À Paul Meurice.

H.-H., jeudi 25 avril.

Vous avez hier reçu le bon à tirer final. Je serais d’avis de remplacer par un point simple (.) le point d’exclamation qui termine (!) — sancta simplicitas. Vous trouverez au verso le texte exact des vers de Boileau cités en note. Mme Chenay les a transcrits.

Cher doux ami, vos lettres, lues le soir à table dans cette étroite intimité qui vous aime, font mouiller les yeux et battre les cœurs, tant elles sont tendres et hautes. Vous avez un art merveilleux d’être charmant et profond à la fois. De là tous les applaudissements enthousiastes à la Vie nouvelle. Comme je l’attends, et comme je vais me monter et me jouer la pièce tout de suite, en me tournant de temps en temps vers mon vieil ami l’océan, et en lui disant : hein ? — Votre projet de traité pour Ruy Blas est excellent, et, le moment venu, si vous me le permettez, je vous donnerai pleins pouvoirs. Je dis le moment venu, parce que l’avenir actuel de Ruy Blas, et de mon répertoire, n’est pas clair du tout. Vous avez sans doute lu un journal, l’Esprit nouveau, et le Soleil, 13 avril, qui se disent très informés. Il en résulterait que ce bon gouvernement m’aurait un peu fait tomber dans un traquenard. On ne jouerait que Hernani. Après quoi, on verrait. Or, la police étant maîtresse, et pouvant me faire, à la reprise de Hernani, la première représentation qu’elle voudra, chute littéraire, par un pipe-en-bois bonapartiste et classique, ou tapage politique, par une escouade de mouchards, on verrait qu’on ne verrait rien, et mon répertoire serait, pour l’instant, étranglé entre deux portes, la porte du Théâtre-Français et la porte de l’Odéon. Si vous avez occasion d’en causer avec Vacquerie, et d’approfondir un peu cette situation, je serais charmé d’avoir votre double conseil. — Puisque vous êtes assez bon pour vous charger de lire tout ce qui reste à publier du livre Paris-Guide, voulez-vous dire à M. Lequeux que je renonce à recevoir les placards et les bonnes feuilles. Cela devient inutile, et votre œil vaut mieux que le mien. S’il s’agissait de vous, mon œil vaudrait mieux que le vôtre. — Si vous retranchez (par prudence) le passage cerclé de rouge (les soldats tournant le dos à la loi) il faudrait retrancher aussi le petit alinéa (Paris est un flambeau allumé, etc.) qui s’y rattache.

Je vous embrasse avec récidive et je vous aime à perpétuité. Votre vieil enchaîné de Guernesey.

V.

(Il va sans dire qu’Auguste et vous pouvez faire tous les retranchements qui vous sembleront prudents.)

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