À Louise Colet.

Marine-Terrace, 10 mai 1853.

Vous m’écriviez le 25 avril, le 27 je vous écrivais de mon côté et nos lettres se croisaient. Vous avez reçu, je pense, mon pli avec une autre lettre qu’il contenait, recommandée à votre bonne grâce. Quant à moi, j’attends toujours votre poëme envoyé aux 39. Ils l’ont dédaigné ; c’est le sort des perles quand elles tombent mal.

C’est égal, profitez de l’ajournement puisqu’ils n’ont pas fait la sottise tout entière, et concourez l’année prochaine. À ce moment-là, j’écrirai à quelques-uns que je ferai rougir peut-être. Ces pauvres lettrés à palmes ne se doutent pas de l’immense honneur que leur fait la divine poésie quand elle daigne entrer chez eux. Je me figure que les honnêtes troupeaux d’Admète ne faisaient guère plus attention à Apollon, lequel était blond comme vous êtes blonde, qu’au premier bouvier venu.

J’ai aujourd’hui une occasion sûre pour Londres, j’en profite pour vous répondre et pour vous renvoyer (au cas où ma précédente lettre aurait été interceptée) quelques paroles prononcées par moi ici, au nom de tous, et utilement. J’ai dans l’idée que le Moniteur de ce monsieur ne les reproduira pas.

J’ai réussi, comme vous en jugerez par ce speech, à créer une certaine union parmi la proscription républicaine qui souffre et qui, par conséquent, s’aigrit et se divise. En ce moment, je crois pouvoir le dire, on est à peu près d’accord sur toutes les grandes questions, et particulièrement sur la plus importante peut-être de toutes : la question redoutable des représailles. Je continuerai d’insister de ce côté. Le jour où la France n’aura plus peur, tout sera dit ; ce drôle sera par terre et la République sera debout.

Cher et charmant esprit, je reviens à vous, à vos ennuis, à vos déceptions, à ces petites iniquités dont vous souffrez à côté de la grande iniquité régnante. Ne vous attristez pas, ne vous découragez pas ; je vous déclare que la muse sera couronnée par les académiciens sans que la femme ait rien accordé aux satyres. Vous me faites du reste de tout cela une adorable et exquise peinture. Vous dites hécatombe. Viennet s’écrie abattoir. C’est nature.

Nous avons ici un printemps un peu rude. Dieu nous a ôté la France, est-ce qu’il voudrait aussi nous retirer le soleil ?

Je baise vos mains.

Share on Twitter Share on Facebook