Dimanche 7 septembre,
Chaudfontaine.
Chère Marie, c’est encore moi. Quand je vous ai écrite il y a quelques jours, j’étais au milieu de votre livre, et je n’ai pas attendu la fin pour vous dire mon enchantement. Aujourd’hui je viens de finir, et c’est mon attendrissement que je vous envoie. Je viens de pleurer tout simplement, et les larmes sont à vous, noble femme, noble cœur, et je vous les donne. Vous êtes la digne fille de ce père ; il me semble qu’à vous deux vous avez une seule âme ; cette âme avait deux rayons ; l’un est remonté là-haut, c’est Charles Nodier ; l’autre est resté sur cette terre, c’est vous. J’ai lu toutes les pages vraies, délicates et douces, en compagnie de ma femme et de quelques amis dans cette solitude. Tout à l’heure, tout le monde a pleuré, la noble femme qui lisait à haute voix (ma femme à cause de ses mauvais yeux ne pouvant lire elle-même) s’est arrêtée, étouffée en sanglots, et a fermé le livre, entourée de cœurs émus et d’yeux en pleurs, et j’ai besoin de vous redire que nous vous aimons.
V. H.
Ne prenez pas la peine de me répondre. Demain nous retournons à Bruxelles. Hélas ! l’absent est mort. Paris même pour moi n’est plus. J’embrasse ces anges que vous appelez vos filles.
À Auguste Vacquerie.
Chaudfontaine, 7 7bre.
Cher Auguste, bien qu’une dépêche électrique, publiée par tous les journaux, annonce que je suis à Genève avec Garibaldi et Louis Blanc, j’ai assez d’ubiquité pour pouvoir répondre de Chaudfontaine à votre lettre arrivée hier. Votre doux envoi nous a émus profondément, et les yeux de la mère sont restés longtemps fixés sur ces chères feuilles vertes, qui leur ont fait du bien. Le 4 septembre nous parlions, elle et moi, de notre fille et de votre frère, et pendant que vous étiez sur la tombe, nous étions dans le souvenir. Moi, vous le savez, j’évoque sans cesse les morts, penser à eux, cela les fait venir vers nous, quand notre mémoire appelle, leur ombre s’approche. Je suis beaucoup plus voisin de l’autre vie que de celle-ci, et il me semble que j’ai parfois devant l’œil de mon âme des silhouettes très nettes de ce grand monde de lumière qui vit au delà de nous. De là ma foi profonde dans la mort, qui est la plus grande des espérances. — Cela me rend très facile la descente de la pente obscure appelée vieillesse. — Vous, qui avez la jeunesse virile et la vie en plein midi, vous savez pourtant si bien tout comprendre que vous ne me trouverez ni chimérique, ni visionnaire. Les tombes vous parlent à vous aussi, d’un peu plus loin, mais tout aussi distinctement qu’à moi. Au besoin, vous cueillez sur le tombeau le rameau sacré. Merci de nous l’avoir envoyé. Je suis en communion aussi intime avec votre grand cœur qu’avec votre grand esprit.
V.
À Paul Meurice.
Samedi 14 7bre.
Cher doux ami, je suis un vil mendiant, je viens vous déranger au milieu de vos travaux de toutes sortes, quelle somme puis-je tirer sur vous pour le mois d’août d’Hernani ? Nous arrivons de Chaudfontaine où nous avons vécu dans les ruisseaux, les feuillages et les prairies à raison de cent francs par jour, et me revoilà à sec. Pardon. Merci. - J’apprends que les Beaux Messieurs de Bois Doré ne seront joués que le 20. Quel beau lever d’aurore que cette reprise d’une œuvre profonde et charmante ! Hélas, mon cœur seul y sera.
V.
Est-ce qu’il ne me sera pas donné de vous voir ? Je ne partirai pas avant le 30 7bre.
Au même.
Bruxelles, 16 7bre.
Merci de la bonne nouvelle pour Ruy Blas. J’ai une si charmante reine d’Espagne que je renonçais à regret à ce royaume. Je suis heureux de voir que sa couronne lui est rendue. Dites-le lui, et mettez-moi aux pieds de sa gracieuse majesté. — Certes, je retarderai mon départ de Bruxelles, puisque j’ai chance de vous voir. Je ne partirai pas avant le 4 ou 5 octobre. Nous attendons notre excellent et cher Émile Allix.
J’avais vu l’entrefilet de La Liberté, et je vous attribuais d’instinct cette haute diplomatie. — D’après votre indication, je tire sur vous 9 500 fr.
À bientôt, mea spes. Je vous serre dans mes bras.
V.
J’envoie mon bravo spécial à M. Lafont, qui va avoir un grandissime succès dans votre superbe rôle.
Au même.
Bruxelles, mardi soir 24 [septembre 1867].
Ma foi, tant pis, je vous écris coup sur coup, mais c’est que je suis si content ! Tous les journaux constatent votre succès magnifique. Tout à l’heure, dans mon petit groupe, qui est une famille, j’ai bu à la santé des Beaux Messieurs de Bois Doré. J’ai prononcé la santé « la centième », et j’ai eu, moi aussi, un beau succès. Charles a applaudi, Victor a applaudi, Allix a applaudi, ces dames ont applaudi, et je crois que Georges a battu des mains. Il en a le droit, ayant fait sa première dent. Qui peut mordre a droit d’admirer. Je vous aime, cher Meurice. Je ne le sens jamais mieux que dans vos triomphes. J’en suis. J’aime votre esprit, parce qu’il est doux et puissant, original et vrai, neuf et pathétique. Nombre de scènes trouvées par vous sont des chefs-d’œuvre, et vos drames passionnent le penseur en même temps qu’ils remuent la foule. Je rabâche. Encore une preuve que je vous aime. Nous vous espérons ici dans quelques jours. Venez nous voir entre deux acclamations. Il y aura éclipse à Paris et lumière à Bruxelles. Félicitez notre reine de son éclatante réussite.
À Adolphe Pelleport.
27 7bre.
Mais venez, cher poëte, vous logerez je ne sais où, mais vous mangerez chez nous. Notre fin d’été est vraiment charmante, et vous vous ajouterez à tout ce qui nous aime et à tout ce que nous aimons.
À bientôt, n’est-ce pas ?
Victor Hugo.
À Paul Meurice.
Jeudi 10 [octobre 1867].
Je pars ce soir, lundi je serai à Hauteville-house. J’ai reçu hier deux lettres qui m’ont été au cœur, une de vous, exquise, une d’elle, charmante. Dites-lui que, pour tout, je suis à ses ordres, et que mon bonheur serait de lui voir jouer Tisbé, sub umbra alarum tuarum.
Le temps est noir, il pleut ; l’ouest souffle, le vent est furieux, mais je vous aime.
V.
À Madame Victor Hugo.
Lundi 14 octobre.
Chère bien-aimée, me voici dans ta maison. Je la trouve très en ordre, et j’embrasse Julie sur la joue droite pour toi et sur la joue gauche pour moi. Je suis parti le cœur gros, triste de vous quitter tous. Il serait pourtant si facile de vivre ensemble et de ne point nous séparer. Nous sommes bien bêtes, nous qui avons tant d’esprit. Hauteville-house se moque de nous, et est plein de fleurs. J’ai eu une première traversée belle et bonne, et une deuxième assez rude, j’ai un peu craché, mais j’aime le mal de mer. J’ai donc vomi avec joie ; l’empire aussi fait vomir, mais lugubrement. J’espère que vous êtes tous bien là-bas, Alice toujours charmante, Charles toujours bon, Victor toujours doux, toi couvrant tout de tes ailes. Je mets dessous le petit Georges. Quel doux être ! qu’il soit béni ! Charles et moi travaillons pour lui. Son cher sourire lointain, après avoir été ma joie, est aujourd’hui ma tristesse. Je vous serre dans mes bras, mes bien-aimés.
V.
Amitiés aux amis. Je vous envoie les baisers de Julie petite sœur. Elle m’a vraiment accueilli bien gentiment. Sénat m’a inondé de cabrioles, ses quatre pattes sont partout marquées sur moi. — Et je vous embrasse encore tous, et je t’embrasse, chère femme bien-aimée.
N’oubliez pas de m’envoyer trois photographies de Georges, deux pour
ces deux dames, une pour moi.
À Charles et à François-Victor.
H.-H., dimanche 20 octobre.
Mon Victor, d’abord, je coupe ceci pour toi, et je commence par ce qui t’intéresse, puis je passe à toi. Ceci est coupé dans un article de M. Jouvin, et tu vois que j’avais raison dans ce que je disais l’autre jour à notre excellent ami M. Ulbach.
Donc je n’ai pas eu tort de lui envoyer la préface de Paris-Guide. Enfin, voici en quel français mon arrivée ici est annoncée dans la Gazette :
L’illustre poète retourna à Guernesey (hier) mardi.
Le petit sac aux journaux vidé, j’arrive aux affaires. J’avais, en partant, prié M. Van Vambeke de déposer chez M. Lambert mes titres de rente italienne, de prendre un reçu de ce dépôt, et de m’envoyer directement ce reçu à Guernesey par lettre chargée. Or aujourd’hui 20, je n’ai encore rien de M. Van Vambeke, quoique l’achat ait dû être fait le 7 octobre. Vois, je te prie, M. Van Vambeke, dis-lui que j’attends toujours le reçu de mes titres déposés chez le correspondant de Rothschild à Bruxelles, et presse-le de me l’envoyer le plus tôt possible.
J’ai trouvé ici, m’attendant, d’innombrables lettres de tous les pays, surtout des pays opprimés, et plusieurs du plus haut intérêt. Elles vous passionneraient tous, que n’êtes-vous là ! — Le pauvre et brave Labrousse est donc mort ! À mon tour je regrette de n’avoir pas été à Bruxelles. Je lui eusse dit dans sa tombe l’adieu de l’exil.
J’ai eu affaire ici à une certaine anarchie, mais j’ai déjà rétabli l’ordre. Tout marche à peu près. Un détail, il est venu cet été près de mille visiteurs étrangers à Hauteville-House. J’ai eu à feuilleter en arrivant un registre chargé de noms et d’inscriptions. Les colonels anglais et les révérends américains abondent.
M. Kesler n’a toujours pas reçu son draft de Mme Montgomery Atwood. Dis à M. Lacroix qu’il fait l’article pour Paris-Guide dans le Daily News.
Toutes les santés sont bonnes ici. J’espère que les beaux yeux de ta chère mère sont vifs et joyeux. Je vous serre dans mes bras tous, les grands et le petit.
Mets à cette lettre minuscule un timbre de 10 centimes, et jette-la à la
poste.
À Monsieur Ch. Le Balleur Villiers,
Mazas.
H.-H., 21 octobre.
Je suis absent en été, et je trouve en rentrant à Hauteville-house votre lettre du 21 juillet. Je vous remercie, mon cher proscrit, de votre souvenir, de votre courage, de votre dévouement aux nobles causes, et je vous serre la main.
Victor Hugo.
Ma lettre vous parviendra-t-elle ?
À Auguste Vacquerie.
H.-H., 23 octobre.
Les journaux m’arrivent, bravo ! Je lis l’excellente note de P. de St-Victor, le charmant compte rendu de M. H. Ferrier. Immense succès. Je vous l’avais demandé. Il ne vous a pas été difficile de me le donner. Merci.
Je bats des mains par-dessus la mer.
V. H.
À Flourens.
Hauteville-House, 27 octobre 1867.
Un mot. Monsieur, in haste. J’ai trouvé ici, en arrivant, après une absence de trois mois, une montagne de lettres, un arriéré énorme. J’ouvre aujourd’hui votre lettre du 2 août. Vous le savez, je suis tout dévoué aux peuples, à la Grèce, à la Crète. On peut toujours et partout compter sur moi. Dites-le bien à M. Saravas. Cette lettre est pour lui comme pour vous. La brochure a sans doute paru. Elle est excellente, elle est concluante. Je lui eusse certainement écrit la page d’adhésion ; il est trop tard, je pense, et c’est une tristesse pour moi. Du fond de ma solitude, j’assiste au supplice du genre humain. Je crie et je lève les mains au ciel. Si vous lisiez les lettres que je reçois, vous frémiriez. Toutes les souffrances s’adressent à moi ; que puis-je, hélas ! n’importe, je fais comme je peux, ce que je peux. Je jette les pierres de mon désert dans le jardin des tyrans. Oui, comptez sur moi. Jusqu’à mon dernier souffle je lutterai pour les opprimés. Là où l’on pleure, mon âme est là. Vous êtes un vaillant cœur, un noble talent, un bras robuste et dévoué. Vous pensez et vous combattez, je vous serre la main et vous aime.
Victor Hugo.
À Madame Victor Hugo.
H.-H., dim. 27 8bre.
Chère bien-aimée, ta douce et charmante lettre a ravi le goum guernesiais. Tu dictes comme tu écris, avec un charme exquis. Je te remercie du baiser donné au grand front sérieux de Georges, mais je ne veux pas qu’il soit sérieux, de même que je ne veux pas que tu sois triste. Tes bons et doux enfants autour de toi ont pour fonction de te faire la vie heureuse. Il paraît que Hernani a été interrompu le 24. Avez-vous su pourquoi ?
Quand tu écriras à Émile Allix, prie-le de faire passer à Le Balleur, qui est à Mazas, ce petit mot. Je pense qu’il en a le moyen. J’applaudis à tous tes efforts de réformes économiques. Nous ne sommes pas loin d’un temps de tempête, et la prudence est utile. L’avenir s’appelle Georges. C’est pourquoi il me préoccupe.
À Madame Victor Hugo. À Charles et à François-Victor.
H.-H., dimanche 3 9bre.
Vous avez admirablement bien fait d’agir, mes bien-aimés. Remerciez notre excellent ami Ulbach pour ses dix lignes, qui sont parfaites. Remerciez aussi notre cher Paul. Maintenant que nous sommes dans le secret des vraies résistances, il faut beaucoup pardonner à Paul dans les choses passées. Les trahisons du bon Théâtre-Français n’auront abouti jusqu’ici qu’à faire faire à Hernani dimanche une recette monstre de 7 024 fr. C’est bien fait. Mais à force de coups d’épingle ils finiront par arriver au coup de poignard. Je le prévois.
Quant à Ruy Blas, la croix d’honneur de Chilly se dresse entre l’Odéon et moi. Lisez, entre vous seulement, cette lettre de Meurice. Elle vous mettra au courant. Voici aussi un mot de Julie. Je vous écris in haste. Je compte en finir aujourd’hui de ma montagne de lettres arriérées. Il y en avait 8 ou 900. En répondant à une sur 10, cela a fait 90 lettres, c’est-à-dire environ 200 pages. Tel est le boulet que je traîne. Mais je vous aime.
Je songe avec attendrissement au commencement de chanson du petit Georges. Qu’il soit béni, ce doux être.
Chère femme bien-aimée, je remercie tes beaux yeux, s’ils vont mieux ; sinon je les gronde. Et puis, je vous serre tous et toutes dans mes vieux bras.
Quant à Ruy Blas, je ne ferai aucune concession d’aucune espèce.
À François-Victor.
H.-H., 7 9bre.
Splendid traduction, voilà, mon Victor, ce que vient de me dire de ta traduction un visiteur anglais enthousiaste de ton monument élevé à son poëte. Cet anglais m’apportait une lettre de lady Thomson, trésorière de l’Œuvre des enfants pauvres à Londres, m’annonçant qu’à cette heure mon idée, très populaire en Angleterre, avait produit ce résultat de nourrir, seulement à Londres, 6 000 petits pauvres. Six mille, en toutes lettres. Cela ne m’empêche pas de nourrir aussi un peu la place des Barricades. Voilà, ci-incluse, une traite de 1 600 fr. à l’ordre de ta mère. Je fais à Charles un cadeau de 100 fr. que tu lui remettras. Il reste en compte pour la maison 1 500 fr.
Je t’embrasse, fils bien-aimé.
À Charles.
H.-H., 7 novembre.
Mon Charles, j’avais entendu ton récit, aujourd’hui je le lis. Entendre, c’est une impression, lire en est une autre. C’est à peu près la différence qu’il y a entre le vin de Clos-Vougeot récolté perpendiculairement à la rivière ou récolté horizontalement. C’est le même vin, avec un autre bouquet. De même quand on écoute, l’impression est plus vive, et quand on lit, plus profonde. Ton Voyage en Zélande est simplement superbe et charmant. (Dans le troisième numéro, je n’en suis encore que là, il y a lame et lame. Mets flamberge, n’importe quoi.) Tu me fais dire des choses magnifiques, sur l’âme ici, et à la fin (je m’en souviens) sur l’art et la peinture, à propos de Delacroix. Je te demande la permission de te payer mes paroles cent francs, que Victor te remettra de ma part. Je suis chargé d’un baiser maternel pour Georges et j’y ajoute un baiser fraternel. Ton père par le sang, ton frère par l’esprit.
J’embrasse ma chère Alice.
À Madame XXX.
Hauteville-House, 7 novembre 1867.
Je m’empresse, Madame, de vous répondre. Votre gracieuse lettre me charme et m’attriste. Hélas, vous êtes donc, vous aussi, de ceux qui ne me croient point quand je parle de mon isolement. Je suis en ce monde un mécontent, et par conséquent un solitaire. Je n’y connais plus que Tout le Monde. C’est-à-dire Personne. En Amérique, je connaissais deux hommes, John Brown, qu’on a pendu, et Lincoln, qu’on a poignardé. En Italie, je connais Garibaldi, vaincu ; en Crète, Zimbrakakis, traqué ; en Russie, Herzen, chassé. Tel est mon bilan. J’ai demandé à Victoria la grâce du fenian Burke ; je l’ai eue. J’ai demandé à Juarez la vie de Maximilien. Trop tard. Mais l’eût-il accordée ? Je ne connais point M. Johnson, qui est un traître. Je suis un proscrit ; si jamais vous êtes proscrite, nous ferons la paire. En supposant qu’un hibou puisse nicher près d’une fauvette. Vous me demandez si j’ai fait des vers sur l’Égypte ? Oui. Dans les Orientales (le feu du Ciel). Il y a en outre Bounaherdi. Si j’ai fait des vers sur l’Amérique ? Oui, dans les Châtiments. Vous allez donc passer la mer ? Vos blanches ailes ne craignent point les grands espaces. Vous êtes faite pour planer, ayant la beauté et l’esprit. Je ne connais pas un journaliste en Amérique, quoique plusieurs me soient sympathiques. Si vous rencontrez une belle américaine, Madame Montgomery Atwood (en Europe en ce moment, je crois), montrez-lui cette lettre Elle a influence dans plusieurs grands journaux, et vous aidera gracieusement. Je ne puis écrire tout ce que je dirais, la police de France intercepte mes lettres. Soyez heureuse, Madame. Vous méritez le succès. Vous l’aurez. Je me mets à vos pieds.
Victor Hugo.
À Jules Lermina,
rédacteur en chef du Corsaire.
Hauteville-House, mardi 12 novembre 1867.
Mon vaillant confrère,
Vous voilà dehors, car, libre, vous l’avez toujours été. Plus on est à Mazas, plus on est dans la République. L’esprit s’affranchit d’autant plus qu’il a plus de verrous à sa porte. J’ignore si ma lettre vous parviendra, mais je tiens à vous envoyer, à vous et à vos généreux et éloquents compagnons de plume et de guerre, mon cordial serrement de main.
Applaudissement et bravo au jeune et brillant Corsaire.
Victor Hugo.
À Paul Meurice.
H.-H., 12 novembre.
Je vous écris in haste. Doux ami, soyez toujours mon oracle. Ma conscience parle comme vous.
D’après votre indication, je tire sur vous 12 000 francs (douze mille fr.). La traite vous sera présentée le 16.
En outre Mme d’A. vous présentera un bon de 500 fr. (Voudrez-vous lui envoyer cette lettre.)
Cela fera en tout 12 500 fr.
Je vous envoie un timbre-poste français. Je me débarrasse comme je peux de cette effigie. Daignez l’agréer.
Que faites-vous ? Quelle œuvre méditez-vous ? Quel succès couvez-vous ? C’est de vous que je m’occupe. Je doute de Ruy Blas, mais je suis sûr de vous. Quant à Ruy Blas, l’Odéon, je crois, se dérobe.
Je vous aime bien.
À François Coppée.
13 novembre 1867.
Mon noble et cher poëte, je savais tout et je ne croyais rien. Est-ce que vous n’êtes pas cristal et lumière ? Quis dicere falsum audeat ? Vous avez raison de m’aimer un peu. Mon cœur, poëte, est avec vous.
Victor Hugo.
Serrement de main à M. J. Christophe.
Ne connaissez-vous pas M. Jean Aicard ? J’ignore son adresse. Voudriez-vous lui transmettre ce mot ? Merci.
À Auguste Vacquerie.
H.-H., 14 9bre.
Je reçois votre lettre. Vous êtes grand en tout. Cher Auguste, vous pensez à moi quand c’est de vous qu’il s’agit. Je suis préoccupé de vos démêlés avec Thierry, non pour moi qui m’attends à tout et suis résigné à toutes les formes de l’exil, mais pour vous, c’est-à-dire pour nous, dont vos drames sont la joie et dont vos succès sont le triomphe. Que va-t-il advenir de votre état de guerre avec le Théâtre-Français ? Je comptais sur une grande œuvre de vous cet hiver. Vont-ils l’ajourner ? Je connais les vieilles chausse-trapes du Théâtre-Français, et Thierry a dû en ajouter de nouvelles. Renseignez-moi, parlez-moi de vous, de vos œuvres inédites et attendues, de ce que vous avez fait et créé cette année, du théâtre que vous choisirez, et de ce que nous devons espérer.
Je remercie mon cher Meurice d’accepter la surcharge du Français, ayant déjà l’Odéon sur les bras, et d’étendre à Hernani sa tutelle de Ruy Blas. Dites-le lui, mon pronostic est ceci : on poignardera Hernani et on supprimera Ruy Blas. J’en rirai, si vous avez, vous, un grand succès n’importe où : Où vous irez, la gloire ira.
Je vous serre les deux mains.
V.
À Monsieur Soundoukjanz.
Hauteville-House, 16 9bre 1867.
J’ai été absent, monsieur. À mon retour je trouve votre lettre excellente. J’accepte avec empressement l’offre que vous voulez bien me faire, et je vous envoie tous mes vœux de succès.
Recevez l’assurance de mes sentiments distingués.
Victor Hugo.
À Charles.
H.-H., 17 novembre 1867.
Toi aussi, mon Charles, tu « ensorcelles l’admiration », mais mieux que Delacroix, et par le charme. La ligne du beau est dans ton style, ce qui n’empêche pas ton style d’être vivant, ému, poignant et au besoin pathétique. Témoin cette belle mélancolie, si profonde, sur les bêtes prisonnières de l’homme.
La tempête nous bloque, ce qui fait que nous n’avons eu qu’hier samedi, fort tard, la fin de ton VH en Zélande. Une de tes voyageuses te lit et te relit, éperdue d’enchantement. Kesler dit : c’est de premier ordre. Julie est vaincue dans ses retranchements catholiques et parle de toi à Sénat comme d’un maître. Tu as un très grand succès des journaux ; le Corsaire et le Figaro te citent avec louange ; Chassin, dans le Phare de la Loire, extrait, en deux colonnes, toute mon opinion sur les églises, magnifiquement sténographiée par toi. Son article est intitulé : Une idée patriotique. Si tu veux continuer, et tu voudras (n’est-ce pas, chère Alice ? n’est-ce pas, petit Georges ?) tu auras avant peu dans la presse une situation de premier ordre (bah ! je pille Kesler).
J’espère que les yeux de ta bien-aimée mère se comportent bien. Tout est en bon état ici, malgré l’ouragan. Je vous serre tous étroitement dans mes vieux bras.
Comme tu parles avec grâce de Victor et de sa monumentale traduction !
Auguste est brouillé avec Thierry. Voilà Hernani en grand péril. Quant à Ruy Blas, j’ai fait mon deuil de l’Odéon. Chilly fait la paire avec Thierry, j’en ai peur du moins. Si M. Chilly, qui fait des mots contre moi, voulait
jouer Ruy Blas qu’il m’a demandé en des lettres si enthousiastes et si pressantes (que j’ai), les répétitions seraient commencées.
À Madame Victor Hugo.
H.-H., 22 nov.
La nouvelle servante à l’essai fonctionne depuis deux jours. Elle paraît zélée. Julie la dresse. Je recommande qu’elle soit un peu élégante et pas bigote. Tu vois que je vais au-devant de tes souhaits. Je voudrais que tous, vous reprissiez en gré ce pauvre Hauteville-house, si désert sans vous. Mon cœur se remplit d’ombre quand j’entre dans vos chambres vides. Pourtant avant tout, je veux que vous soyez heureux. Je veux qu’aucun cœur ne souffre, excepté le mien. Aimez-moi tous, mes bien-aimés, car je suis à vous et en vous. Vous êtes ma vie, lointaine et pourtant adhérente à mon âme. Chère femme bien-aimée, tes lettres sont bien douces. La tendresse y est à l’état de parfum. Je respire une lettre de toi comme la fleur de notre radieux printemps. Oh oui, il faut nous réunir tous. Je vous serre dans mes bras.
Je te remercie de tes préoccupations pour l’économie, et des soins que tu donnes à la maison.
À Jules Claretie.
H-H., 23 9bre.
Cher et vaillant confrère, le souffle qui est dans votre beau livre, le cri de la liberté indignée, vous le retrouverez dans ces vers. Je vous envoie la Voix de Guernesey en échange et en remerciement des Derniers Montagnards. Je salue en vous un noble esprit révolutionnaire. Vous avez l’éclat du talent et la dignité de l’âme. Personne ne vous dépasse dans la jeune génération dont vous êtes. Vous unissez à l’enthousiasme la maturité, deux puissants dons. Vos Montagnards comblent une lacune dans l’histoire. Le sujet est merveilleusement choisi et traité supérieurement. Je vous envoie avec bonheur mon plus cordial shake-hand.
Victor Hugo.
À Madame Victor Hugo. À ses fils.
H.-H., 23 novembre 1867.
Je vous envoie un mot in haste, mes bien-aimés. Vous trouverez sous ce pli du nouveau. Je n’ai pu tenir plus longtemps à l’indignation. Je jette ce cri. Lisez.
Hernani est compromis et Ruy Blas est interdit ; cela ne fera pas lever l’embargo. Mais avant tout le devoir.
Vous distribuerez les exemplaires selon les indications.
J’envoie à Georges le sien.
J’espère que vous serez contents.
Ma bien aimée femme, je veux absolument que tes beaux yeux deviennent bons. C’est leur devoir. Entends-tu ?
Il y a une escroquerie de Chenay qui se couve à l’horizon. Je la flaire et je vous la signale.
Tendre embrassement.
À Paul Meurice.
H.-H., 23 9bre.
Je vous envoie ceci pour vous, je vous l’envoie aussi pour Michelet. Le devoir criait. J’ai obéi. Ceci gâterait les affaires de Ruy Blas si elles n’étaient pas déjà gâtées. Vous savez que M. Chilly fait contre Hernani et Ruy Blas des mots que Dumas envoie au Figaro. J’en suis à recevoir de ces coups de pied-là. Je ne me croyais pourtant pas encore mourant. Ô que c’est doux un ami comme vous !
V.
Écrivez-moi si ceci vous est bien arrivé. Nous sommes dans un temps de poste coupée de police.
À Michelet.
23 novembre.
Cher grand penseur.
Votre Louis XVI complète cette œuvre utile et puissante. Vous êtes dans l’histoire plus qu’un flambeau, vous êtes un regard ; le flambeau éclaire, le regard comprend. Vous montrez les faits par le dedans. Explication magnifique.
Je vous ai envoyé ma préface Paris ; aujourd’hui je vous envoie ce que ma conscience m’a dit de crier.
Vous m’approuverez, je n’en doute pas, et vous m’aimerez, je l’espère.
Tuus.
Victor Hugo.
Aux Membres de la République de Puerto-Riro.
Hauteville-House, 24bre 1867.
La République de Puerto-Rico a vaillamment défendu sa liberté. Le comité révolutionnaire m’en fait part, et je l’en remercie. L’Espagne hors de l’Amérique ! c’est là le grand but ; c’est le grand devoir pour les américains. Cuba libre comme Saint-Domingue. J’applaudis à tous ces grands efforts.
La liberté du monde se compose de la liberté de chaque peuple.
Victor Hugo.
À un poëte.
24 novembre 1867.
Nous sommes d’accord, Monsieur. Je ne crois pas au Christ, mais aux Christs. Tout vient de Dieu. Vous trouverez dans les Misérables et aussi dans William Shakespeare ma définition de Dieu. Ce credo vous satisfera, je n’en doute pas, car il conclut comme vos beaux et nobles vers. Dieu est la sève, nous sommes les fruits. J’ai écrit sur un des murs de ma maison d’exil :
Deus dies.
Je vous serre la main, poëte.
Victor Hugo.
À Mademoiselle Louise Bertin.
24 novembre, Hauteville-House.
Chère Mademoiselle Louise, ce que vous me demandez me serait bien doux, mais le devoir est sombre ; vous savez, j’ai écrit le vers :
Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là.
Hélas, où sont les belles années ? Que de choses évanouies ! Oui, nous causerions de tout, et je suis sûr que je retrouverais toujours votre grand esprit et votre généreux cœur. Hélas ! hélas ! Phœbus de Chateaupers est sénateur, le Journal des Débats m’est devenu ennemi (hors Janin) ; votre admirable père le tournait vers l’avenir, la rédaction actuelle le tourne vers le passé, ce que je déplore, car les moments difficiles approchent.
C’est égal, votre douce lettre m’a fait du bien. Il m’a semblé entendre l’exquise harmonie d’autrefois, cette musique profonde qui est dans votre âme. Je suis à vous de tout mon dévouement et de tous mes respects.
Amitiés à Édouard.
Victor H.
À Paul Meurice.
H.-H., 25 nov.
Je commence, comme toujours, par vous obéir. Voici le traité signé. Maintenant voici quelles seraient mes raisons pour ne point le signer :
1° Vous avez reçu ma lettre d’hier (et ce qu’elle contenait). Vous y avez vu la mention d’un mot de M. Chilly contre Hernani et Ruy Blas (l’exil écrémé) trouvé charmant par Dumas (il faut toujours tout pardonner à Dumas) et envoyé par lui au Figaro, qui a fait à Chilly (et à Dumas) la malice de le publier.
2° M. Chilly n’ayant point démenti le mot, il est acquis.
3° M. Chilly prenant cette situation nouvelle, il m’importait (je crois) de garder vis-à-vis de lui ma situation ancienne.
4° Or, ce traité est, dans mes relations avec l’Odéon, ce qu’on appelle en charabia de droit, une novation.
5° Bien que la date reste la même, si M. Chilly veut, il s’en servira contre l’ancien traité (un même objet ne pouvant être régi par deux traités différents) et M. Chilly serait toujours bien sûr d’avoir les tribunaux pour lui.
5° Si sûr, que je me garderais bien d’y recourir. Je laisserais l’affaire Ruy Blas tomber dans l’eau, et M. Chilly tomber dans la légion d’honneur.
Pesez ceci, avec Vacquerie, et décidez souverainement. Si vous jetez le traité au feu, c’est que j’ai raison. Si vous le remettez à Chilly, c’est que j’ai tort. Vous ne pouvez vous tromper.
Je vous serre dans mes bras.
Ma lettre grosse d’hier vous est bien arrivée ?
Ex imo tuus.
V.Bibliothèque Nationale.
Au même.
Tout à l’heure, j’ai eu comme un coup de poing. Le hasard me fait jeter les yeux sur la Voix de Guernesey et dans les premières pages, je vois ces deux rimes: ennemis-amis, bien que dans Voltaire, ne riment pas. Voilà ce qui s’était passé : j’avais fait deux vers ; celui qui a été imprimé et celui-ci qui ne l’a pas été :
Hélas ! vous voilà donc pour jamais endormis !
J’ai rayé le premier, à cause de la rime fausse amis-ennemis, et conservé le second qui est le bon. Julie, ma copiste, s’est trompée, a omis le vers conservé et maintenu le vers rayé. J’ai corrigé machinalement l’épreuve, ma bête n’a pas vu la bêtise et de cette façon me voilà avec une fausse rime sur la conscience. Priez pour moi, qui que vous soyez, corrigez la faute sur votre exemplaire en substituant au vers beaux, vaillants, etc., le vers : Hélas ! vous voilà donc... etc., et dites à tous les poëtes que vous rencontrerez que je leur demande l’absolution. Il n’y a pas de petites choses dans l’art.
H.-H., 2 Xbre 1867.
V. H.
À Albert Lacroix.
H.-H., 3 Xbre.
Mon cher monsieur Lacroix,
Je viens de lire et d’annoter rapidement votre lettre à notre excellent ami commun M. Guérin. Elle contient beaucoup d’erreurs involontaires, et j’aurais pu multiplier les observations. J’aime mieux vous envoyer quelques bonnes et cordiales paroles.
Il n’y a entre nous aucun engagement pour l’avenir, ni partiel, ni général, ni pour un volume, ni pour dix, mais il y a, ce qui vaut souvent mieux que les traités, estime sérieuse et réciproque, et réel désir, de mon côté du moins, de continuer les relations d’auteur à éditeur. Je vous répète ce que je vous ai dit déjà à plusieurs reprises, que je désire conserver ma liberté et vous laisser la vôtre, que cela ne m’empêchera en aucune manière d’écouter, et, j’espère, d’accueillir vos propositions, si vous jugez à propos de m’en faire, quand j’aurai un ouvrage prêt à paraître, et que, dans tous les cas, il me semblerait bien difficile, sinon impossible, de faire, avec quelque éditeur que ce soit, un traité d’ensemble avant d’avoir terminé le livre 93. Alors seulement je serai maître de mon loisir, et je pourrai entreprendre, avec suite et sans lacune, la série de mes publications futures. Ce 93 à faire me crée une sorte de servitude ; c’est la servitude d’un devoir ; car il y a du devoir dans ce livre.
Je suis forcé d’ajourner votre proposition, et d’autres ; mais, je vous prie, ne vous méprenez pas. Laissons de côté les petits détails, et soyez sûr qu’il ne tiendra pas à moi que nos relations de cordialité et d’affaires ne continuent, non seulement sans décroître, mais encore en s’améliorant.
Croyez-moi bien affectueusement à vous.
Victor Hugo.
À Alfred Sirven.
Hauteville-House, 8 décembre 1867.
... De toutes les prisons, celle que je connais le mieux, c’est l’exil. Voilà seize ans bientôt que je tourne dans cette cage.
Enfant, j’allais jouer au Jardin des plantes, je montais sur le labyrinthe, et j’apercevais un grand toit plat avec une guérite et un soldat flânant, l’arme au bras. Ma mère me disait : C’est une prison !
La prison peut être fort grande. Une chose plate sur laquelle marche le soldat, c’est aujourd’hui l’Europe.
Plus tard, j’ai connu l’intérieur de Sainte-Pélagie par deux de mes vieux amis, Béranger et Lamennais. Béranger, peu de temps avant sa mort, m’écrivait : — J’ai commencé par la prison et vous finissez par l’exil. Et je lui répondais : Tout est bien. Espérons, mon cher ami, l’avenir est une aube.
Je vous serre cordialement la main.
Victor Hugo.
À Auguste Vacquerie.
H.-H., dim. 8 [décembre 1867].
Vous m’avez écrit sur ce cri de colère et de devoir des choses hautes et profondes. Votre lettre m’a ravi, cher Auguste, et aussi, et surtout encore, par la bonne nouvelle qu’elle me donnait. Vous faites un Faust. Bravo ! In excelsis ! Nous allons donc avoir un Faust. Sujet magnifique, infernal et sidéral, manqué par Gœthe.
Gœthe est un poëte allemand dans le goût Louis XVI, fort surfait aux dépens de Schiller et d’Hoffmann. Vous reprenez Faust à cet olympien de carton. Je trépigne et j’éclate en applaudissements. Je vous envoie tous ceux que Ruy Blas n’aura pas. Le voilà remuselé, mon répertoire mauvais coucheur. C’est bien fait, et l’empire est sauvé. Vous savez qu’en publiant la Voix de Guernesey je ne me suis pas dissimulé que Bonaparte me répliquerait par Ruy Blas au violon. Bravo, Bonaparte !
Vaillant ami, faites, vous et Meurice, ce que vous trouverez bon et utile en présence de cette nouvelle turpitude qui date le seizième anniversaire de l’exil. Tous deux vous êtes moi plus que moi-même.
Manibus vestris rem vestram commendo. Acclamations à Faust !
À Paul Meurice.
H.-H., dimanche 8 décembre.
Je pousse le cri de Guernesey. Bonaparte bâillonne mon théâtre. C’est bien. Voilà Ruy Blas interdit et vous allez voir Hernani arrêté. Puis le silence se refera sur mon œuvre dramatique. Que pense M. Dumas de l’exil écrémé ? Il est vrai que de votre Hamlet il dit mon Hamlet. Tout est bien.
J’ai fait mon devoir, et je suis content.
Non, je n’écrirai pas à M. Chilly. Au bâillon je réponds par le silence.
Je vous donne absolument carte blanche, mon doux et généreux ami, à vous et à mon cher Vacquerie. Vous êtes là, et vous savez mieux que moi ce qu’il faut faire. Faites pour le mieux.
Cher Meurice, que me font mes aventures ! Vous venez d’avoir coup sur coup deux triomphes, Les Bois Doré et Hamlet. Je me réfugie sous votre auréole, et ma foi, elle me va.
Je pense que vous avez reçu mon dernier envoi, contenant la Voix de Guernesey pour madame Sand. Dans cette lettre, je vous parlais beaucoup de vous. Dans celle-ci je ne vous parle que de moi. Mais vous savez bien la place que tiennent dans mon cœur vos bonheurs, vos tristesses, vos joies.
Je veux rester sur ce mot, et espérer.
Tuus.
À Charles et à François-Victor.
H.-H., dimanche 8 décembre.
Comme je l’avais prévu, la Voix de Guernesey me coûte Ruy Blas. Tout est bien. C’est le devoir fait, et bien fait.
Cela date bien le seizième anniversaire de l’exil.
Meurice m’écrit : Chacun des vers de la Voix de Guernesey vous coûte cinq cents francs. - Je le savais. Au moment où j’ai mis à la poste les cinquante lettres contenant le premier envoi, j’ai dit à Kesler : Voici cinquante lettres qui me coûtent chacune deux mille francs. Puis je les ai jetées dans la boîte.
Vous voyez que je connais bien Bonaparte. Au reste lui aussi doit me connaître.
Mon Charles, ton VH en Zélande est reproduit ici en entier dans la Gazette et a sur ce rocher un succès fou, comme partout. Nous en rabâchons.
Je fais réimprimer la Voix de Guernesey. Je donne à ma bien-aimée femme (qui ne m’écrit plus, vilaine !) l’épreuve corrigée de ma main (ci-incluse).
Je n’ai reçu aucune lettre, si ce n’est une très chaude de M. Bérardi. J’admire le superbe silence de M. Lacroix. En revanche, Hetzel m’a écrit des enthousiasmes. Un libraire paie pour l’autre. Et puis M. Lacroix est bien plus l’éditeur de M. Proudhon que le mien. J’espère que son Bulletin du Dimanche n’a soufflé mot de ces vers séditieux. J’ai reçu du reste dix ou douze journaux belges les reproduisant (souvent avec des points. Quelquefois tout entiers).
Je vous serre tous, Georges inclus, sur ma vieille patraque de cœur.
V.
Iterum. Je mets ma femme en garde contre le sieur Chenay.
À Madame Victor Hugo.
H.-H., 10 Xbre.
Chère femme bien-aimée, ci-contre la correspondance, demande et réponse. Comprenez, mes doux et chers conseillers, que je n’accepte pas le dialogue avec Chilly. C’est avec Bonaparte que je cause. Je réponds au vrai auteur de la lettre.
Je crois que l’Étoile Belge et autres journaux libres, publieront volontiers ces deux lettres. Faites-en des copies et donnez-les leur. Si c’est votre avis, s’ils objectaient la loi Faider, il ne faudrait pas insister.
Chère amie, tu vas donc aller à Paris. J’espère que tu en reviendras tout à fait guérie, soit à Bruxelles, soit à Guernesey où tu es toujours désirée. Voici un bon de 300 fr. sur Paul Meurice (ci-dessus). Défie-toi de Chenay. Souviens-toi de son escroquerie de 500 fr. il y a deux ans. Refuse net de le voir.
Je vous embrasse tendrement tous, y compris les six dents et les quatre pattes de Georges.
Voici des exemplaires du nouveau tirage. Envoyez, je vous prie, à M. Lebloys, 21, rue Gaffart.
Je suis averti que M. Chenay veut te voir et t’exploiter par son chantage. Il faut absolument lui fermer la porte. J’écris à Vacquerie dans ce sens.
J’envoie à Vacquerie ma lettre à L. B. pour qu’il la lui fasse tenir.
À Auguste Vacquerie.
H.-H., 10 Xbre.
Je ne puis répondre à Chilly, car ce n’est pas lui qui m’a écrit. Je réponds au véritable auteur de la lettre. Voici la réponse. Si vous avez moyen de la faire parvenir à son adresse, faites, mes admirables et chers amis. Il est important de maintenir la chose entre M. L. Bonaparte et moi.
Quelle bonne et charmante lettre vous m’avez écrite, cher Auguste ! et comme vous avez raison de tout point !
Je m’attends à la suspension d’Hernani et à sa suppression définitive. Disparu de l’affiche, il disparaîtra du répertoire. On ne le jouera plus. Soit.
À vous. Ex imo.
Détail à côté : J’ai remis votre mot à Julie. Permettez-moi de vous mettre un peu en garde contre M. Chenay. Je désire que ma femme ne le reçoive pas. Rappelez-vous les 500 fr. d’il y a deux ans. Il médite une récidive. J’ai averti ma femme. Aidez-moi.
À Théodore de Banville.
Hauteville-House, 20 décembre.
Un poëte exquis, c’est vous ; un ami charmant, c’est vous. N’ayez pas peur, les petites variations de l’aiguille mode ne signifient rien ; elles ne régissent que le théâtre Scribe et la littérature Feuillet. Là où vous êtes, est le goût ; là où vous êtes, est l’art.
Vos exquises, vos belles odes du Charivari font appel à la Voix de Guernesey. La voici. Vous trouverez la chose sous ce pli. Mon écho vous répond :
Écho n’est plus un son qui dans l’art retentisse.
C’est une voix qui dit : Droit, Liberté, Justice.
J’ai rectifié pour vous, sur l’exemplaire que je vous envoie, une rime fausse, ennemis, amis, qui est dans Voltaire, ce qui achève de la condamner. Cette rime vient d’une erreur du copiste qui a mis un vers raturé à la place du vrai vers. Donnez-moi l’absolution.
Où diable avez-vous vu que je ne mettais jamais le nom de mes amis dans mes vers ? Vous pourrez bien quelque jour apprendre le contraire à vos dépens. Libre à vous de prendre cette menace pour une promesse.
Est-ce que vous ne viendrez pas voir mon océan ? Il est en ce moment terrible, mais sublime. Si vous n’avez pas peur de sa grosse colère, venez donc passer un mois ou deux avec moi. Je vous logerai mal, mais je vous
aimerai bien.
À Alfred Asseline.
Hauteville-House, 22 décembre 1867.
Mon cher Alfred, je reçois ta lettre charmante, je fouille énergiquement le pantalon. Rien, rien, rien! (Desmousseaux de Givré). La poche est vide comme la caboche d’un académicien. Je suis comme Marguerite de Savoie, veuve avant la noce. Je pleure mes étrennes.
Il est probable qu’en emballant le pantalon, on aura fait tomber le petit écrin qui était dans le gousset. Fais faire, je te prie, de fortes recherches.
Mais l’écrin lui-même ne me suffit pas, il nous faut ta femme et toi. Est-ce que vous n’allez pas vous arranger pour venir un peu à Guernesey ? Je n’ai malheureusement pas d’appartement convenable pour Mme Asseline, mais table le matin et table le soir, castanæ molles, voilà ce que je vous offre.
Mets-moi aux pieds de ta femme par-dessus le marché, et sois jaloux.
Midi. — Dernières nouvelles. — Comme j’allais fermer cette lettre, arrive la poste, on m’apporte une petite boîte avec stamp ; c’est l’écrin. Je l’ouvre et j’admire. Rien de plus charmant. C’est un vrai bijou. C’est historique et chimérique. Merci, mon poëte, de cette jolie chose.
Dernière des dernières. — Nombreuse compagnie chez moi à cause du Christmas des petits pauvres. Une foule de femmes charmantes. Ton ravissant écrin a circulé de main en main. Admiration universelle. Chose extraordinaire, on ne l’a pas volé.
À Auguste Vacquerie.
H.-H., 27 Xbre.
Cher Auguste, je veux que la première visite que recevra votre filleule soit la mienne. Voici ma carte. Mettez-la dans son berceau. Quand elle sera grande, vous lui expliquerez ce que c’est, et vous lui direz qu’un homme qui vous aimait tous a fait pour elle ce griffonnage.
Elle va avoir, en entrant dans la vie, une grande chance. Vous allez être son père spirituel, c’est-à-dire le père de son esprit.
Vos acteurs sont ravis, je le sais. Je sais toutes les bonnes nouvelles de votre œuvre. J’entends d’ici le sourd pétillement de cette grande flamme qui va éclairer et réchauffer Paris. Cher Auguste, bravo d’avance et toujours. Je vous envoie mon bonjour bon an en plein triomphe.
Je suis un peu souffrant de ma vieille gorge revêche, mais votre succès sera ma santé.
À vous.
V.
À Charles. À François-Victor.
H.-H., dimanche 29 Xbre.
Mes enfants bien-aimés, je consacre à vous payer ici ces dettes arriérées le dividende italien qui échoit le 1er janvier. Les trois quittances, ci-contre, montent à 256 fr. Le dividende est de 375 fr. Il restera 119 fr. Or, voulant vous le donner tout entier, voici comment je distribue le reliquat
à Charles 50 fr.
à Victor 50 fr.
à monsieur le Petit Georges 19 fr.
119 fr.
Je ne sais comment le dividende se touche. Je n’ai pas reçu de reçu (à signer). Que Victor s’informe près de M. Van Vambeke. (À propos, avez-vous envoyé ma procuration à M. de Haussy ?) J’ai payé ici les 256 fr. de vos dettes. Si M. Van Vambeke vous remet les 375 fr., vous appliquerez lesdits 256 fr. payés ici, aux dépenses de la maison.
On va jouer Ruy Blas au Parc. M. Lavergne m’a écrit une lettre très bien pour me prier d’y assister. Mettez ma réponse (ci-incluse) sous enveloppe, à son adresse et envoyez-la lui. — Je n’ai plus que la place de quatre baisers.
Avez-vous remarqué le silence de Janin sur Ruy Blas ? Passe-t-il à l’ennemi ? Paris-Magazine a fait une heureuse qui remercie.
Victor a bien fait de payer à M. Morijé les 25 francs.
Je vous envoie les journaux locaux racontant notre petite fête d’ici. Peut-être ce contraste avec les rages de L. B. contreRuy Blas vaut-il la peine
d’être publié.
À Auguste Vacquerie.
H.-H., 31 Xbre.
Cher Auguste, en même temps que ce mot, vous recevrez, en book-post, sept cartes de visite :
Vous ; Henri Rochefort ;
P. Meurice ; Alph. Lecanu ;
P. de St-Victor ; Ph. Burty ;
Ém. Allix ;
Chaque dessin porte le nom du destinataire (quel grand mot !) Voulez-vous être assez bon pour les transmettre ?
Je vous ai écrit hier. Ma lettre contenait, outre une lettre pour ma femme, un petit imprimé. Cela vous est-il arrivé ?
Dites à ma femme qu’il y a une grande misère de naufragés à Blackenbergh, et que j’abandonne à ces pauvres familles mon droit d’auteur de la 1re de Ruy Blas à Bruxelles.
La bonne année 1868 sera la grande année si elle nous donne Faust.
Tuus.
V.
S. V. p. ce mot pour Meurice.
À Paul Meurice.
H.-H., 31 Xbre.
Cher Meurice, avez-vous reçu dans mes deux dernières lettres, 1°, une Voix de Guernesey pour M. Berton. 2°, une lettre pour Henri Rochefort, contenant un petit document ? — Je me défie de la poste.
Aujourd’hui je vous envoie ce petit mot par Auguste, plus ma carte de visite annuelle. Je l’ai faite moins sombre qu’à l’ordinaire pour qu’elle fasse sourire ma belle reine d’Espagne.
Pauca meo Gallo, sed quia lent ipse Lycoris.
Voici un nouvel an. Nouveaux succès pour vous, nouveaux bravos, ce qui sera nouvelle joie pour moi. Je me souhaite ma bonne année en triomphes pour vous.
Et je vous embrasse.
V.
À Scheurer-Kestner.
[1867.]
Mon gracieux et cher collègue, j’introduis près de vous M. Albert Mérat. M. Albert Mérat est un lauréat de l’Académie, qui voudrait être un lauréat du Sénat, c’est-à-dire employé sous vos ordres. Il mérite tout ce qu’il demande et beaucoup plus encore. Il vous dira en quoi vous pouvez puissamment le servir. Je vous le recommande de tout mon cœur, et je vous serre la main.
Victor Hugo.
À François-Victor.
[1867.]
Mon petit Victor, dis à ta mère que je paierai les 500 fr. qu’elle doit sans rien retrancher de son allocation mensuelle. Seulement fais-lui remarquer, et remarque toi-même, que ces 500 fr. là, son voyage et sa dépense à Paris, la pension de Charles, les dettes de Charles ici qu’il faudra achever de payer, les 1 000 ou 1 500 fr. qu’il va falloir donner à Aubin, tout ce petit ensemble dévore cette année l’accroissement d’aisance qu’aurait pu avoir la maison. Heureusement rien de pareil ne se produira l’année prochaine, à l’exception de la pension de Charles.
Je t’embrasse, cher enfant.
À Albert Lacroix.
Samedi 19 [1867].
Comme vous le désirez, mon cher monsieur Lacroix, je vous accuse (immédiatement réception de votre lettre, je suis forcé de réserver la question de l’association pendant quelques jours encore, car il s’agit de tiers, quel que soit mon désir de résoudre cette question dans le sens souhaité par vous. Vous faites bien de vous préparer. Je ne pourrai garantir pour les volumes que vingt feuilles par volume (édit. princeps belge des Misérables) tout en estimant qu’il y aura plus de vingt feuilles. Il sera utile que vous veniez à Bruxelles dans les premiers jours de la semaine prochaine. Je répondrai là à toutes vos autres questions.
Donc à bientôt, et, quant à l’association, croyez à mon désir de tout arranger comme vous le souhaitez.
Mille cordialités.
V. H.
↑ « Voici la lettre de Chilly :
À M. Victor Hugo, à Guernesey.
Théâtre Impérial de l’Odéon.
Paris, 5 décembre 1867.
Monsieur,
Je viens d’être officiellement averti que la représentation de Ruy Blas est interdite.
En présence du cas de force majeure résultant de cette interdiction, notre traité devient nul et non avenu, et j’ai le regret de vous en informer.
Veuillez agréer l’assurance de ma haute considération.
Le Directeur du théâtre de l’Odéon,
De Chilly.
« Et voici ma réponse :
À M. Louis Bonaparte, aux Tuileries.
Hauteville-House, 8 décembre 1867.
Monsieur,
Je vous accuse réception de la lettre que m’a écrite le directeur du « Théâtre impérial de l’Odéon ».
Victor Hugo. »