À Monsieur Trébuchet.

Paris, 8 janvier 1823.

Mon cher oncle.

Si l’affreuse catastrophe qui vient de nous frapper dans notre frère chéri ne m’avait pas déjà excusé d’avance trop cruellement dans votre cœur, je vous demanderais pardon d’avoir tant tardé à vous exprimer tout ce que je sens, tout ce que je désire d’heureux pour vous et pour tous les vôtres. Maintenant que nous sommes deux cœurs à vous aimer, il me semble que je vous aime deux fois plus, ce qui est pourtant bien difficile. Votre et notre Adolphe vient de nous lire la bonne lettre où vous lui parlez tant de nous. Mon Adèle en a été touchée autant que moi, car elle est pénétrée des mêmes sentiments que moi pour le digne frère de notre admirable mère.

Notre pauvre frère Eugène est toujours dans un état bien alarmant, sinon pour sa santé, du moins pour sa raison. La guérison sera extrêmement longue. Je ne puis songer à ce déplorable malheur sans rendre grâce au ciel de ce que, puisqu’il nous était réservé, il n’est point arrivé du vivant de ma mère. Du moins cette inconsolable affliction lui a été épargnée et elle m’a été donnée, à moi, dans un moment où il fallait que quelque grande catastrophe vînt servir de contrepoids à mon bonheur : car autrement j’aurais été plus heureux qu’il n’appartient à l’homme.

J’ai vu avec un attendrissement profond les offres de service que vous voulez bien nous faire en cette triste conjoncture. Croyez à notre bien sincère reconnaissance. Les frais de cette maladie sont énormes à la vérités mais mon père s’en charge, et ce que nous aurons à faire pour notre frère n’est plus au-dessus de nos faibles moyens.

Faites des mauvais vers de M. d’Auverney tout ce que vous voudrez, mon excellent oncle, rendez à M. Victor Hugo tous les petits péchés de ce M. d’Auverney : tout ce que vous ferez sera bien fait. Je lirai votre Lycée avec autant de plaisir que de curiosité, car je suis bien sûr qu’il vaudra mieux que tous nos recueils littéraires de Paris.

Je viens de publier ma deuxième édition, mon libraire s’est chargé de vous la faire parvenir. Serez-vous assez bon pour m’informer de son exactitude ? Adolphe me dit que vous êtes embarrassé de régler avec Pélicier ou avec                pour le petit compte de M. Mellinet. Comme j’ai arrêté mon règlement avec Pélicier, je prie M. Mellinet de vouloir bien compter avec moi. Ma décharge lui suffira.

Mille pardons, mon cher oncle, de tous ces détails fastidieux.

Je vous enverrai bientôt quatre volumes de prose. En attendant, recevez ainsi que votre aimable famille, tous les souhaits bien ardents que fait pour votre bonheur éternel votre neveu dévoué et respectueux,

Victor.

Ma femme, M. et Mme Foucher, Abel et notre pauvre malade me chargent de toutes leurs félicitations pour vous à l’occasion de la nouvelle

année.

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