À Jules Janin.

Marine-Terrace, 26 décembre 1854.

Vous avez fait un livre où il y a ce que Cicéron appelait le quid divinum. Prenez-en votre parti ; c’est tout simplement un livre adorable. Ce sont des confessions, ce sont des confidences, c’est un testament, c’est un hymne, c’est une chanson, c’est un poëme. La splendeur y est grâce et la grâce y est splendeur. Cela va, vient, court, revient, pense, sourit, pleure, creuse et s’envole. C’est l’histoire de notre cœur, de notre esprit, de notre bonheur, de notre deuil, de notre pays, de notre temps. Telle page touche à Rabelais, telle autre à Bossuet. D’effort, point. Vous allez de ce curé à cet évêque et de cet évêque à ce curé comme on va du B à l’R, tout simplement parce que toutes les lettres sont dans l’alphabet et tous les esprits dans votre esprit. Vous êtes royaliste, il y a ici un tas de républicains qui raffolent de votre livre ; vous êtes classique, et à tout moment j’entends des romantiques dire en vous lisant : mais c’est exquis ! mais c’est vrai ! — Ils font bien quelques petites réserves çà et là, mais ce sont les réserves de l’oiseau dans la forêt et de la femme sous les baisers. — Quant à moi, comment trouver un remerciement ? Vox faucibus hœsit. Je vous charge de l’écrire, et je le signerai.

Le jour même où votre livre est arrivé, c’était un soir, on s’est jeté sur la caisse ; Vacquerie s’y est rué, quoique, parmi les trésors qu’elle contenait, il y eût trois énormes fromages de Brie, son horreur. Son nez, pas petit pourtant, avait perdu l’odorat qui était passé tout entier dans son esprit. Il n’y avait plus dans la caisse que des parfums ; son esprit flairait votre livre.

Et puis, tout de suite, on s’est mis à lire, haut, bien entendu, tous voulant lire à la fois. Il y avait, dans l’espèce de cave que ces dames ont la bonté d’appeler leur salon, une vingtaine de proscrits, républicains écarlates, partageux, démagogues, anarchistes, buveurs de sang, les plus braves cœurs du monde. On est tombé sur les admirables pages qui terminent le tome IV. Ma maison, ma femme et ma fille à la fenêtre, vous dans la rue, la nuit et votre âme sur le tout, et toute la cohue de Jacques et de rouges, moi en tête, s’est mise à pleurer. Dictus ah hoc lenire tigres. Tigres, oui. Si vous saviez quels bons tigres nous sommes ! Ces proscrits, ces parias, ces naufragés de la Méduse, passent leur temps à s’entr’aider. On donne du pain, dont on a peu, à ceux qui n’en ont pas du tout ; on prend sous son toit les sans-asile (sans culottes, aussi, souvent) ; les pauvres femmes accouchent çà et là, les autres femmes font des layettes aux nouveau-nés et portent des bouillons aux accouchées. Quiconque a, donne ; quiconque manque, reçoit. Ils partagent, ces partageux. Quant à la France, elle oublie. C’est son droit ; si j’étais elle, je n’userais pas de ce droit-là. Mais j’ai tort. Baisons les pieds de notre mère.

Du reste, il paraît que notre exode va recommencer. Soit. Lisez les choses imprimées que vous trouverez sous ce pli, cela vous mettra au fait. Tous les journaux hors de France publient ou traduisent ces lignes.

Que faites-vous maintenant, cher et charmant et courageux et intrépide poëte ? Outre votre merveilleux enfantement du lundi, le treizième travail d’Hercule, votre jeu, dans quelle œuvre vous reposez-vous de ce livre éclatant qui vient de naître ? Vous êtes une des maîtresses roues de l’esprit humain actuel ; vous n’avez pas le droit de vous arrêter ; vous devez aller et tourner sans cesse et sans relâche élever l’eau, c’est-à-dire l’intelligence dans les cerveaux. Si vous vous interrompiez un jour, il me semble vraiment qu’il n’y aurait plus de fumée à la cheminée de l’usine et qu’on dirait : Tiens ! Paris s’est éteint !

Ma femme, ma fille, mes fils sont touchés dans les entrailles par votre livre. Vous voilà de notre famille, savez-vous ? Je m’y revois jeune, dans ce doux livre, et ils s’y revoient petits. Cela nous ramène aux Roches ; notre grand vieillard et notre bon Armand sont là qui jasent ; notre chère sœur de l’âme, Mlle Louise, fait des châteaux de cartes, moi badigeonnant ; vous êtes là, riant du rire de Diderot, avec la larme de Jean-Jacques au coin de l’œil ; oh ! toute cette jeunesse ! toute cette enfance ! toute cette joie ! Édouard redevient Ardoise, Victor redevient Toto, Adèle redevient Dédé, et elle, l’ombre, l’ange, la lumière de mon deuil, elle redevient Didine. Et elle se penche sur nos têtes, et elle remplit votre ravissant et tendre livre de nos larmes et de ses rayons.

Quel magicien vous êtes ! Quel évocateur ! Ô grand cœur et grand esprit, je vous aime !

D’ici à deux mois, vous recevrez Les Contemplations. C’est un sombre livre, serein pourtant. Là aussi vous reverrez toute la vie passée. Ce livre pourrait être divisé en quatre parties qui auraient pour titres — ma jeunesse morte, — mon cœur mort, — ma fille morte, — ma patrie morte. — Hélas !

La mer fait rage depuis un mois ; ma maison la nuit sonne comme un écueil ; je dors peu dans ce vacarme ; les hurlements de l’abîme font aboyer les chiens (j’ai des chiens. Cela reste). Savez-vous ce que je fais, ne dormant pas ? Je travaille. Je rêve. Je pense à la France, à ceux que j’aime, aux radieux esprits, aux amitiés vraies, aux beaux styles, aux nobles cœurs, aux fermes courages, à vous.

Seriez-vous assez bon pour faire jeter à la poste la lettre ci-incluse. — Mettez mes hommages aux pieds de votre charmante et noble femme. — Ma femme vous écrira prochainement.

Les Châtiments étaient expédiés en petits cahiers in-32, qu’on glissait, un à un, dans des lettres. Au bout de douze ou quinze envois, le volume était complet. Albalat. — Gustave Flaubert et ses amis. Mignet, historien célèbre par la publication de son Histoire de la Révolution française (1824) était académicien depuis 1837. — Barante entra à l’Académie en 1824 après avoir fait paraître l’Histoire des ducs de Bourgogne qui eut un grand succès. Comme homme politique, il s’adapta facilement à tous les régimes. — Patin se distingua par des publications littéraires et historiques, par sa traduction d’Horace et ses Études sur les tragiques grecs ; entré à l’Académie en 1843, il en devint secrétaire perpétuel en 1871. Pongerville est connu surtout par ses traductions de Lucrèce, d’Ovide, de L’Énéide et du Paradis perdu. Il publia aussi plusieurs épîtres. Lebrun, poëte et auteur dramatique, fut directeur de l’Imprimerie royale en 1831, et secrétaire perpétuel de l’Académie française. Lorsque Victor Hugo se présenta à l’Académie, Lebrun le soutint dans ses quatre tentatives et ne fut pas étranger au succès de son élection. Ils se perdirent de vue à partir de la révolution de 1848. Tapner. Actes et Paroles. Fendant l’exil. Gustave Simon, Victor Hugo et Louise Colet'. Revue de France, 15 mai 1926. Inédite. Vingt-troisième anniversaire de la révolution polonaise. Actes et Paroles. Pendant l’exil. Titre définitif : Le Roi de Bohême et ses sept châteaux. Bibliothèque Nationale. Inédite. Louis Jourdan, journaliste, fonda à Toulon Le Peuple électeur, devint rédacteur au Siècle et fonda en 1859 Le Causeur. Il publia plusieurs ouvrages de mœurs et de philosophie. Bibliothèque Nationale. Inédite. Les Châtiments. Cette lettre n’est pas signée. — Communiquée par la librairie Cornuau, Collection Pol Neveux. Inedite. Aux habitants de Guernesey. Publiée à Guernesey et reproduite dans Actes et Paroles. Pendant l’exil. Havin, représentant de la Manche en 1848, donna sa démission après le coup d’État et se consacra au Siècle dont il était directeur. Bibliothèque Nationale. Dans sa lettre à lord Palmerston (Actes et Paroles. Pendant l’exil) Victor Hugo disait qu’il ne s’était pas trouvé un pasteur pour signer la demande de recours en grâce de Tapner ; le secrétaire de lord Palmerston écrivit à Victor Hugo pour rectifier cette assertion et lui nommer les trois pasteurs qui avaient signé : MM. Pearce, Carey, Cockburn. Le premier demanda à Victor Hugo d’écrire la préface d’un pamphlet qu’il allait publier contre la peine de mort. Revue des Autographes. Octobre 1895. Lord Palmerston approuva la politique de Louis Bonaparte et le coup d’État. Les Châtiments. Banquet anniversaire du 24 février 1848. Actes et Paroles. Pendant l’exil. Gustave Simon. Victor Hugo et Louise Colet, Revue de France, 15 mai 1926. En tête de ce brouillon partiel, cette ligne :
J’ai écrit aujourd’hui à Villemain… (Suit le texte à partir de : Je n’ai pas de grief personnel, jusqu’à : Je bénis la destinée.) Après quelques points de suspension, le texte reprend depuis : Savez-vous ce que c’est que Jersey ? jusqu’à : le tonnerre finira bien par tomber.
Archives de la famille de Victor Hugo. M. et Mme Jules Bapst. Marie Bertin, fille d’Armand Bertin, épousa Jules Bapst qui devint, après la mort d’Édouard Bertin, directeur du Journal des Débats. Lettres aux Bertin. Inédite. Communiquée par M. Andrieux. Les Châtiments. Archives de la famille de Victor Hugo. Cabarrus, fils de Mme Tallien, était médecin homéopathe ; il ne s’occupait pas de politique ; disciple de Hahnemann, il se consacrait uniquement à ses malades ; il était l’ami intime d’Émile de Girardin. Collection de M. Détroyat. Lettre de Mme Drouet à Mme Luthereau. Archives de la famille de Victor Hugo. Émile Deschanel venait de se marier. Archives de la famille de Victor Hugo. Appel aux concitoyens. Titre primitif : Aux républicains. Bibliothèque Nationale. Actes et Paroles. Reliquat. Éditions de l’Imprimerie Nationale. Charras venait d’être expulsé de Belgique. Revue d’Histoire littéraire de la France. Septembre 1926. Inédite. Schamyl, drame représenté au théâtre de la Porte-Saint-Martin, le 26 juin 1854. Paulin Limayrac, journaliste, collabora d’abord à la Revue de Paris, à la Revue des Deux Mondes, à La Presse ; peu à peu il évolua, entra au Constitutionnel en 1857, enfin au Pays, où il rendit de grands services au gouvernement. Bibliothèque Nationale. T.-M. Duché, avocat, élu député de la Loire en mai 1849, expulsé au coup d’État, fonda une maison de commerce maritime à Londres où il mourut en 1865. Communiquée par M. Maurice Vignes (de Dijon). Inédite. Mélingue, qui connut de beaux succès dans les théâtres de drame sous l’empire, interpréta en 1870 Alphonse d’Esté à la Porte-Saint-Martin ; puis il reprit avec éclat, en 1872, le rôle de Don César à l’Odéon. — « ... la fatalité volontaire qu’on appelle le devoir » ; note sur les acteurs, à la fin de la pièce imprimée : Schamyl. Bibliothèque Nationale. La lettre de Charles Hugo, continuée par son père, est datée par les faits 28 septembre 1854. Ladislas Téléki, homme politique hongrois, député de Pest en 1848, vint en France pendant la révolution hongroise pour y demander des secours. Il fut condamné à mort par contumace, mais fut bientôt gracié et réélu à la diète hongroise. Archives Spoelberch de Lovenjoul. Inédite. — Sanders, consul des États-Unis à Londres. Le sénat américain refusait de confirmer sa nomination parce qu’il s’associait aux revendications de tous les proscrits résidant à Londres, Kossuth, Mazzini, Herzen, Garibaldi, Ledru-Rollin, etc. Sanders protesta et Victor Hugo lui adressa cet encouragement. Communiquée par la « Library of Harvard University Cambridge. Massachusetts ». Drame représenté le 4 novembre 1854 au théâtre de l’Odéon. Archives de la famille de Victor Hugo. Histoire de la Littérature dramatique. Avertissement a Loua Bonaparte. Actes et Paroles. Pendant l’exil. Clément-Janin. Victor Hugo en exil. Collection Louis Barthou.

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