LE SECOND LIVRE DE L’ILIADE D’HOMERE.

LES DIEVX haultains, & les hommes auſsi,

Iuppiter ne peult dormir, pour le ſoing qu’il a d’Achillés.

Toute la nuyct dormirent ſans ſoucy.

Iuppiter ſeul, records de la promeſſe

Qu’il auoit faicte à Thetis la Deeſſe,

Fut ſans repos, ne ceſſant de penſer

Quelque moyen, pour Achillés haulſer

En grand honneur : & mouuoir quelque noiſe,

Au grief danger de l’armée Gregeoiſe.

Iuppiter parle au Dieu du ſonge.

    Si feit venir vers ſoy le Dieu des ſonges

Pernicieux, & porteur de menſonges :

Auquel il dict. Songe malicieux

Laiſſe ſoubdain le manoir des haultz cieux,

Et t’en deſcends promptement au nauire

D’Agamemnon, auquel tu pourras dire

Que de par moy bien exprés luy commandes,

Qu’il face armer toutes les Grecques bandes.

Car à preſent conuient que ſon empriſe

Soit acheuée, & que Troie ſoit priſe :

Veu que les Dieux diuiſez & partiz

(Quand à ce poinct) ores ſont conuertiz,

Perſuadez de Iuno, qui ſouhaite

De veoir en brief ceſte Cité deffaicte.

Le Songe vient trouuer Agamẽnon, & parle à luy.

    Le Dieu du ſonge (oyant le mandement

De Iuppiter) partit diligemment,
Et vint trouuer Agamemnon, ſurpris
De doulx ſommeil, recreant ſes eſpritz.
De luy ſ’approche : & ſe rendant ſemblable
Au bon Neſtor le vieillard honorable,
Luy diſt ainſy. Filz d’Atreus vaillant,
Dors tu icy ? ou ſi tu es veillant ?

Vng prince en guerre ne doibt dormir la nuyct entiere.

» Pas n’eſt raiſon qu’vng Prince ayant la charge

» De tant de gens, d’oyſiueté ſe charge :
» Car le ſoucy luy doibt donner matiere,
» De ne dormir ainſy la nuyct entiere.
Or entens donc ce que Iuppiter veult,
Qui tant t’honore, & de ton mal ſe deult,


Il te commande, & veult que tu ne failles,


Demain matin à renger tes batailles :
Car c’eſt le jour que la Cité de Troye,
Sera des Grecs entierement la proye.
Les dieux ne ſont ores plus diſcordans
Pour ceſt effect, ains à meſme tendans :
Voulans complaire à Iuno l’embraſée,
De grand ardeur de veoir Troye raſée :
À quoy auſſi Iuppiter ſ’eſt rengé,
Se cognoiſſant des Troyens outragé.
Or garde toy, & feras comme ſage,
À ton reſveil d’oublier mon meſſage.
    Lors ſ’envola laiſſant l’entendement
D’Agamemnon moleſté grandement :
Qui diſcouroit, comment pourroit parfaire
Choſe pour lors, tres mal ayſée à faire.
Certainement il luy doit à ce jour
Deſtruire Troye, & ſe mettre en ſejour :
Mais le grand fol eſtoit loing de ſon compte,
Car Iuppiter preparoit une honte
Et grand malheur (par ſes divins moyens)
À tous les deux, & Gregeois, & Troyens.
    Il ſe leva : & ſur ſa couche belle
Eſtant aſſis, & veſtit robe nouvelle :
Puis ſ’affubla d’un manteau grand & large,
Et quant & quant ſes piedz delicatz charge
De beaux ſouliers. Apres ceint une eſpée
De clouz d’argent ornée & diaprée.
Ainſy veſtu, & tenant en ſa dextre
Son paternel & non corrompu ſceptre,
Sort de ſa tente, & aux neſz ſ’eſt rendu,
Pour adviſer ſur le faict entendu.
    Sus le droict poinct qu’Aurora ſ’en montoit
Au hault Olympe, & la clarté portoit
Aux immortelz, avant le clair Souleil :
Agamemnon feit ſemondre en conſeil,
(Par ſes Heraulx, crians à haulte voix)
Grans, & petitz, de tout le camp Gregeois.
    Chaſcun y vint : mais avant reveler
Le tout au peuple, il voulut appeller
Ung peu à part les plus vieulx de l’armée.
Dont la prudence eſtoit mieulx eſtimée :
Auſquelz, eſtans dans le vaiſſeau aſſis
Du bon Neſtor il dict de ſens raſſis.
    Oyez, amys, ce que la nuict paſſée
Le divin Songe a mis en ma penſée.
Il eſt venu reſſemblant proprement
À ce vieillard, & m’a dict clairement :
Filz d’Atreus, fault il que tu repoſes
Lors qu’il convient penſer à autres choſes ?
L’homme prudent, ſubgect : a tant d’ennuys,
Ne doibt dormir ainſy toutes les nuictz.
Eſcoute donc ce que je te veulx dire
De par le Dieu Iuppiter qui deſire
L’advancement de ta grand renommée
Il te commande à renger ton armée
Demain matin, en ordre de combatre :
Car c’eſt le jour que tu pourras abatre
L’orgueil Troien, & prendre leur Cité
Les dieux ne ſont plus en diverſité
Pour les ſaulver Iuno leur ennemye,
Leur à ſi bien la penſée endormie,
Qu’ilz ſont d’accord : & meſmes Iuppiter
Contre Priam ſ’eſt voulu deſpiter.
    Ces mots finiz, le ſonge ma laiſſé
Et ie me ſuis devers vous adreſſé,
À celle fin, amys, que l’on adviſe,
Comme on pourra fournir ceſte entrepriſe.
En premier lieu, avant ſe mettre en armes,
I’eſprouveray le cueur de noz Gendarmes,
(Si bon vous ſemble) & ſouz ung doulx parler
Conſeilleray à tous de ſ’en aller,
En leurs maiſon : mais vous d’aultre coſté
Contredirez à ceſte volonté,
Les contraignant de parole, & de faict,
De ſ’arreſter, tant que tout ſoit parfaict.
    Adonc Neſtor, qui tres bien eſcouta
Agamemnon, debout ſe preſenta,
Diſant ainſy. Ô princes de renom,
Si l’un de nous autre qu’Agamemnon,
Nous racontoit avoir veu pareil ſonge,
Nous penſerions, pour vray, que fuſt menſonge :
Et quant & quand ſeroit à grand riſée
En nous mocquant, ſa fable refuſée.
Mais pour-autant que ſ’il qui le recite,
Eſt le plus grand de tout noſtre exercite,
Croire le fault. Parquoy ſans plus attendre
Ie ſuis d’advis que nous devons entendre
À ce qu’il dict, enhortant noz ſouldars,
De mettre au vent les Gregeois eſtendars.
    L’opinion de Neſtor fut trouvée
Alors treſbonne, & de tous approuvée,
Et ſur ce poinct, Agamemnon ſe part,
Suivy des Roys, pour tirer celle part.
Ou tout le peuple acouroit de grand zele,
Cuydant ouir quelque choſe nouvelle.
    Qui, aura veu mouſches à miel ſoigneuſes,
Sur le printemps ſortir des roches creuſes,
Et voletans à troupes & monceaux,
Sentir les fleurs des petitz arbriſſeaux :
Penſe qu’ainſy ſortoient de routes pars,
Grands & petitz, en divers lieux eſpars,
Suyvans leurs Chefz, & d’un ardant courage
S’aſſembloient tous ſur le bord du rivage.
    La Renommée à ſon aeſle legiere,
De Iuppiter tres prompte Meſſagiere,
Voloict par tout : & à voix redoublée,
Les incitoit d’aller à l’aſſemblée
Dont au grand bruit du peuple qui venoit,
Trembloit la terre, & l’air en reſonnoit.
Heureux eſtoit qui pouvoit d’aventure
Place trouver entre tant de murmure,
L’un preſſoit l’autre : & avec ce preſſer,
Taſchoit touſjours de plus pres ſ’avancer.
Mais les heraux par neuf fois tant crierent,
Qu’on feit ſilence, & les Grecs tant prierent
D’ouïr leur Roys, que chacun ſ’appareille
À leur preſter & l’eſprit & l’aureille.
    Agamemnon ce pendant ſ’appreſta,
Et ſur un lieu bien eminent monta,
Tenant en main le beau ſceptre doré,
Du dieu Vulcan jadis elaboré :
Qui le bailla par tres ſoigneuſe cure,
À Iuppiter, Iuppiter à Mercure,
Mercure apres en preſent le donna
Au grand Pelops : Pelops l’abandonna
À Atreus : & Atreus mourant.
Au fort Thieſte, avec le demourant.
Ce Sceptre apres vint en poſſeſſion
D’Agamemnon, par la ſucceſſion,
Du bon pays d’Argos, & autres villes,
En terre ferme avec ques belles iſles.
Se contenant donc ſur ce Royal ſceptre,
Iadis porté par Pelops ſon anceſtre,
Premierement ſon regard addreſſa
Deſſus le camp, puis ainſy commenca.
    De grieſve playe, & mal inſupportable,
(Ô peuple Grec, par armes indomptable)
M’a Iuppiter grandement affligé :
Et noſtre affaire en tout mal dirigé.
Avant qu’on vint icy faire la guerre,
Il me promit que nous mettrions par terre
Ceſte cité : & que ſans ſejourner,
Chaſcun pourroit en Grece retourner.
Mais à preſent, dont je ſuis eſbahy,
De luy me voy, & deceu & trahy.
Car en changeant ceſte volunté bonne,
Preſentement il conſeille, & ordonne,
Que l’on ſ’en voiſe, ayant ſi grieſve perte,
Par ſi longtemps, en ce ſiege ſoufferte.
Ainſy le veult ce grand dieu, qui abaiſſe,
Quant il luy plaiſt, toute force & haulteſſe :
Qui les Citez plus grandes extermine
De fondz en comble, & met tout en ruine.
Ô quel malheur, deveoir ſur mer flottans
Tant de vaiſſeaulx, tant de bons combatans
Icy par terre, & n’avoir onc ſceu prendre
Troie, qui n’a moyen de ce defendre.
Et qu’il ſoit vray, quand il ſeroit permis,
Que les Troiens comme noz bons amys,
Fuſſent nombrez, & les Grecs d’aultre part,
De dix en dix diviſez à l’eſcart,
En diſpoſant apres à cheſque troupe,
Ung ſeul Troien pour les ſervir de coupe :
On trouveroit encor pluſieurs milliers
De noz Gregeois, eſtre ſans Sommelliers :
Tant ſommes nous plus grande quantité
Que ne ſont ceulx, qui de nativité
Sont dictz Troiens. Il eſt bien veritable,
Qui eſt venu ung nombre innumerable
De nations, en volonté profonde
De les defendre, encontre tout le monde.
Cela me trouble, & ne ſcay que penſer,
Ne povant plus icy rien advancer.
Si par neuf ans, que nous avons tenu
Troie aſſiegée, ilz ont tant ſouſtenu
Tous noz efforts, que fault-il qu’on eſpere
Gaigner ſur eulx, fors honte, & vitupere ?
La les vaiſſeaux, & toute leur matiere
Sont corrompuz : il n’y a voile entiere :
Les Maſtz pourriz, Antennes, & Cordage
Tres mal en point pour faire long voyage.
D’aultre coſté noz femmes douloureuſes,
Sont par longtemps de nous veoir deſireuſes :
Oyans les criz des enfans à l’entour,
Tous ſouhaitans en bref noſtre retour.
Et nous dolens, fruſtrez de noſtre entente,
Perdons icy & l’honeur, & l’attente ;
Bien cognoiſſans, qu’il ne nous eſt poſſible,
De ruiner ceſte ville invincible.
Parquoy, amys, on ne ſcauroit eſlire
Meilleur conſeil, ſinon qu’on ſe retire,
Obeiſſant aux dieux, comme eſt raiſon :
Et que chaſcun ſ’en voiſe en ſa maiſon.
    Ceſte oraiſon prononcée à plaiſir,
Meit en l’eſprit des Gregeois ung deſir
Du partement : tant qu’on les veid mouvoir,
Faiſans grand bruys : ainſy que l’on peult veoir
Aucunes fois la grand mer agitée
Du vent Auſtral, lors que l’onde eſt jectée
Contre ung rocher, & faict horrible ſon.
Ou tout ainſy, qu’au temps de la moiſſon,
Le vent Zephyre, en trouvant par la plaine
Ung champ de blé, ſouffle de telle alaine,
Que les eſpiz des coups que ſ’entredonnent,
Sont ſi grand bruit, que les champs en reſonnent.
    Chacun couroit aux vaiſſeaux, de maniere
Qu’outre le bruit, ſe levoit la poulſiere
Bien hault en l’air, qui fort les moleſtoit :
Mais d’une ardeur l’un l’autre admonneſtoit,
De ſ’appreſter dreſſans maſtz, tendans voiles.
Tant que le cry montoit iuſqu’aux eſtoilles.
    Certainement à celle matinée,
Leur brief retour maugré la deſtinée
Eſtoit conclu, ſans Iuno la Déeſſe,
Qui tout ſoudain, vers Pallas print addreſſe,
En luy diſant : Ô tres indigne choſe,
Qu’au camp des Grecs, maintenant on propoſe.
Souffrirons nous, Ô Minerve ma mie,
Devant noz yeux ceſte laide infamie ?
Souffrirons nous les Grecs prendre la ſuite
Honteuſement, ſans veoir Troye deſtruicte ?
Heleine donc cauſe de ſi grand perte,
Demourera ſans eſtre recouuerte,
Au grand honneur, & louange immortelle
Du Roy Priam, & toute ſa ſequelle.
Si bien ſouvent ta divine éloquence
À faict : aux cœurs humains changer ſentence,
Il la convient maintenant employer,
Pour tel vouloir des Gregeois deſvoyer.
Deſcends là bas, & les retiens, de ſorte
Que nul vaiſſeau du port Troy en ne ſorte,
Iuſques à tant que la Grece outragée,
Soit par un feu entierement vengée.
    Quand la Déeſſe aux yeux verds entendit
Iuno parler, tout ſoudain deſcendit ;
Et vint trouver le ſubtil Vlyſſés,
Lequel avoit les autres Grecz laiſſez
Chargé de dueil, & angoiſſe infinie,
Voyant ſi mal ceſte guerre finie :
Qui toutes fois nul ſemblant ne faiſoit
De ſ’equiper tant fort luy deſplaiſoit.
    Eſt-il conclu, Ô Vlyſſés tres ſage ?
(Diſt lors Pallas) que ſi honteux paſſage,
Se parfeira, & qu’on verra fouir
Ainſy les Grecz, & les Troyens jouir
De la beauté, pour laquelle ravoir
Toute la Grece aſſembla ſon pouvoir ?
Souffrirez vous doncques telz raviſſeurs
Injuſtemenr en eſtre poſſeſſeurs ?
Va t’en aux Grecz, & par ton doux langage
Enhorte les de changer de courage,
En demourant icy tant que l’on voye
Ars Ilion, & la Cité de Troie.
    Le ſubtil Grec oyant la voix divine,
Sans faire arreſt, vers le camp ſ’achemine,
Et pour aller un peu plus promptement,
Il deſpouilla ſon grand accouſtrement,
Qui le preſſoit : lequel leva de terre
Ung des heraux qui le fuyvoit grand erre.
    Lors en courant, ainſi que par rencontre
Agamemnon luy vint droict à l’encontre,
Duquel il print le beau Sceptre doré,
Afin qu’il fuſt plus crainct & honoré.
    Si d’aventure en ce grand deſarroy,
Il rencontroit quelque grand Prince, ou Roy
Il l’arreſtoit par parole amiable,
En luy diſant : Il n’eſt pas convenable
Mon compagnon que toy, & moy qui ſommes
Icy les chefz, ſoyons comme ces hommes
De bas eſtat, couars, & pareſſeux :
Car nous devons remonſtrer à iceulx
Leur laſcheté, & touſjours les induire
À ce qu’on veoit plus proprement leur duire.
Tu n’encens pas la fineſſe ſubtile
D’Agamemnon qui par facon gentille
Sonde les cueurs des Grecs, afin qu’il ſaiche
Lequel d’entre eulx aura le cueur plus laſche,
Ou plus hardy, pour apres ordonner
De les punir, ou de les guerdonner.
Chaſcun n’a pas entendu ſon ſecret,
Il eſt par trop adviſé & diſcret :
Par quoy nous fault enſemble procurer,
Qu’il n’ait moyen contre nous murmurer.
L’ire d’ung Roy eſt grande, & redoutable,
Et ſa fureur du tout inſupportable :
Car le pouvoir, par lequel il domine,
Vient droictement de la faveur divine :
Et eſt un Roy touſjours aymé de Dieu :
Veu qu’il commande icy bas en ſon lieu.
    Ainſi diſoit Vlyſſés, parlant doulx
À ſes pareilz ſans uſer de courroux :
Mais ni trouvoit quelque ſouldard mutin
Quelque criart, & ſoigneux du butin,
Qui feiſt ſemblant de retourner en Grece,
Il le frappoit du Sceptre par rudeſſe.
Il faict beau yeoir, diſoit il, un poureux
Vng grand cauſeur, un laſche malheureux,
Aymant repos, & touſjours fuyant peine,
Faire le grand, trancher du Capitaine.
Retire toy ſouldard, je le commande,
Et va t’aſſeoir avec ceux de ta bande,
Pour eſcouter les Roys, qui ſcavent faire,
Et conſeiller ce qui t’eſt neceſſaire.
Pas n’eſt raiſon que nous ayons honeurs,
Tous ſoyons Roys, tous ſoyons Gouverneurs.
Toute Police eſt plus recommandée,
Quand elle n’eſt que par un ſeul guydée
Donc ſoit un Roy (lequel Iuppiter donne)
Tres obey en tout ce qu’il ordonne.
    De ces beaux motz, Vlyſſés les preſcha,
Et leur retour tellement empeſcha,
Que tout ſoubdain en laiſſant les vaiſſeaux,
Prindrent chemin à troupes & monceaulx
Droict au conſeil : faiſans ſemblable bruit,
Que l’Ocean, quand par tormente bruit,
Et qu’au grand ſon & furieux orage,
On oit gemir tout le prochain rivage.
    Chacun ſ’aſſiſt le mieux qu’il peut choiſir
Lieu condecent pour entendre à plaiſir.
Therſites ſeul, entre tous conteſtoit,
Sans prendre place. Or Therſites eſtoit
Vng meſdiſant un faſcheux blaſonneur,
Qui ne ſcavoit aucun bien ny honneur,
Prenant plaiſir à prononcer paroles
De mocquerie outrageuſes & foles :
Meſmes aux Roys, cuydant touſjours bien faire,
S’il ſe monſtroit à leur vouloir contraire.
Et qui pis eſt, c’eſtoit le plus infaict,
Le plus vilain, & le plus contrefaict,
De tout le camp : car ſembloit que Nature
Euſt travaillé à forger la laidure.
Il eſtoit Louſche, & Boiteux, &Boſſu
La teſte ague, & le corps mal oſſu,
Bien peu de poil, tres longue & large oreille,
En ſomme laid, tant que c’eſtoit merveille.
Ce nonobſtant il reputoit tout un,
Qu’on le penſaſt faſcheux & importun.
Tout ſon eſbat tout ſon contentement
Eſtoit, pouvoir meſdire apertement
Contre Achillés, Vlyſſés : & ſouvent
D’Agamemnon mettoit propos au vent.
Et pour autant qu’il ſcavoit que l’armée,
Ou la pluſpart eſtoit lors animée
Encontre luy pour la folle querelle
De retenir Briſeis la tres belle,
À luy ſ’adreſſe, & faiſant du mocqueur,
Il le picqua juſques au fondz du cœur.
    Que te fault-il, de quoy aſ-tu envie ?
Agamemnon, pour plus rendre aſſouvie
Ta volonté ? Qu’eſt-ce qui faict douloir
Ainſi ton cœur ? que peult-il plus vouloir ?
En premier lieu tes Coffres ſont comblez
D’or & d’argent, & joyaux aſſemblez,
Tu as apres les vaiſſeaulx, & les Tentes
Tres bien garnyz de dames excellentes,
Que nous Gregeois en preſent te donnons,
Quand par aſſault quelque ville prenons.
Puis ſ’il advient qu’un riche Priſonnier
Soit en noz mains, on ne te peult nier,
Que promptement & d’eſtrange facon,
Il ne te faille apporter ſa rancon.
Et toutes fois ayant ſi belles choſes
À ton ſouhait, encor tu ne repoſes :
Car ſi tu vois quelque gentil viſage
De priſonniere il te vient au courage
D’en abuſer, & quoy qu’on ſache dire
Tu la detiens par force en ton navire.
Eſt-il raiſon qu’à un Chef de ta ſorte
Soit obeys & qu’honneur on luy porte ?
Ô nous meſchans, Ô nous Gregeois infames,
Non hommes Grecz :mais pluſtoſt Grecques femmes
Qu’attendons nous ? laiſſons cy l’avarice :
Laiſſons l’orgueil, faiſons qu’icy periſſe.
Allons nous en afin qu’il puiſſe entendre,
Que l’on ne doit folement entreprendre,
Ainſi ſurtous, & qu’il ſente le tort,
Qu’il tient, auſſi à Achillés le fort.
Certainement ce fut grand advantage,
Agamemnon, pour toy, quand tel outrage
Fut ſupporté : car ſ’il euſt entendu
À ſe venger, il t’euſt mort eſtendu.
    Lors Vlyſſés voyant ceſte arrogance
De Therſites bien pres de luy ſ’avance,
Et d’un maintien enflambé, & plain d’ire,
Le regardant de travers, luy va dire.
Meſchant Cauſeur, infame babillard,
Bien que tu ſois de nature raillard,
Ne dis plus mot, & ne te formalize
Contre celuy que chacun de nous priſe.
Il n’appartient à aucun d’en meſdire :
Encores moins à toy qui es le pire
De tout le camp. Ô quel bon conſeiller,
Qui maintenant vient icy babiller
Du partement, ſans faire coniecture,
S’il nous redonde à honneur, ou injure,
Et pour monſtrer ſon eſprit tres pervers
S’en vient meſdire à tort & à travers
D’Agamemnon, luy reprochant le don
Qu’on luy depart injuſtement en guerdon
De ſon honneur. Or donc Cauſeur, eſcoute
Ce que diray, & ny fais aucun doubte.
Si je te trouve une autre fois parlant
Contre les Roys, & leur honneur fouſlant,
Ie ſuis content que mon chef ne demeure
Deſſus mon corps, & que mon ſeul Filz meure
Telemachus, que j’ayme cherement :
Si tout ſoudain le plus amerement
Que je pourray, ta perſonne n’eſt miſe
Nue du tout, voire ſans la chemiſe.
Et quant & quant la main de verges pleine,
Ie ne te feſſe aigrement par la plaine,
Devant les Grecs, qui n’en ſeront nul compte :
Si t’en iras cacher aux nefz de honte.
Diſant ces motz, le frappa de ſon ſceptre
Cinq ou ſix coupz, à dextre & à ſeneſtre :
Tant que l’on veid deſſus ſes lourdes boſſes,
Bien toſt apres marques de ſang tres groſſes.
Dont Therſites, dolent de la vergongne,
En larmoyant tenoit mauvaiſe trongne :
Et tout crainctif d’avoir plus grands alarmes,
Se contenoit en ſ’abbreuvant de larmes.
    Cela fut cauſe à toute l’aſſemblée
(Bien qu’elle fuſt au paravant troublée)
De ſ’eſjouir : rians à pleine bouche
De Therſites, & de ſon eſcarmouche :
Louans entr’eux Vlyſſés grandement.
Ô quel bon zele, Ô quel entendement,
(Ce diſoient ilz) ô quelle vigilance,
Long temps y a que l’on voit ſa vaillance
Chacun ſcait bien que c’eſt le nompareil :
Hardy en guerre, & prudent en conſeil.
Mais il n’a faict encor choſe plus belle,
Que de chaſſer ce cauſeur & rebelle
Qui deſormais n’aura aucun pouvoir
De dire plus que ne veuille devoir.
    Pallas faiſoit ce pendant du herault
Parmy le camp : criant ſouvent tout hault,
Que l’on ſe teuſt, pour ouyr la ſaconde
Du ſubtil Grec, à nulle autre ſeconde.
Lequel apres qu’il veict le peuple quoy,
Diſt devant tous. Ô tres illuſtre Roy
Agamemnon grand injure te font
Tous les Gregeois, qui ſouz ta charge ſont,
Entreprenans de retourner en Grece
À ce jourd’huy : ſans tenir la promeſſe
Que l’on te feit de ne bouger d’icy,
Qu’on n’euſt Priam du tout à ta mercy,
Semblans garcons, ou veſnes femmelettes
Pleines d’ennuy de ſe trouver ſeulettes :
Ayans touſjours un extreſme deſir,
De retourner au lieu de leur plaiſir :
Et toutes fois leur devroit plus deſplaire
De ſ’en aller, ſans avoir ſceu rien faire.
Il eſt bien vray qu’ainſy que le Pilotte
(Voyant la nef, qui en haulte mer flotte
Vng moys entier ſouffrant divers orages)
Eſt tres marry, & n’a autre courage
Que de reveoit ſa femme & ſa maiſon
Semblablement ilz ont quelque raiſon,
De ſe douloir : voyans la terminées,
À guerroyer neuf entieres années.
Et en cecy, je treuve que la plainſte
De tous les Grecs, eſt raiſonnable & ſaincte.
Mais ſi l’on veult de plus pres regarder
À noſtre faict, qui nous ſcauroit garder
De vitupere, apres longue demeure
Perdre l’honneur dont tant prochaine eſt l’heure
Par quoy, Amis, je vous prie & enhorte
Pour voſtre bien, que l’on ſe reconforte.
Souffrez encore une année, pour veoir
Si de Calchas la prudence, & ſcavoir
Eſt veritable, ou ſ’il nous a menty.
Chacun de vous, je croy eſt adverty
De ce qu’il dict, par vray prophetie,
En la Cité d’Aulis en Bœotie,
Ou tous les Grecs ſ’aſſembloient pour conclure,
Contre Priam revenger leur injure.
Il advint lors en faiſant ſacrifice,
À Iuppiter pour le rendre propice,
Soubz un Platain, d’ombre recreative,
Ioignant lequel une fontaine vive
Source prenoit, qu’un Dragon tres horrible
Sortit du pied de l’autel, ſi terrible,
Qu’il n’y eut cœur de Grec ſi hazardeux,
Qui ne tremblaſt à le veoir ſi hydeux :
Car grand eſtoit, & d’admirable taille,
Painct de couleur vermeille ſur l’eſcaille.
Or ce Dragon de l’arbre ſ’approcha,
Et au plus hault des branches ſe jucha :
Ou il trouva, entres les fueilles vertes,
Huit paſſereaux crians à voix ouvertes :
Leſquelz ſoudain il mit dedans ſa gueule.
Et les mengea : Apres la mere ſeule,
Qui lamentoit, ſans petitz demourée,
Fut quant & quant du Dragon devorée.
Mais auſſi toſt que la mere mengea,
Tout auſſi toſt ſa figure changea :
Car de Dragon horrible à approcher,
Fut tranſformé (voyans tous) en rocher.
Adoncques nous fuſmes de ſi grand cas
Tous eſtonnez. Si nous dict lors Calchas :
Ô peuple Grec, Qui te rend taciturne,
Et eſbahy ? Le grand fils de Saturne,
T’a demonſtré maintenant un clair ſigne
De ta louange, & gloire tres inſigne.
L’heure t’attend (bien que longue & tardive)
Mais qui rendra ta Renommée vive.
Car tout ainſy que ces oyſeaux petitz.
Par le Dragon ont eſté tranſgloutiz,
Avec la mere eſtans neuf, en vray nombre :
Pareillement le dangereux encombre
Que nous aurons, par neuf ans devant Troy
Nous tournera en redoublée joye :
Car l’on verra ſur la dixieſme année
Priam occis, & Troye ruinée.
Ainſi nous fut par Calchas declairé
Ce grand ſecret, qui eſt la averé.
Voicy le bout, nous ſommes ſur la fin :
Donc attendons encor un peu, afin
Que tous chargez de memorable gloire,
Nous rapportions des Troy ns la victoire.
    Ceſte oraiſon par Vlyſſés tiſſue,
Fut ſi tres bien des aſſiſtans receue,
Que les vaiſſeaux, les tentes, & rivage,
Incontinent en firent teſmoignage :
Tous reſonans du bruit que l’aſſiſtence
Feit, approuvant ſa louable ſentence.
Et auſſi toſt que ce grand cry ceſſa,
Le vieil Neſtor pour parler ſ’avanca,
    Ô choſe indigne, à jamais reprochable,
(Dit-il alors) Ô peuple variable :
En quel malheur hommes nous devenuz ?
Tous les conſeilz que nous avons tenuz
Par cy devant toute la braverie,
Comme je voy, n’eſtoit que mocquerie,
Et jeu d’enfans : l’eſprit deſquelz travaille
Plus pour neant, que pour choſe qui vaille.
Où ſont les veux, les promeſſes jurées ?
Les grans ſermens, voluntez conjurées ?
Ou eſt la haine, & menace cruelle
Contre Priam, en eſt-il plus nouvelle ?
Certes nenny, tout eſt eſvanouy,
Tout oublié, & loing de nous fouy.
L’oyſiveté en tel poinct : nous a mis,
Que ſans grever en rien noz ennemis,
Nous contendons entre nous de paroles,
D’inventions, & cautelles frivoles :
Et n’y a nul tant ſage, qui adviſe
De mettre à fin ceſte guerre entrepriſe.
Agamemnon cecy ſ’addreſſe à toy,
Pardonne moy ſi je te ramentoy
Le tien devoir : il fault que tu t’efforces
À raſſembler doreſnavant tes forces :
Metz les aux champs, ainſy qu’il t’eſt licite,
Comme au ſeul chef de tout ceſt exercice.
Et ſ’il y a un ou deux qui ſ’excuſent
De batailler & tes edictz refuſent,
Laiſſe les là, metz les à nonchaloir.
Qui eſt le Grec qui aura le vouloir,
Ayant icy tant de peine endurée,
De ſ’en aller, ſans cognoiſtre averée
De Iuppiter la promeſſe infaillible ?
Certainement par le fouldre terrible
Qu’il feit tomber pres de nous, à main dextre
Venant icy : il nous feit lors cognoiſtre
Qu’il donneroit quelque jour le moyen,
De mettre à mort tout le peuple Troyen.
Courage donc, compagnons tenons ferme,
Nous ſommes la pres de la fin du terme.
Ne haſtons plus ainſy noſtre retour,
Que nous n’ayons chacun à noſtre tour
Dormy à l’aiſe avec quelque Troyenne,
Fille à Priam, ou autre Citoyenne :
Le tout voyant leurs parens & maris,
Pour nous venger du malheureux Paris :
Qui bien oſa, d’entrepriſe vilaine,
Aller ravir en Grece Dame Helaine.
Et ce pendant, Si quelque malheureux,
Quelque Remys, & peu adventureux,
Trouve mauvaiſe icy noſtre demeure,
Et veult fouir je conſeille qu’il meure,
Quand eſt à toy Agamemnon tu dois
Bien adviſer à tou ce que tu vois.
Prendre conſeil, quelque ſois en donner,
Et par le bon touſjours te gouverner.
Ie ſuis d’advis, que ton Camp tu departes
Par Nations : & qu’un peu les eſcartes
L’une de l’autre, en les faiſant marcher
Chacune à part car ſ’il fault approcher,
Tu la verras mieux combatre apar elle,
Que de les mettre enſemble peſle-meſle,
En ce faiſant tu pourras à l’œil veoir,
Leſquelz d’iceux feront mieux leur devoir :
Et ſ’il tiendra aux Dieux, ou à l’armée,
De ne veoir toſt la guerre conſommée.
    Au bon conſeil de Neſtor, reſpondit
Agamemnon doucement, & luy dict
Certainement il eſt aiſé à voir
Digne Vieillard, qu’en Prudence & ſcavoir
Tu paſſes tous les Grecs qui ont eſté.
Las, & que n’ay-je ores à volunté,
(Ô Iuppiter, Ô Phœbus, Ô Pallas)
Dix telz Neſtors pour me donner ſoulas :
L’on verroit toſt, par leur bonne conduicte
Priam captif & ſa Cité deſtruicte.
C’eſt mon malheur, & le plaiſir des Dieux,
Qui m’ont plongé en debatz odieux
Contre Achillés, pour l’amour d’une dame
Don ta moy ſeul, en demeure le blaſme.
Mais ſ’il advient par leur divine grace,
Que bon accord entre nous deux ſe face,
Il n’y aura rien qui puiſſe defendre,
De veoir bien toſt Ilion mis en cendre.
Or maintenant afin d’eſtre plus forts,
Allons diſner : penſons de noſtre corps,
Pour tos apres noz ennemis combatre
Plus hardiment & vueillez vous eſbatre
À bien polir voz harnois beaux & clairs,
À mettre en poinct voz Eſcuz & Boucliers,
Voz chariotz droictement ateſler
Qu’on ne les puiſſe en rien voir eſbranſler.
Et deſſus tout bien penſer voz chevaux,
Auſquelz faudra ſupporter grands travaux :
Car la bataille & mortelle eſcarmouche,
Ne ceſſera que le Soleil ne couche.
Dont on verra ſouz le Baudrier ſuer
Maint bon ſoldat pour trop ſ’eſvertuer :
En ſouſtenant le Pavois pour deffence,
Et en frappant du glaive par offenſe :
Et les chevaux à force de tirer,
À peine auront povoir de reſpirer.
Au demeurant ſi en rien j’apercoy
Quelque Grégeois tant malheureux de ſoy.
Qui pour fuir le combat, ſe retire
Hors de la troupe, & ſe cache au navire :
Il n’y a riens qui le peuſt ſecourir,
Que ne le face incontinent mourir :
Et puis ſon corps privé de ſepulture,
Iecter aux chiens, & oyſeaux pour paſture.
    Les Grecs joyeux d’ouir ainſi parler
Agamemnon, firent retentir l’air
À l’environ de bruit preſque ſemblable
Que faict la mer, lors que l’onde muable
Des vents pouſſée en fremiſſant approche
Pres d’un eſcueil ou dangereuſe roche.
Si va chacun droictement à ſa tente
Se rafreſchir, la diſne, & ſe contente
De ce qu’il a. Apres dreſſe une offrande
Aux dieux hautains, & ſur tout leur demande
Que leur plaiſir ſoit, que ceſte journée
Soit ſans danger de ſon corps terminée.
Agamemnon auſſi faiſant office
De chef de guerre appreſte un ſacrifice
À Iuppiter d’un gras beuf de cinq ans,
Et veult avoir avec luy aſſiſtans
À ſon diner, les plus recommandez
De tout le camp, leſquelz par luy mandez
Vindrent avant : Neſtor premier ſ’appreſte,
Idomenée, auſſi le Roy de Crete
Les deux Aiax, Diomedes cinquieſme,
Et le ſubtil Vlyſſés pour ſixieſme.
Avec leſquelz ſe vint conioindre auſſi
Menelaus : bien certain du ſoucy,
Et du travail que ſon frere prenoit,
Pour le debat qui de luy ſeul venoir.
Eux aſſemblez, quand on eut en la place ;
Mené l’hoſtie, & porté la fouaſſe
Deſſus l’autel par devote maniere,
Agamemnon feit alors ſa priere.
Ô Iuppiter ſouverain Dieu des Dieux,
Seigneur du Ciel, de l’air, & ces bas lieux :
Qui fais tonner & greſler & plouvoir,
Octroye moy aujourd’huy le pouvoir
De mettre en feu, avant la nuict venue,
Ceſte Cité, qui tant ſ’eſt maintenue
Encontre nous : Fay que de mon eſpée
Soit à ce jour la chemiſe coupée
Du preux Hector ſur ſa forte poictrine :
Et que d’un coup de ma main propre il fine,
Voyans les ſiens, qui pour faire devoir
De le ſauver puiſſent mort recevoir.
Ainſy prioit. Mais à l’oraiſon lourde
Feit Iuppiter pour lors l’oreille ſourde.
Car nonobſtant ſes grands oblations,
Il le chargea de tribulations.
    Apres cela fut occiſe oſtie :
Puis eſcorchée, & miſe une partie
Deſſus le gril, les entrailles petites,
Foye & poulmons, tres diligemment cuictes.
Quant aux gigotz, & toute l’autre chair,
On la fiſt toſt par pieces embrocher :
Et le tout cuict, ilz ſe mirent à table,
Beuvans du vin ſouef & délectable.
    Ayans ainſy repeu tout à plaiſir,
Et ſatiſfaict : partie à leur deſir,
Le vieil Neſtor, qui n’eſtoit en repos,
Recommenca en table le propos.
Il n’eſt pas temps ores de ſ’amuſer,
Agamemnon, à rire & deviſer,
Executer fault l’entrepriſe belle,
Ou Iuppiter nous invite & appelle.
Commande donc aux heraux tous enſemble
D’aller crier que tout le camp ſ’aſſemble
Droict en ce lieu : & nous de meſme ſorte
Irons renger chacun noſtre cohorte :
Les incitant par beau & doux langage
À faire exploict : de Martial ouvrage.
    Suyvant l’advis, Agamemnon commande
Aux bons heraux d’aller de bande en bande,
Appeller tous les Grecs, qui obéirent,
Auſſi ſoudain que les heraux ouyrent.
    Beau veoir faiſoit l’appareil, & arroy
Des Grecs ſoudars, chacun ſuyvant ſon Roy,
Encor’ plus beau, veoir le ſoigneux eſtude
D’iceux grands Roys, rengeans la multitude.
Parmy leſquelz (ſans eſtre recogneue)
Eſtoit Pallas du hault des cieux venue :
Porcant ſur ſoy, l’eſcu grand & horrible
De Iuppiter, immortel, invincible,
Autour duquel, cent brodures dorées
Eſtoient pendans tant bien élaborées,
Que la valeur de chacune montoit
Plus de cent beufz, tant bien faicte elle eſtoit.
Ainſy armée elle enflammoit les coeurs
Des forts Gregeois à eſtre belliqueurs :
Tant & ſi bien qu’ilz n’avoient autre envie,
Que de combatte & hazarder leur vie.
    La reſplendeur des armures luyſantes
Des grans pavoys, & des targes peſantes,
Eſtoit pareille, alors par la campaigne,
À celle la qui eſt ſur la montaigne,
Lors que le feu ſ’allume en quelque coing
De la foreſt, & qu’on le voit de loing,
Car tout ainſi leurs harnoys & eſpées,
Reſplendiſſoient du clair Soleil frappées.
Semblablement comme un beau vol de Grues,
De Cygnes blancs, ou d’Oyes plus menues,
Sont tres grand bruit avec leurs chantz divers,
Pres de la rive, & ſouz les arbres verds
De Cayſter, fleuve delicieux :
Dont de leur ſon en reſonnent les lieux
Circonvoiſins : de ſemblable maniere
Les Grecz armez aupres de la riviere
De Scamander, faiſoient telle crierie,
Qu’on entendoit retentir la prairie.
La terre auſſi par les chevaux foulée,
En gemiſſoit du long de la valée ;
Car n’y avoit moins des Grégeois marchans
Pour batailler, que de fleurs par les champs.
S’il vous ſouvient d’un grand nombre de mouches
Qu’on voit ſouvent ſortir des creuſes ſouches,
Et ſ’envoler à troupes dans la loge,
Ou le berger ſur le printemps ſe loge,
Cueillant le laict que des brebis aſſemble :
Penſez qu’ainſi les Grecz venaient enſemble
Deſordonnez : mais leurs bons Conducteurs,
Les diſpoſoient, ainſy que les paſteurs
Ont de couſtume, advenant la veſprée,
À departir les troupeaux en la prée.
Sur tous leſquelz le prince Agamemnon
Se monſtroit chef, & de faict, & de nom.
Car tout ainſi qu’un Toreau brave & fier,
Entre les beufz ſe veult glorifier,
Et les gouverne : ainſi en telz endroictz,
Agamemnon commandoit aux grands Roys,
Il reſſembloit ce jour là, par fortune,
À Iuppiter de teſte : & à Neptune
De ſa poitrine : & quant aux autres pars,
On l’euſt jugé proprement le Dieu Mars :
Tant voulut lors Iuppiter decorer
Agamemnon, pour le faire honorer.
    En ceſt endroict : Muſes qui reſidez
Là hault au Ciel, Muſes qui preſidez
À tout beau faict, enſeignez moy à dire
Ce qu’à preſent je ne ſcaurois deſcrire,
Vous ſcavez tout, doncques nommez les Princes
(Sans oublier leurs vaiſſeaux & Provinces)
Venuz à Troye, avec la Grecque armée,
Car l’on n’en ſcait rien que par renommée.
Il ſuffira ſeulement de monſtrer
Le nom des Chefz, ſans plus avant entrer,
Car de nombrer la troupe & multitude,
Cela eſt hors de tout humain eſtude :
Non quand j’aurois dix langues tres diſertes,
Bouches autant à bien parler ouvertes,
Voix perdurable, & l’eſtomach de cuivre,
Ie n’en pourrais jamais eſtre delivre
Sans la faveur des Déeſſes gentilles.


Enſeignez moy doncques : Ô dignes filles

De Iuppiter, afin que ie recite
Princes, & neſz du Gregeois exercite.

FIN DV SECOND LIVRE.