À Hetzel.

6 mars [1853]. Marine-Terrace.

Je lis votre petit livre . Nous le dévorons tous. Il est charmant. C’est tout votre esprit. Vous avez le plus gracieux style naturel du monde. Vous traitez un peu durement cette pauvre passion. Je vous le pardonne, car, malgré tout, vous êtes passionné. Il y a une foule de choses exquises. Il faudrait causer de chaque page en détail. Quel ennui de s’envoyer des lettres d’affaires, et de raisonner d’auteur à libraire, quand on devrait philosopher de poëte à poëte. Votre lettre à moi sur la violence est excellente et j’ai été charmé de ma page. Vous ferez bien d’éprouver la contrefaçon sur ce joli petit livre. Le résultat, quel qu’il soit, sera utile.

Je viens à moi. Merci de tous vos bons soins.

Il faut finir par prendre un parti. Le livre est tiré, il faut le boire. Où et comment ? That is the question. En Belgique. C’est le meilleur terrain. Clandestinement. Pourquoi pas ? Où y a-t-il défaut de dignité à cela ? La république, la vérité et la liberté sont aujourd’hui dans leurs catacombes. Je ferai quelques lignes de préface pour dire cela. Nul inconvénient à mes yeux. J’étais un peu gêné au contraire de cette publication au grand jour avec procès où je n’aurais pas paru. Cela aurait étonné quelques-uns à commencer par Tarride qui m’écrivait bêtement : vous viendrez plaider, s’imaginant qu’un homme politique pouvait se livrer à la loi Faider. — Donc publication sous le manteau, cela m’irait.

À présent, voici les questions. Oui, mais n’y aurait-il pas contrefaçon ? Quels moyens prendre pour l’empêcher ? Répondez à ceci et à tout. Et puis, l’imprimerie de la Nation n’est-elle pas bien lente ? On a mis là deux mois à imprimer. Il faudrait que notre excellent ami Labarre vous promît rapidité, et que vous vous chargeassiez d’y veiller activement ainsi que lui. Car maintenant il faut se hâter, des événements pouvant éclater et déranger l’opportunité du livre. En ce moment, il arriverait admirablement. On m’écrit de Paris que tout le monde en parle et qu’on s’en communique avidement les vers qu’on croit connaître. Je crois qu’on dépasserait l’effet de N.-le-P.

Un mot des Œuvres oratoires. Tarride m’écrit que Cappellemans a perdu le volume des 14 discours et les pièces qui étaient avec. Ceci est par trop vague, même pour le plus Tarride des hommes. Qu’est-ce que ces pièces perdues ? Il me paraît impossible que Cappellemans ait perdu la liasse des discours que j’ai envoyés d’ici en prévenant lui et Tarride que c’étaient des exemplaires uniques. Si cela était, ce serait donc irréparable. Je ne puis me résigner à cette idée. D’ailleurs on ne perd pas un si gros paquet. Où perdu ? Comment perdu ? Et surtout quoi perdu ? Faites préciser, je vous prie. Et répondez-moi en détail. Quant au volume des 14 discours, dites à M. Tarride que je l’ai et que je puis le lui envoyer. Par quelle voie ? Est-ce par la poste ? — Le temps presse. Il faudrait que les Œuvres oratoires parussent avec les Châtiments. — Voici mes quatre pages du dimanche finies. Mettez-moi aux pieds de votre charmante femme. Il y a des reflets de ses yeux dans votre livre.

Seriez-vous assez bon pour faire mettre cette lettre à la poste à Bruxelles.

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