À Monsieur Paul Lacroix

27 février [1830], minuit.

Mille fois merci, cher et bien excellent ami. Je vous reconnais bien à tout ce que vous faites pour moi. Je vous aurais voulu ce soir au théâtre. Vous auriez ri. La cabale classique a voulu mordre, et a mordu, mais grâce à nos amis elle s’y est brisé les dents. Le 3e acte a été rudoyé, ce qui sera longtemps encore, mais le 4e a fait taire, et le 5e a été admirablement, mieux encore que la première fois. Mlle Mars a été miraculeuse. On l’a redemandée, et saluée, et écrasée d’applaudissements. Elle était enivrée.

Voilà, je crois, qui ira. Les deux premières recettes ont déjà 9 000 francs, ce qui est sans exemple au théâtre. Ne nous endormons pas pourtant. L’ennemi veille. Il faut que la troisième représentation les décourage, s’il est possible. Aussi, au nom de notre chère liberté littéraire, convoquez pour lundi tout notre arrière-ban d’amis fidèles et forts. Je compte sur vous pour m’aider à arracher cette dernière dent au vieux pégase classique. À mon aide, et avançons !

Je suis assailli de libraires. Envoyez-moi, je vous prie, M. Fournier. Ou bien écoutez ceci. Tout le monde me conseille de ne pas traiter moi-même, vu ma faiblesse et ma facilité en affaires d’argent. On m’engage à choisir un ami pour débattre avec les libraires. Cela vous ennuierait-il bien fort, cher ami, de me rendre ce service ? en auriez-vous le temps ? êtes-vous d’avis surtout que la chose se fasse sans moi ? Votre conseil, votre bon conseil là-dessus.

Dites à votre excellent frère que je compte sur lui pour lundi, quoique Hernani doive terriblement l’ennuyer. Il s’agit de la grande question, et non de moi.

À vous du fond du cœur.

Victor Hugo.

Mettez mes hommages respectueux aux pieds de Mme Lacroix.

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