partage

Devers le Roy Agamemnon, pour voir

Menelaus : & à ſon mal pourvoir

Fidelement. Lequel prompt d’obeyr

Y conſentit, non ſans fort ſ’eſbahyr

De l’accident. Si ſ’en part & arrive,

Ou il trouva une troupe entendue

De princes Grecs, attendans ſa venue,

Qui bien vouloient la playe eſtre cognue.

    Incontinent ce divin perſonage.

Feit les appreſtz duyſans à ſon ouvrage.

En premier lieu, tout doulcement luy tire

La fleſche hors, ſans luy faire martire,

Et la tirant ſut l’oreille rompue


De la Sagette, & piquante, & fourchue.

De ſon Bauldrier, & ſa Cuyraſſe forte
Le deſarma tout gentement : de ſorte
Qu’il veit à l’oeil, ſi la bleſſure entroit
En lieu mortel, & combien penetroit.
    Apres qu’il eut la playe regardée,
Oſté le ſang, nettoyée, ſondée,
Y appliqua oignementz de valeur,
Ayans vertu d’appaiſer la douleur.
Leſquelz jadis, le bon Chiron apprit
À Eſculape : & Machaon en prit
Autant de luy : puis de ceſte ſcience,
Souventeſfois feit vraye experience.
    Ce temps pendant, les Troiens ſ’accoutrerent
De leurs harnoys, & aux champs ſe monſtrerent
Pour batailler. Les Grecs d’aultre coſté,
(Trop irritez de ceſte cruaulté)
Furent ſoudain en ordre bien armez :
À ſe venger ardentz & animez.
    Lors ne fut veu Agamemnon dormir,
Ne ſ’en fouyr, ou par crainte bleſmir ;
Mais comme Chef, & Roy chevalereux
Voulant combatre, & la mourir comme eulx.
Si deſcendit du Chariot Royal :
Lequel laiſſa à ſon ſervant loyal
Eurymedon, luy commandant tenir
Ses Chevaulx preſtz, & apres luy venir
Pour remonter, ſ’il ſe trouvoit laſſé,
Quand il aurait parmy les Rencz paſſé.
    Tout à beau pied il regarde, il viſite,
Les Eſcadrons de ſon bel exercite.
Et ceulx qu’il voit marcher de bon viſages,
Il les conforte, & accroiſt leur courage.

    Mes bons amys, fleurs de toute la Grece,
N’oubliez pas voſtre force & proueſſe
À ce jourdhuy : Souviene vous auſſy,
Que Iuppiter n’aura point de mercy
Des faulx Troiens, qui ont injuſtement
Ainſi faulſé leur promeſſe, & ſerment.
Voicy le jour que nous ſerons vengez :
Et que leurs corps ſeront des Chiens mengez,
Et des Vaultours : leurs maiſons ruynées,
Leur bien pillé, Filz & Femmes menées
Dans noz vaiſſeaux puis comme triumphans,
Irons reveoir noz pays & Enſans.
    Ainſi diſoit le bon Roy ; Mais à ceulx
Qu’il cognoiſſoit à marcher pareſſeux,
Il les tancoit, & uſoit de menace.
Ô deſhoneur de la Gregeoiſe race,
(Ce diſoit il) tiendrez vous quelque compte
De voſtre honeur ? N’aurez vous point de honte
De demourer ainſi craintifz & mornes,
Comme les Cerfz chargez de grandes cornes :
Qui bien ſouvent mal menez & preſſez
Par les Veneurs, ſ’arreſtent court laſſez
Emmy les champs, & la ſurpris de crainte,
Sont attrapez : car leur force eſt eſtaincte.
Attendrez vous ſans plus avant marcher,
Iuſques à tant que verrez approcher
Les ennemyz, pour voz navires prendre,
Et vous meurdrir ? Penſez vous veoir deſcendre
Quelqu’ung des Dieux, pour de mort vous ſaulver,
Sans qu’il vous faille au Combat eſprouver ?
    Apres ces motz, paſſant oultre, il s arreſte
Droict en la place ou les Souldardz de Crete

Se preparoient à l’entour de leurRoy,
Qui les rengeoyt en bel ordre & arroy.
Et ſon amy Merionés eſtoit,
Aux plus loingtains, qui tres fort les haſtoit
De ſ’avancer. Adonc le grand Gregeois
Luy dict ainſi, avec ſemblant courtois.
Idomenée entre les Roys & Princes,
Qui m’ont ſuivi des Gregeoiſes Provinces,
Ie t’ay porté honeur plus ſingulier,
Fuſt en public, ou en particulier,
Fuſt en la Guerre, ou bien quand on ſ’aſſemble
Dedans ma tente à banqueter enſemble.
Et qu’il ſoit vray je n’ay ſi grand amy,
Qui puiſſe avoir ſa Coupe que à demy
Pleine de Vin, & à toy eſt donnée
Entierement comblée, & couronée :
Voulant monſtrer, que tes faveurs ſont grandes,
Ayant de moy tout ce que tu demandes.
Monſtre toy donc au jourdhuy meriter
Ceſte faveur : Et pour bien t’acquicter,
Fay qu’on te voye, entre les plus hardiz,
Prompt au combat, comme ſouvent tu dis.
    Tu me verras au mylieu de la preſſe,
(Dict : il alors) pour tenir ma promeſſe :
Faiſant cognoiſtre à chaſcun clairement,
Que je t’honore & t’ayme cherement.
Mais toy va toſt, & fay que l’on combate
Diligemment, afin que l’on abbate
L’orgueil Troien : qui par ſon arrogance,
À violé ainſi la convenance.
    Trop fut joyeux Agamemnon de veoir
Idomenée en ſi loyal devoir.

Sur quoy le laiſſe, & vint droict rencontrer
Les deux Ajax ſe faiſans acouſtrer
De leurs harnoys. Leſquelz vue grand bande
De gens de pied, eſtenduz par la lande,
Suivoyent en ordre, & à les veoir uniz
De leurs Bouclers, & de beaulx Dardz muniz,
On euſt jugé de loinz eſtre une Nue
Pleine de greſle, ou de pluye menue :
Que le Berger voit arriver ſouvent
Devers la Mer pouſſée par le vent,
Dont tout craintif eſt contraint ſe cacher
Et ſes troupeaux, deſſoubz quelque Rocher.
    Adonc leur dict (voyant ceſte Cohorte)
La n’eſt beſoing qu’ores je vous enhorte
Mes Compaignons, vous eſtes diligens
Plus que nul aultre à ordonner voz gens.
Que pleuſt aux Dieux, qu’en ſi bel equipage,
Fuſt tout le reſte, & de pareil courage :
Noz ennemyz ſeroient toſt mis en fuyte,
Et leur Cité Sacagée & deſtruicte.
    Ces motz finiz, il paſſe plus avant,
Et vint trouver Neſtor le tres ſcavant,
Et bon Vieillard, qui mectoit ſoing & peine
À diſpoſer ſes Souldardz en la plaine.
Or avec luy avoit ce bon Neſtor,
Cinq vaillantz Ducz, Pelagon, Alaſtor,
Emon, Brias, & Chromius, pour mectre
Ses gens en ordre, & pour ne leur permettre
Son ordonnance en rien oultrepaſſer.
Premierement, il faiſoit avancer
Ses Chariotz au front, pour ſoubſtenir
Le plus grand faix, Apres faiſoit tenir

Les plus eſleuz des gens de pied Derriere :
Et au mylieu les Foibles, De maniere
Qu’eſtans encloz, tant euſſent ilz grand crainte,
Il leur faloit combatte par contrainte.
Aux Chevaliers, il enſeignoit comment
Ung homme ſeul, ne doibt aucunement
Laiſſer ſon Renc, pour l’Ennemy choquer ;
Soit pour defendre, ou pour le provoquer.
Et qu’il ne fault avoir tant defiance
En ſes Chevaulx, & moins en ſa vaillance :
Car en laiſſant ſi folement ſon ordre,
On ſ’affoibliſt, dont vient le grand deſordre.
Diſoit encor, que venant à ſe joindre
Aux Chariotz, il eſt meilleur de poindre
De coup de Lance, ou de Traict, que d’Eſpée.
Mainte Cité, fut jadis occupée
En ce faiſant, des anciens Gendarmes :
(Ce diſoit il) Maintz valeureux faiſtz d’Armes,
Ont eſté mis à execution :
Ayans ſuivy la miene intention.
    Ainſy parloit le Vieillard honorable :
Deſirant fort ſe monſtrer ſecourable
En la Bataille. Et lors Agamemnon
Luy dict ainſi. Prince de grand renom,
Or pleuſt aux Dieux, que pour ceſte journée,
Te fuſt du Ciel à mon ſouhait donnée,
Dedans ton corps, tant de force & povoir,
Comme tu as en l’Eſprit de ſcavoir.
Helas que n’eſt ta vieilleſſe laſſée
En quelque corps d’ung plus jeune paſſée.
Que ne voit on pour ce Camp ſecourir,
Ce bon Vieillard rajeunir, reflourir.

    Ie le vouldrois (dict : il) & qu’orendroit
Ie me trouvaſſe & puiſſant, & adroict :
Comme le jour qu’Ereuthalion fort,
Fut par mes mains delivré à la mort.
Mais quoy, ceſt faict jamais les Dieux ne donnent
Le tout enſemble aux hommes : mais ordonnent
Que apres jeuneſſe en tout mal adviſée,
Soit la vieilleſſe & prudente, & ruſée.
Ieune me veis, ores vieil je me treuve,
Et inutile à faire grande eſpreuve
Quant à la main : Touteſfois je ſeray
Pour le conſeil tout ce que je pourray.
L’honeur du vieil eſt à bien conſeiller :
Et du plus jeune à tres fort batailler.
Combate donc qui peult, & qu’on ſ’aſſeure,
Que de ma partie m’en vois de ceſte heure
Entre les gens de Cheval me renger,
Pour les inſtruire à leur faict diriger.
    Agamemnon ayant Neſtor ouy,
Fut en ſon cueur grandement reſjouy.
Puis, ſans aller le long de la portée
D’une grand traict d’arc, rencontra Meneſthée
Le courageux, entre les Capitaines
Et bons Souldardz de la Cité d’Athenes.
Au pres de luy en grande compaignie
Fut Vlyſſés Roy de Cephalonie,
Tous de pied coy, ſans aultrement marcher :
Mais attendans de voir eſcarmoucher
Quelques Souldardz, recommenceans la noiſe.
    Alors le Chef de l’armée Gregeoiſe,
Les accuſent comme de negligence,
Leur dict ainſi. Ou eſt ta diligence

Ô Meneſthée, & de toy Vlyſſés ?
Avez vous peur ? Qu’eſt ce que vous penſez
Qu’attendez vous ? que n’eſtes vous premiers ?
En mes banquetz, vous eſtes couſtumiers
D’eſtre au plus hault, La chair la mieulx roſtie
Vous eſt touſjours à ſoubhait deſpartie.
Et ſi de boire aſſez quelque deſir,
Le vin ſouef on vous baille à plaiſir.
Or tant ſ’en fault, que vous monſtrez haſtiſz
À batailler, que faictes les reſtifz.
Et laiſſeriez voluntiers ſans bouger,
De vos amyz dix Bandes en danger.
    Le Grec ſubtil oyant ceſte parole
Fut tres dolent, & d’une chaulde cole
Le regardant de travers, reſpondit
Filz d’Atreus qu’eſt ce que tu as dict ?
Nous penſes tu ſi Laſches & Remiz,
Pour n’approcher des Troiens ennemys ?
Ne cauſe plus mais vien, ſ’il te plaict voir
Cil qui ſera au jourdhuy ſon devoir.
Et ſi le Pere au gent Telemachus
Enfondrera Cuyraſſes & Eſcus :
Donnant premier dans la Troiene preſſe,
Autant ou mieulx que nul Prince de Grece.
    Agamemnon cognoiſſant ſon courroux,
Luy repliqua avec ung parler doulx.
Illuſtre Roy, Filz au bon Laërtés,
Tes vaillans faictz ſont experimentez
De longue main, accuſer ne te veulx :
I’aurois grand tort, tu es trop valeureux.
Le bon conſeil de ton ame prudente,
Et ta Proueſſe eſt à tous euidente.

Appaiſe toy, ſans plus te ſouvenir
De mon parler, tout au temps advenir
S’amendera. Ce pendant je te prie,
Te monſtrer tel comme chaſcun te crie :
Et que les motz que je t’ay proferez,
Sont par trop vains, & inconſiderez.
    Diſant cecy, il le laiſſe & ſ’en va
Ung peu plus oultre, auquel endroit trouva
Diomedés le Prince magnanime,
Deſſus ſon Char : non qu’il feiſt aultre eſtime
De ſ’avancer, mais illec deviſoit
Avec celuy, qui le Char conduyſoit,
Dict Stenelus, le Filz de Capanée,
Ne penſant rien faire celle journée.
    Agamemnon voyant ſa contenance,
Tout rudement à luy dire l’avance.
Filz de Tidée, hélas & que crains tu ?
Attens tu point que l’on ayt combatu
Ung bien long temps ? veultx tu que l’on te face
Premierement, par les Troiens la trace ?
Las, ton feu Pere eſtoit bien plus hardy,
Rien ne craignoit, onc ne fut eſtourdy,
Pour gref danger ou mortele Rencontre :
Ains bien ſouvent alloit ſeul à l’encontre
Des Ennemys. Ie l’ay ouy compter
À pluſieurs gens, qui l’ont voulu hanter.
Onc ne le vey, bien qu’il ayt viſité
(Comme l’on dict) Micenés ma Cité.
Meſmes au temps qu’il demenoit la guerre
Aux fortz Thebains : il y vint lors requerre
Quelque ſecours avec Polynicés,
Pour refreſchir leurs Gendarmes laſſéz.

Et vouloir on de bon cucur ſubvenir
À leur armée, & leur party tenir :
Si Iuppiter par ſignes apparentz,
N’euſt deſtourné mes Subjeſtz & Parentz.
Dont ſut contrainct, apres long ſejourner,
Sans nul ſecours, en ſon Camp retourner.
Lequel eſtoit aſſis ſur le rivage
D’Aſopus, Fleuve abondant en herbage
Illec ne feit Tidée long ſejour
Comme l’on dict : Car des le meſme jour,
De par les Grecs il fut luy ſeul tranſmis
Ambaſſadeur aux Thebains ennemys,
Et à leur Roy Eteocles nommé
Dedans la ville entra tres bien armé :
Ou il trouva devant le Roy, grand nombre
De fortz Thebains, qui deviſoient à l’ombre
Et quand il eut declairé ſon meſſage,
Il leur monſtra ſa puiſſance & courage,
Les provoquant par maniere d’eſbat
À ſ’eprouver contre luy au Combat :
Si les vainquit : Car Pallas la Deeſſe
Luy augmenta ſa force & hardieſſe.
Dont les Thebains ſe voyans oultragez,
Iurerent lors qu’ilz en ſeraient vengez
Cruellement. Et pour ce faire, meirent
Embuſche aux champs, à laquelle commirent
Le preux Meon, avec Meneptoleme
Tueur de Loupz qu’il eſtrangloit luy meſme.
Par ces deux Chefz furent adonc conduictz
Secretement Cinquante hommes tous duiſtz
À la menée, & ſ’allerent cacher
En lieu couvert penſans le depeſcher.

Qu’en advint il ? Si bien ſe defendit,
Que de ſa main tous mortz les eſtendit
Tant ſeulement de ceſte Trahyſon,
Il renvoya Meon en ſa maiſon :
À celle fin que l’on veut quelque ſigne
De leur meſchance, & de ſa force inſigne.
Tel eſtoit donc le bon Roy d’Aetolie,
Mais en ſon Filz eſt la race faillie :
Engendré l’a de trop plus belle taille,
Et mieulx parlant, mais moindre à la bataille
De pareilz motz Agamemnon piqua
Diomedés, qui point ne repliqua :
Mais ſe contint tout honteux en ſilence,
Craignant faſcher la Royale excellence.
    Son compaignon qui bien ouyt cecy,
Print la parole, & reſpondit ainſi.
Agamemnon, puis que tu ſcais les choſes
Eſtre aultrement que tu ne les propoſes,
Ie te ſupply ne vouloir deſguiſer
La verité, ne tant nous meſpriſer.
Car quant à nous je puis dire en ta face,
Que noſtre Force & vaillance ſurpaſſe
Trop grandement celle de noz vieulx Peres :
Comme plus duictz aux exploictz militaires.
La la Cité de Thebes à ſept portes
N’eut reſiſté, ne ſes murailles fortes :
(Ayant eſté de nous deux aſſiegée)
Qu’on ne l’euſt veue en brief temps ſacagée.
Ou noz Parens, pour l’avoir aſſaillie,
Y ſont tous mortz, par leur grande folie.
Parquoy tays toy, ou tes paroles change,
Donnant aux Filz plus qu’aux Peres louange.

    Diomedés fut mal content d’entendre
Son compaignon ſi durement contendre
Et le reprint avec ſemblant plein d’ire
Parlant ainſi. Mais qui te meut de dire
Tous ces propoz ? Ne pourroit on ſe taire
Sans conteſter en ſi urgent affaire ?
Agamemnon n’a pas tort de ſe plaindre,
De ceulx qu’il voit à la Guerre ſe faindre :
Car tout ainſi qu’il aura grand honeur
Eſtant vainqueur, il auroit deſhoneur
D’eſtre vaincu, La gloire ou le meſchef
De ce Combat retourne ſur ſon chef.
Et quant a nous, il fault devant les hommes
Monſtrer de faict : quelz gendarmes nous ſommes.
    Diſant cela, il deſcend en ſurſaut
Du Chariot, & en faiſant le ſault,
Son beau harnois faict de riche facon,
S’entre frappant feit ſi horrible ſon,
Qu’il n’eſt Souldard tant remply de fierté,
Qui ne ſe fuſt ſur l’heure eſpoventé.
    Lors peult on veoir les Batailles rengées
Des fortz Gregeois par ordre dirigées,
S’entreſuyvir de pres, comme les Vndes
Dedans la Mer eſpeſſes & profondes,
Sont par les ventz pouſſées au rivage :
Non ſans grand bruyt, & dangereux Orage.
    Les conducteurs ne ceſſoient d’enhorter
Les bons Souldardz, & les admoneſter :
Leſquelz voulans à leurs chefz obeyr
Marchoyent touſjours ſans de rien ſ’eſbahyr :

<poem>

Ne diſans mot, eſcoutans leur harangue : Si qu’on euſt dict quil n’avoyent point de langue.     Mais les Troiens au contraire marchans, De leur grand bruy, rempliſſoyent tous les Champs. Et les voyant ainſi ſe preparer, On les pourrait droictement comparer, Aux beaulx troupeaulx, que le Berger aſſemble : Mectant Brebiz & Aigneaux tous enſemble Dedans le Parc de ſon maiſtre ou ſ’efforce Tirer le laict dicelles à grand force. Dont les Brebiz crians haultement beſlent, Et leurs Aigneaux deſirent & appellent : Faiſans grand bruyt. Semblable crierie, Feirent Troiens parmy la grand prairie, De divers ſons, & de motz incognuz, Comme ilz eſtoient de divers lieux venuz.     Les Grecs eſtoyent à combatre animez De par Minerve, Et Troiens enflammez Du cruel Mars : Terreur, Crainte, tenoient Pour tous les deux, & leurs faictz ordonnoient. Et qui plus eſt Contention, Compaigne Et Seur de Mars, ſe monſtroit en campaigne.     Ceſte Deeſſe encor qu’à ſa naiſſance Soit bien petite, & de peu de puiſſance : Touſjours ſe haulſe & jamais ne ſ’arreſte, Qu’elle ne touche au Ciel avec la teſte : Sans touteſfois bouger les piedz de Terre. Or eſtoit elle arrivée à grand erre Expreſſement, pour ſemer des Quereles, Noyſes, Debatz, Diſſentions morteles. <poem> <poem> Dont par apres il en pourroit ſortir Pleurs, & ſouſpirs, & ung tard repentir.     Quand les deux Camps commencerent ſe veoir En lieu patent, lors ſe v nt eſmouvoir Maintz coupz de Fleſche, & de Dardes ruerent À l’approcher, & fort ſ’entretuerent. Mais quand on vint à frapper coupz de main, Le meurtre fut plus grand & inhumain. Car on n’oioyt que Regretz des mourans, Et joyeux cryz des vainqueurs demourans : Faulſer Harnoyz, percer & rompre Eſcuz : Telz ſe braver, qui puis eſtoient vaincuz : Et du Chaplis & meurtre nompareil, Inceſlamment couler le ſang vermeil.     Et tout ainſi que les Eaux qui deſcendent     De la Montaigne, & par le val ſ’eſpandent, Sont tres grand bruyt, dont le Paſteur qui loge Bien loing de la, de ſa petite Loge Entend le ſon :Ne plus ne moins eſtoient Ouyz de loing, ceulx qui lors combatoient.     Antilochus entre les Grecs Gendarmes Tres renommé, feit le premier faict d’Armes : Car il occit Echepolus, eſtant Au premier Renc des Troiens combatant. Il le frappa au plus hault du Pennage De ſon Heaulme & puis de grand courage Doubla le coup, tant que la Poincte dure De ſon Baſton, feit au Front ouverture, Et penetra juſques dedans la Bouche, Dont de ce coup mort eſtendu le couche.

<poem>

Lequel tumba, comme faict une Tour
Quand on la Mine, ou la Sappe à l’entour.
Elephenor le voyant abbatu,
Penſoit bien faire exploit de grand vertu,
En ſ’efforcant le Corps mort deſpouiller :
Mais Agenor feit tout ſoubdain ſouiller
Son javelot en ſes Flans deſcouvers :
Dont il mourut, & cheut tout à l’envers.
    Sur ces deux mortz rengregea le debat,
Et fut plus aſpre & mortel le Combat :
Se courantz ſus, comrne Loupz raviſſans,
Pour ſe tuer, l’ung l’aultre choyſiſſans.
    Le Preux Ajax la deſſus arriva,
Qui de la vie incontinent priva
Simoſius. Simoſius eſtoit
Ung jouvenceau, qui Troie frequentoit :
Ainſi nommé entre ſes amyz, Pource
Qu’il eſtoit né pres de la claire Source
De Simois, & la, ſa Mere enceincte
À l’enfanter avoit eſté contraincte :
Eſtant venue à voir le paſturage
De ſes troupeaux, deſſus le verd Rivage
Or n’eut jamais ce jeune homme puiſſance,
De faire honeur, ou bien recognoiſſance
De vraye amour, envers ſes Pere & Mere,
Obſtant la mort, trop haſtiſve & amere,
Qu’il receut lors, par la Lance cruelle
Du fort Ajax, ſoubz la droite Mammelle :
Dont il tumba, ainſi qu’ung Peuplier verd
Droict & haultain, de grans branches couuert,

Creu pres de l’eau, que le fort Charpentier
De ſa Coignée abbat à Terre entier :
Pour en apres en faire belles Roues
De Chariot, boys propre pour les boues :
Et puis long temps le laiſſe deſſecher
Pres de la Rive, ou ſur quelque Plancher.
    Voyant cecy le puiſſant Antiphus
Filz à Priam, tout de douleur confus
Pour le venger ſon beau Dard eſbranla,
Cuydant frapper Ajax : mais il vola
Sans le toucher, & vint bleſſer au Ventre
Leucus amy d’Vlyſſés, & luy entre
Si tres avant dans les boyaulx, & Leine,
Que de ce coup il reccut mort ſoubdaine.
    Quand Vlyſſés veit occis ſon amy,
Plein de fureur il ſe jecte parmy
Les premiers Rengz des Troiens, & adviſe
Sur qui pourroit faire plus belle empriſe.
Les ennemys luy feirent bien toſt place :
Et ſ’eſcartoy ent voyans ſa fiere audace.
Ce nonobſtant, ſon javelot envoye
Trop rudement, & trouvepar la voye
Democoon du Roy Priam Baſtard,
Qui ſ’en fuyoit, mais c’eſtoit ung peu tard :
Car de ce coup les Temples luy percea
De part en part, dont la vie laiſſa.
Le Roy Priam l’avoit long temps tenu
En Abidos : dont il eſtoit venu,
(Y delaiſlſant les Chevaulx & montures
Dudict Priam) pour cercher aduentures.

    Lors que Troiens veirent ainſi le filz
De leur Roy mort, comme tous deconfitz
Se retiroient, prenans quaſi la fuyte :
Meſmes Hector, qui avoit la conduycte
De leur Armée, eut alors, quelque envie
De ſ’en aller, pour n’y perdre la vie.
    Certainement la Guerre eſtoit finée,
Si Apollo n’euſt la Chance tournée,
Lequel voyant des ſacrées murailles
Troiens rompuz, & laiſſer leurs batailles,
En ſ’eſcriant, ſoubdain les arreſta,
Et à combatre encor les enhorta.
    Reprenez cueur, fortz Troiens je vous prie,
Sans craindre tant l’Audace & Braverie
De ces Gregeois, les penſez vous de Pierre
Ou bien de Fer, que voſtre Cymeterre,
Ne voz grans Dardz, ne les puiſſent percer :
Et de voz mains à la mort les bleſſer.
Pouſſez, pouſſez, & que chaſcun ſe fie
D’eſtre vainqueur. Car je vous certifie
Que le puiſſant Achillés qui ſouloit
Vous ennuyer ſi ſouvent qu’il vouloit,
Ne combat plus : ains eſt en ſon Navire
Ou il ſe deult, & digere ſon ire.
    Au cry Divin fut la dure Meſlée
Par les Troiens encor renouvellée.
Minerve auſſy les Gregeois anima
De ſon coſté, & les laſches blaſma.
    En ce conflict demoura mort en place
Dioreus, que le Prince de Thrace

Nommé Pirtus ſur la jambe bleſſa

D’ung grand Caillou, & les os luy froiſſa

Avec les nerfz. Apres de ſon Eſpée

Luy fut encor la poitrine coupée,

Et les Boyaux deſſus l’herbe eſpanduzt

Dont il mourut, ayant les bras tenduz

Devers les Grecs comme querant ſecours :

Surquoy Thoas y courut à grand cours

Et d’ung grand coup de ſa Darde mortele

Naura Pirus, & fut la playe tele

Soubz le Tetin, que le fer ſ’arreſta

Dans le Poulmon.Pas ne ſe contenta

De ce coup la, mais ſans nulle pitié

Il luy tailla le Ventre par moitié

De ſon Eſpée : Et cela faict ſ’efforce

À le trayner hors de la preſſe à force,

Pour conquérir ſon harnois & veſture.

    Les Thraciens marriz de l’adventure

De leur Seigneur, ſe meirent en defence :

Deliberez de faire reſiſtence

Au preux Thoas : Ce qu’ils feirent ſi bien,

Tant fuſt il fort, qu’il n’en emporta rien.

Ainſi les corps de ces deux vaillans Ducz,

L’ung pres de l’aultre en la terre eſtenduz,

Et avec eux de gendarmes grand nombre,

Receurent mort par dangereux encombre.

    Et quand Minerve euſt lors permis parler

Parmy les Camps (ſans le laiſſer bleſſer)

Ung vieil Souldard, tant ſeulement pour voir

Leſquelz faiſoient adonc mieulx leur devoir,

Il eut iuré (tout remply de merueille)

N’auoir onc veu Occiſion pareille.

FIN DV QVATRIESME LIVRE.

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