à Swinburne.

Hauteville-House, 24 avril.

Mon noble et cher confrère, vous avez fait à quelques vers de moi l’honneur de les traduire. J’ai l’humiliation de ne pas savoir l’anglais, et j’ai fait lire votre traduction à une charmante femme anglaise, ma voisine. Elle vient de me dire : Swinburne vous a traduit comme votre fils a traduit Shakespeare. elle est dans l’admiration de vous, cher poëte, et de vos œuvres. Elle me dit, et je le sais, que vous êtes le premier poëte actuel de l’Angleterre. Je vous ai écrit à l’occasion de vos magnifiques articles sur l’homme qui rit , répétés, vous le savez sans doute, par plusieurs journaux de France et de Belgique (notamment par le rappel ). Je pense que vous avez reçu mes lettres. Je suis heureux toutes les fois que j’ai l’occasion de vous envoyer un serrement de main. Victor Hugo.

à . Hauteville-House, 24 avril. Citoyens, je m’empresse de répondre à votre honorable appel. Vous avez raison de le dire, je suis des vôtres. Flourens, champion de la Grèce, Tibaldi, soldat de l’Italie, ont bien mérité de la France, car Grèce, Italie et France, c’est la lumière. Tous deux ont combattu pour la lumière contre les ténèbres. Je les félicite et je les remercie. Le dernier acte de Flourens à Paris a été l’ébauche d’une barricade. Lui, homme de l’idée, il est aussi l’homme de l’épée. Pourquoi ? C’est que le combat aujourd’hui, c’est la paix demain. La liberté commence nécessairement par la délivrance. La révolution, c’est la vérité. Derrière la barricade du droit, l’aurore se lève. Je porte un toast à la révolution. Victor Hugo.

à Auguste Vacquerie. H-H, dim 24 avril. Cher Auguste, vous trouverez sous ce pli trois choses : 1 ma réponse à M De Blazer dont vous m’avez envoyé la lettre. 2 quelques lignes relatives à de faux vers de moi qu’on publie dans les journaux ( électeur libre, etc.). Je voudrais que le rappel publiât ces lignes ou quelque chose qui leur ressemblât. 3 une curiosité, si le rappel en veut. C’est une lettre que m’a adressée le prétendant à l’empire, le fils soi-disant du roi de Rome. Cette lettre est de décembre dernier, mais le plébiscite la remet à neuf. Ce Mathurin Bruneau de l’empire m’écrit comme si je lui avais écrit, — comme si j’étais de son parti, comme s’il me connaissait. Tout cela est imaginaire comme son trône. Il va sans dire que je ne sais pas qui c’est, et que je ne lui ai même pas répondu. Mais c’est curieux. Il ne sait pas l’orthographe. Il dit exercite pour armée. Allemand contre hollandais. Vous faites d’admirables articles. Je vous aime bien.

à . Hauteville-House, 24 avril. Monsieur, j’ai lu avec émotion vos pages intitulées Napoleone, Pio Ix et Victor Hugo . Votre adhésion à l’œuvre que j’ai entreprise en ce siècle me touche profondément. Dissiper tous les préjugés, dissoudre toutes les erreurs, déshonorer tous les mensonges, voilà la tâche que je me suis imposée. Je m’efforce de faire le jour dans la conscience humaine, je me dévoue à ce grand devoir, tirer toutes les conséquences de la révolution ; aboutir en politique aux états-Unis d’Europe, en socialisme, au bien-être moral et matériel des travailleurs, en philosophie, à Dieu, délivré des religions. Cette œuvre est rude ; j’y dépense le peu que je puis et le peu que je suis. Je n’épargne aucune superstition. De là un grand combat. On me hait beaucoup, mais on m’aime un peu. Dans cette ardente mêlée, j’ai besoin d’auxiliaires. Vous êtes un des plus nobles, un des plus vaillants, un des plus éloquents que j’aie rencontrés. Je vous serre la main. Victor Hugo.

à Paul Meurice. H-H, dimanche 30 avril. Voilà. Je commence par un nom sévère et je finis par un oui terrible. Cher Meurice, coupez, mettez des points. Ne vous gênez pas avec ma prose. Elle vous aime et vous connaît. Est-ce que Mlle Jane Essler ne pourrait pas reprendre son rôle de la reine d’Espagne à l’odéon ? Lui serait-ce agréable ? Serait-ce possible ? Coupez à votre aise aussi dans St-Arnaud. à vous profondément. V.

Vous avez supérieurement répondu à Louis Blanc.

à Auguste Vacquerie. H-H, 3 mai. Cette fois, cher Auguste, voici de vrais vers de moi. En voulez-vous, avec leur histoire. La revue populaire d’Angleterre, le cassel’s magazine, m’a offert cinq livres (125 francs) pour huit vers. J’ai accepté les cinq livres pour mes quarante petits enfants pauvres, et j’ai envoyé vingt vers. Les éditeurs de cassel’s les ont fait traduire par Algernon Swinburne qui est le premier poëte anglais actuel. L’illustration est charmante. Vous les recevrez en double au rappel avec un portrait de moi très réussi. En ce moment-ci, les anglais me fêtent avec enthousiasme. Cela tient peut-être à ce qu’ils lisent des insultes dans certains journaux français. Je n’ai pas besoin de vous faire remarquer que c’est une faute d’avoir imprimé les vers inégaux . Ils ont tous huit syllabes. Vous recevez en ce moment aujourd’hui mardi mon dire sur le plébiscite. Votre superbe page non rend bien difficile de parler après vous. tuus. Ex intimo. V.

à Paul Meurice. H-H, mardi 10 mai. Prison. Bravo. Il me manquait cette décoration. Je l’ai. J’en suis charmé. Seulement, pour le rappel comme pour moi, la croix suffit ; la brochette est inutile. Je crois maintenant le Saint-Arnaud impossible. N’est-ce pas votre avis ? Si c’est votre avis, renvoyez-le moi ou brûlez-le. Je vous renverrai une autre pièce, moins longue, mais sans danger. — je tiens beaucoup (pour notre collection de Hauteville-House c’est nécessaire) aux rappels qui me manquent ; les lire est ma joie, les garder est ce que Cicéron appelait ornamentum nostrum . Envoyez-moi donc, ô ma providence, les numéros saisis, plus le n 302 16 mars, qui a été saisi par la mer (catastrophe du normandy ). Si Pierre Véron voulait m’envoyer le charivari correspondant, numéro noyé aussi, il me ferait bien plaisir. Détail : c’est aujourd’hui mardi 10 mai, à deux heures, que le packet m’a apporté le rappel d’hier lundi m’annonçant que j’étais attendu demain mercredi à onze heures par la magistrature marquée l n b (laquais. Niais. Bourreaux). Que je vous donne pour le rappel un touchant et charmant mot d’enfant. Un brave garçon, qui est mon cocher dans l’occasion, a eu comme moi cet hiver une violente attaque de sciatique. Il a un petit garçon de trois ans. Le père, dans un accès, souffrait tant qu’il poussait des cris. L’enfant s’est jeté à son cou en pleurant, et a dit : pardonne-moi, papa, je ne le ferai plus. — je ne vous remercie pas de tout ce que vous me dites et de tout ce que vous faites à propos de Ruy Blas et de Lucrèce Borgia , vous êtes toujours admirable. V.

J’ai une idée quant aux châtiments , tome deux, mais il faudrait pouvoir causer. Est-ce que vous n’avez pas reçu mes vers les enfants pauvres à temps pour les publier avant le gaulois ? Le gaulois les aura pris dans les journaux anglais.

à Swinburne. Hauteville-House, 11 mai. Mon jeune et noble confrère, en ce moment on est en train de me juger à Paris, c’est-à-dire de me condamner. Bonaparte se donne cette joie, et moi de mon côté, je m’en donne une ; je vous écris. J’attends impatiemment votre nouvelle œuvre. Quoique mon fils ne soit plus près de moi, je trouverai moyen de me faire traduire vos vers ; j’ai une charmante voisine qui vous admire, et qui sera le trait d’union entre mon esprit et le vôtre. De temps en temps elle me lit une page du beau livre que vous m’avez dédié en si nobles termes, et j’applaudis, attendri et ému. Je suis à vous. Victor Hugo.

à Charles et à Madame Charles Hugo. H-H, 22 mai. Tout est prêt, chère Alice. D’après votre désir, j’ai fait transporter la nursery à côté de vous. La chambre (ancienne chambre de ma fille) contiendra les deux lits de Philomène et de la nourrice et les deux berceaux ou petits lits. Mon Charles, j’ai fait enclore non seulement le bassin, mais la terrasse. Georges pourra s’ébattre à son aise. J’ai mis sur mon balcon à moi une écuelle pleine de mie de pain avec une planche sur laquelle j’ai écrit : passereaux et rouges-gorges, venez des airs et des eaux, venez tous faire vos orges, messieurs les petits oiseaux, chez monsieur le petit Georges. Voilà donc les invitations faites. Les oiseaux sont à peu près les seuls habitants de Guernesey qu’on puisse voir. On déjeunera à midi. On dînera à six heures et demie. On fera de quatre à six une promenade dans une grande voiture où toute la nichée tiendra, avec toi ou moi sur le siège. Tu choisiras d’être sur le siège ou dans l’intérieur. L’île est ravissante en ce moment. C’est comme une grosse fleur. Si Victor venait (dis-le lui donc ! ) nous oublierions ensemble Bonaparte pendant un temps indéfini. Arrivez vite. Le temps est superbe.

à Charles. H-H, 25 mai. Mon Charles, je te fais (interrompu par un pâté) cadeau des mille francs comme don de joyeux avènement. Mais ne t’y habitue pas, attendu que je serai très gêné cette année ; je me suis fourré dans la caboche d’assurer l’avenir de Georges et de Jeanne, et par conséquent je ne veux jamais dépenser au delà de mon revenu. Tu vois qu’une lueur de sagesse peut encore trembloter dans le cerveau des vieux bonshommes. Ton empereur rural m’a enchanté, tes j’avions sont superbes. Si j’étais toi, je parlerais au moins deux fois par semaine dans les soixante-dix mille tribunes du rappel . ... à Londres, descends au royal hôtel, chez Keyser, mais n’y reste qu’un jour. Londres est cher. Sur ce, je suis bien content. Bonjour, Alice, bonjour Georges, bonjour Cacane, bonjour Charles Le Téméraire qui te couvres de gloire et de prison. Nos deux Julies, dont nous avons fait la fête, le 21, vous attendent avec fièvre et joie, et moi je croise sur vous quatre mes vieilles pattes, ô mes bien-aimés !

à Paul Meurice. H-H, 14 juin. Voici trois lettres coup sur coup, mais je tiens à vous répondre tout de suite. Que vous êtes bon de me rapporter quelque chose de ce grand succès ! On pourrait en effet le continuer un peu par le tome ii des châtiments (la partie publiable), mais je voudrais profiter de l’occasion pour constituer le faisceau qui ferait votre groupe non seulement invincible, mais invulnérable. J’approuve absolument votre idée d’une librairie, mais ne pourrait-elle pas être celle des journaux réunis ? Quant à M Lacroix, je m’explique son silence par une lettre d’Hetzel qui me demande de se substituer à M Lacroix. — il le désintéresserait. Il y a évidemment pourparlers à ce sujet entre Hetzel et M Lacroix. Peut-être pourriez-vous voir utilement Hetzel. Je lui ai écrit que je le préférais, certes, à M Lacroix, et je l’ai engagé à demander à M Lacroix communication de votre lettre, ce qui mettra Hetzel au fait. — les quatre vents de l’esprit feront, je crois, un assez grand effet d’ensemble ; cette quadruple face d’un poëte sera, je me l’imagine, frappante. De là la nécessité de publier les deux volumes à la fois et en quelque sorte de front, et d’un seul morceau. Vous m’approuverez certainement. — Charles va passer une dizaine de jours à Jersey, et son retour coïncidera, j’espère, avec votre arrivée, car j’ai maintenant l’espérance de vous avoir, et il m’est impossible de la lâcher. Si Auguste voulait venir, comme ce serait gentil à lui ! Demandez-le lui donc. — vous avez fait un bien bel article : le pouvoir sera le devoir. quelle vue et quelle force ! Et comme c’est dit d’une façon vigoureuse et charmante ! — voici ma requête à Auguste. Voulez-vous être assez bon pour la lui remettre en l’apostillant énergiquement. — je ne vois plus Lockroy dans le rappel depuis quelques jours. Est-il en congé ? — en ce cas, faites comme lui et arrivez-moi. Tous vous veulent ici et vous attendent. Profondément à vous.

à Auguste Vacquerie. H-H, 15 juin. Cher Auguste, qu’il y a longtemps que je n’ai causé avec vous ! Je veux tous les jours vous écrire, et, lâche voluptueux, je me contente de vous lire. Figurez-vous que je fais un rêve. Le voici : vous avoir un peu à Hauteville-House. Hein ? Comme on a raison de dire que je suis un ambitieux ! J’espère Meurice, et je voudrais vous espérer aussi. écrivez-moi un bon oui , pour que je puisse préparer votre chambre. Charles va passer huit jours à Jersey ; mais comme il serait joyeux de revenir à temps pour vous recevoir sur le quai neuf que vous ne connaissez pas ! J’écrivais l’autre jour à Meurice en parlant de vous : qu’il est charmant ce grand esprit ! — prouvez que je dis vrai, soyez charmant, venez.

à François-Victor. 25 juin. Tu as écrit coup sur coup deux belles pages, celle sur Barbès et celle sur Mont-Saint-Jean ; après l’émotion, l’éclat. Malgré ma sciatique tenace, je serais tout de suite parti pour La Haye sans le dernier mot désolant de ton article, confirmé depuis par une dépêche dans le rappel . Barbès sera une irréparable perte. C’est une des grandes âmes de ce siècle. Barbès est un Garibaldi qui a échoué. Charles est allé à Jersey. Me voilà seul. J’ai petite Jeanne. Quel adorable enfant ! Quand j’ai Jeanne et Georges dans mon jardin, il me semble que je vous revois petits. Je crois entendre revenir à moi des profondeurs le gazouillement de votre enfance. Je songe à vous, mes bien-aimés. Je t’embrasse, mon doux Victor. Tu sais que moi aussi je veux ton portrait. Au retour d’Alice je lui remettrai tes photographies.

à Auguste Vacquerie. H-H, 25 juin. Cher Auguste, voulez-vous être assez bon pour transmettre cette lettre à M Edmond De Goncourt dont j’ignore l’adresse. Si vous apercevez notre excellent ami M Ph Burty, demandez-lui donc s’il a reçu, il y a six mois, un profil de spectateur de guillotine que je lui ai envoyé. Je me figure que ce gribouillage assez réussi du reste aura tenté un curieux de chez Vandal qui l’aura empoché. Vous m’avez écrit une lettre exquise et bonne ; mais vous êtes encore meilleur, et c’est vous que je voudrais. Enfin vous vous promettez, et j’ai foi dans cet avenir pour Hauteville-House. Je n’ai pas besoin de vous dire que je vous admire et que je vous aime, vous le savez, mais je vous le dis tout de même, c’est quelquefois doux de rabâcher. V.

au même. H-H, lundi 27 juin. Cher Auguste, je reçois cette dépêche. Il est midi. Il n’y a de bateau pour l’Angleterre qu’après-demain mercredi. Impossible d’aller à La Haye. Voulez-vous être assez bon pour expliquer cela en deux lignes dans le rappel ? Je comptais y aller. Mais je n’arriverais pas à temps. C’est un regret mêlé à une douleur. J’eusse voulu saluer cette grande âme. La révolution perd un héros. à vous profondément. V.

à la famille de Barbès. Hauteville-House, lundi 27 juin. Je suis accablé. J’espérais encore voir Barbès. Je reçois la douloureuse dépêche par Jersey aujourd’hui lundi à midi. Pas de départ pour l’Angleterre avant mercredi 29. Je ne pourrai donc être là. J’aurais voulu lui dire adieu. Il y avait deux hommes dans Barbès, le penseur qui a tout compris, le héros qui a tout bravé. Son âme est une des grandes combattantes de ce siècle ; lui de moins, c’est une lumière de moins. Je le pleure. J’envoie ma douleur profonde à l’honorable et vaillante famille de Barbès. Victor Hugo.

à Raoul Lafagette. H-H, 29 juin. J’ai lu votre livre, monsieur, avec un intérêt croissant de page en page. Je n’approuve pas tout, mais j’aime tout. — pourquoi ? Parce que, dans tout, je sens le souffle. Vos vers deviendront bons et sont déjà beaux. Le poëte est en vous. Je vous remercie et vous applaudis. Vous avez toutes les aspirations généreuses de ce grand dix-neuvième siècle. Nous, vos aînés, nous n’avons pu faire que le premier pas, la liberté ; vous, vous ferez le second pas, la république. Courage. Communions tous, jeunes et vieux, dans ce grand symbole, paix et vérité. Je vous serre la main. Victor Hugo.

à Charles. H-H, 4 juillet. Lundi. Mon Charles, dis, je te prie, à M Busnach qu’il sera le bienvenu dans notre île. Je connais son charmant esprit, et je le remercie de venir nous ravitailler. Tout va bien ici, Jeanne en tête. Donc vous arrivez le 8. Avez-vous réfléchi que c’était le cinquième jour de la semaine ? J’aimerais mieux que ce fût le quatrième. Tout bonnement parce que je vous verrais un jour plus tôt, car je suis trop Robinson pour craindre le vendredi. Les portraits de Georges sont exquis. J’ai dû en concéder deux à la fureur amoureuse de ces dames. Tendre embrassement. V.

Welcome à nos excellents Duverdier.

à Paul Stapfer. H-H, 5 juillet 1870. J’ai lu, monsieur, et je relirai votre travail sur Sterne. C’est un livre. Je suis en désaccord avec vous, vous le savez, sur plusieurs points essentiels en littérature et en politique, mais je rends pleine justice aux fortes qualités de votre excellent esprit. Vous êtes un écrivain ingénieux et vif, et vous avez une pénétration sagace qui mériterait de ne se tromper jamais. Votre œuvre sur Sterne abonde en pages qui forcent le lecteur à des temps d’arrêt. Vous avez ce grand don de l’écrivain : rendre le lecteur pensif. Je vous remercie de m’avoir envoyé votre remarquable livre. De même qu’il y a des épées de chevet, il y a des livres de solitude. Un livre qui résiste à un solitaire est un bon livre. Votre livre m’a résisté. Je lui ai fait porter cette surcharge de mes longues heures de rêverie et de travail, et toutes les exigences de ma pensée si difficile à distraire. Il s’est très bien tiré de la tâche que je lui imposais, il m’a charmé, il m’a enseigné et renseigné, et je vous envoie mon cordial applaudissement. Victor Hugo.

à Aglaüs Bouvenne. Hauteville-House, 10 juillet. Monsieur, j’ai reçu avec un vif intérêt votre excellent et curieux travail. Votre ex-libris fait par vous pour moi, me charme. J’accepte avec reconnaissance cette jolie petite planche. Comment vous en remercier ? S’il est un livre de moi que vous désiriez tenir de ma main, veuillez me le dire, et j’aurai l’honneur de vous l’offrir. Votre ex-libris marquera tous les livres de la bibliothèque de Hauteville-House. Je vous serre la main avec une vive cordialité. Victor Hugo.

à Paul Meurice. H-H, 16 juillet. Vous êtes une providence. Tout ce que vous avez fait là est admirable. Il y a un danger, c’est que tous les journaux ne se coalisent contre un livre publié par la librairie du rappel . Mais vous êtes inépuisable en bons résultats, et vous saurez parer à ce danger-là comme à tous, et je ne serais pas surpris qu’au lieu d’une coalition contre, vous ne parvinssiez à faire une coalition pour. Donc tout est bien. Venez que je vous embrasse. les quatre vents de l’esprit sont tout prêts. Je n’ai rien fait de mieux, et je serai là tout entier. Et nous parlerons de tout le reste. Je vous lirai ce que vous voudrez. Vous voir transporte ici tout le monde de joie. Cher Meurice, on vous aime bien. Charles vous a envoyé un article qui n’a pas encore paru dans le rappel . L’avez-vous reçu ?

17 juillet. -la nouvelle arrive ici que la guerre est déclarée. Je crois à l’écrasement de la Prusse ; mais les complications peuvent aller de choc en choc jusqu’à la révolution. Vous avez fait sur ces questions-là de bien beaux articles. à vous profondément. Arrivez-nous ! Arrivez-nous !

au même. H-H, 24 juillet. Vous vous figurez le chagrin du goum. On vous espérait. On vous attendait. C’est déjà un des malheurs de cette guerre. Vous ne viendrez pas. Je n’ai rien à dire à vos raisons. Elles sont excellentes. Ce que vous dites pour la modification du ton du rappel est vrai et juste. Du reste, la sourdine est on ne peut mieux mise. Le journal reste inflexible dans sa ligne, et ne donne plus prise. Charles vous serait reconnaissant de lui renvoyer l’article non inséré. Il pourrait en tirer parti autrement. Les 60000 du rappel augmenteront encore. le petit rappel sera votre housard. Il aura un grandissime succès. Certes, je serai charmé d’y voir le Rhin . Vous avez très bien fait de tendre cordialement la main à la marseillaise . Je vous envoie un appel aux femmes de Guernesey dans les journaux d’ici. L’effet a été immédiat et excellent. Si vous le publiez, coupez ce que vous voudrez. Il y a peut-être des mots dangereux. les quatre vents de l’esprit porteront cette dédicace : aux états-Unis d’Europe. Charles et moi, et tous, nous vous serrons dans nos bras. Voulez-vous être assez bon pour mettre un timbre de 10 centimes à ces deux lettres et pour les faire jeter à la poste. tuissimus.

à d’Alton Shée. Hauteville-House, 2 août. Mon cher d’Alton, je suis absolument d’accord avec vous. Il faudra saisir le joint. à un moment donné, la civilisation, ayant pour verbe la révolution, doit mettre le holà. Je désire le Rhin pour la France, parce qu’il faut faire, matériellement comme intellectuellement, le groupe français le plus fort possible, afin qu’il résiste, dans le parlement des états-Unis d’Europe, au groupe allemand, et qu’il impose la langue française à la fédération européenne. Les états-Unis d’Europe parlant allemand, ce serait un retard de trois cents ans. Un retard, c’est-à-dire un recul. Quand je vous verrai, je vous développerai cela. Mais rien par Bonaparte ! Rien par cette affreuse guerre ! Nous sommes d’accord. Je suis certain que nos amis du rappel seraient heureux de votre concours. Vous êtes un noble esprit servi par un robuste talent. à vous, cher ami. V H.

à Paul Meurice. H-H, 5 août. Cher Meurice, que n’êtes-vous là, vous et Auguste ! Que de choses à se dire qu’on ne peut s’écrire ! Votre noble et douce lettre nous a bien émus Charles et moi ; nous aussi, nous sommes tristes, et nous regardons avec anxiété l’approche de toutes ces ténèbres qu’on va appeler la gloire. le rappel tient admirablement son drapeau droit entre la patrie qui accepte la guerre et la liberté qui s’en défie. Vous êtes deux guides superbes dans ce passage difficile. Je suis avec vous du plus profond du cœur. Tout notre clan vous désire et vous embrasse. — à bientôt. con toda mi alma.

à Auguste Vacquerie. H-H, 5 août. Vous avez un procès. Procès, succès. Cher Auguste, vous n’avez pas écrit de page plus fière, plus haute et plus profonde que les deux dangers . Vous avez cette puissance de tout dire avec une brièveté pleine d’autorité. En une colonne et demie, vous résumez toute la situation, et vous projetez le présent sur l’avenir d’une si saisissante façon que la couronne de lauriers de M Bonaparte a pour ombre la couronne d’épines de la France. Je félicite le rappel de cette persécution qui est de la force et de la gloire, et je vous embrasse. V.

Charles va demain à Jersey pour quelques jours. Il va vous envoyer un article sur Trèves qui, je crois, fera grand effet. Trèves est aujourd’hui le point où tous les yeux vont se fixer. Voulez-vous remettre ce mot à notre cher Meurice ?

à Charles. H-H, samedi 13 août. Mon Charles, je suis prêt. J’ai porté aujourd’hui la grande malle pleine de mes manuscrits les plus importants à la old bank où elle a été mise dans la casemate de la caisse et numérotée 116. Mon nom est écrit dessus. Demain je mettrai les autres manuscrits dans une malle moindre que je confierai à Julie. Nous serons lundi matin à l’embarcadère, et nous partirons avec vous à moins d’un gros temps dangereux pour la nourrice, et par contre-coup pour Jeanne. Mais j’espère qu’il fera beau. Du reste, rien ne semble pressant. Paris, hélas, n’a pas profité du 10 août qui s’offrait à lui de nouveau. Pour me consoler je regarde Jeanne. Elle va on ne peut mieux. Elle vient de faire pipi sur moi. J’embrasse mon doux Georges et sa mère et son père. Vous êtes mes bien-aimés. Ceci pour M Rimmel.

à Paul Meurice. Bruxelles, 19 août. Cher Meurice, je vous envoie ce télégramme : -" je rentre comme garde national de Paris. J’arriverai le 21 août. " — mais on m’affirme que vous ne le recevrez pas, c’est pourquoi je vous écris en même temps. Votre lettre, arrivée à Guernesey après mon départ, m’est parvenue ici aujourd’hui à deux heures. Nous sommes immédiatement allés, Charles, M Duverdier et moi, à la chancellerie. J’ai déclaré que je ne reconnaissais pas l’empire français, que je subissais comme contraint et forcé la formalité abusive du passeport, et j’ai dit mon nom. Là-dessus on a appelé le ministre, qui était absent. Son suppléant immédiat, rosette à la boutonnière, est venu à sa place, très poli, m’a demandé la permission de saluer avant tout le grand poëte du siècle . J’ai répondu courtoisement à l’homme du monde, et j’ai renouvelé fermement ma protestation au fonctionnaire, en le sommant de me délivrer un passeport. Il hésitait. J’ai dit : je ne veux rien être en France qu’un garde national de plus. Il a salué. Charles a dit : et moi aussi . Duverdier a dit : et moi aussi . Il nous a promis des passeports, mais m’a demandé la permission de ne nous les envoyer que ce soir. Nous en sommes là. Vous m’approuvez, n’est-ce pas ? Je veux rentrer en France, rentrer à Paris, publiquement, simplement, comme garde national, avec mes deux fils à mes côtés. Je me ferai inscrire sur l’arrondissement où je logerai, et j’irai au rempart, mon fusil sur l’épaule. Tout cela sans préjudice de tout le reste du devoir. Je ne veux aucune part du pouvoir, mais je veux part entière au danger. Je ne crois pas qu’on ose me refuser un passeport. Ce retard pourtant m’oblige à ne fixer mon départ qu’à dimanche matin 21 août. Nous partirons à 9 heures de Bruxelles et nous serons à Paris à 2 h 35. Ne pensez-vous pas qu’il faut annoncer mon retour, mais pas l’heure ? Nous amenons une vaillante voyageuse, deux même, car Alice veut accompagner Charles. Nous laissons ici les enfants. Charles est d’avis de nous loger tous les quatre à l’hôtel du louvre. Nous voudrions ne pas nous séparer. Vous nous renseignerez et nous dirigerez. Mon doux et intrépide ami, quel bonheur de faire son devoir à côté de vous ! à Auguste Vacquerie. Bruxelles, 19 août. Cher Auguste, voici ma réponse à la lettre de Paul Meurice, reçue il y a deux heures. Lisez-la, et transmettez-la lui. Je rentre comme garde national. Paris est maintenant la grande brèche. Quel bonheur, je le dis à Meurice et je vous le redis, d’être tous ensemble dans cette superbe et périlleuse occasion de bien faire ! à vous, cher grand esprit.

à Paul Meurice. Bruxelles, 20 août. Hier soir, pas de passeports. Enfin aujourd’hui le chargé d’affaires de France est venu en personne me les apporter. Ce retard retarde d’un jour notre arrivée à Paris. Nous en profitons pour vous envoyer en éclaireur M Louis Koch, neveu de Mme Drouet, un vaillant. Ayez toute confiance en lui. Il portera à Victor une lettre de Charles, sur laquelle j’appelle votre attention ainsi que l’attention d’Auguste. Cette lettre vous exprime l’avis unanime des proscrits d’ici. Lisez-la et décidez. Vous voyez les choses plus précisément, et je ferai ce que vous me conseillerez. Je suis prêt. Prêt à tout. Si vous m’écrivez venez (Charles vous écrit la formule télégraphique à employer) je partirai lundi 22 à 9 h du matin et je serai à Paris à 3 h après midi. Je suivrai absolument votre avis. Cher Meurice, je vous aime. V.

Charles entre dans ma chambre et me lit sa lettre à Victor. Elle est excellente. Pourtant vous amoindrirez en la lisant ce qu’elle a de trop absolu dans la forme. Nous devons, et je dois, avant tout, être aux ordres du devoir, quelque forme qu’il prenne. Ainsi je trouve parfait de rentrer comme garde national venant défendre avec mes deux fils la ville sacrée, je ne souhaite pas à la république l’effroyable héritage de l’empire, j’entends l’héritage immédiat. Quant à moi, je n’accepterai jamais la banqueroute que la dette des quatorze milliards mangés par l’empire peut entraîner, ni la dislocation de la France. Plutôt mourir.

au même. 20 août. Ayez toute confiance en mon vaillant ami Louis Koch. Ici graves objections à mon départ. On le croit inopportun. Pourtant, comme simple garde national, je suis évidemment dans mon droit et dans mon devoir. Mais on dit : quoi que vous fassiez, votre présence semblera toujours suspecte d’arrière-pensée . Comprenez ceci, dites votre avis. Je le suivrai. écrivez : amenez les enfants, je partirai dimanche matin. écrivez : n’amenez pas les enfants, j’attendrai. V H.

à François-Victor. Bruxelles, 26 août. Mon Victor, je suis triste de ne pas t’avoir ici ou de ne pas être avec toi là-bas. Tout commence à se rebrouiller. Bonaparte surnage presque, la crise devient étrange. Nous observons, prêts à partir, à la condition pourtant qu’on ne puisse pas dire que nous allons au secours de l’empire. Sauver la France, sauver Paris, perdre l’empire, voilà le but. Je m’y dévouerai, certes. Détails curieux : les journaux anglais disent que je suis à Paris, les journaux belges disent que j’y vais comme garde national. Berru vient de m’apporter des journaux qui parlent de cela ; l’un d’eux, Paris-journal, dit : " le bruit court que Victor Hugo demande à être incorporé dans la garde nationale ; reste à savoir si cela lui sera accordé. " on vient de me dire que si je vais à Paris je serai arrêté. Je n’en crois rien et cela ne m’empêchera pas d’aller à Paris le jour où Paris sera menacé par les suites d’un Waterloo et en danger de mort. Partager la mort de Paris, ce serait ma gloire. Mais ce serait une fin grande et je crains que tous ces hideux évènements n’en aient une petite. Celle-là, je ne veux pas la partager. La Prusse s’arrêtant, une paix honteuse, un démembrement, un compromis, soit avec Bonaparte, soit avec les D’Orléans, j’aurais horreur de cela, et si le peuple ne bouge pas, je rentrerai en exil. Je t’embrasse tendrement. Lis à Meurice cette lettre et dis-lui de te lire celle que je lui écris. Toutes mes lettres vous sont communes ainsi qu’à notre cher et vaillant Auguste.

à Paul Meurice. Bruxelles, 1 er septembre. On me dit de ne pas m’user, de me garder pour un moment suprême ; mais ce moment suprême viendra-t-il ? Votre belle et douce lettre m’arrive et m’émeut jusqu’à l’attendrissement. Vous terminez par une question. Je ne puis confier ma réponse à la poste, mais Jules Claretie vous la portera de vive voix. Il est ici depuis hier, il a déjeuné et dîné avec moi ; en rentrant à Paris il vous dira ce que j’ai dit. J’aime, et vous aimez aussi ce jeune esprit où il y a tant de cœur. Il vous répétera mes paroles. Vous verrez à quel point je suis prêt, mais je ne veux aller à Paris que pour un seul cas et pour une seule œuvre, héroïque celle-là. Paris appelant la révolution au secours. alors j’arrive. — sinon, je reste. Certes, j’ai foi au résultat final. Je n’ai jamais cru à la France plus qu’en ce moment. Elle fera son œuvre, la république continentale, puis s’y dissoudra. Il ne peut sortir de cette guerre que la fin des guerres, et de cet affreux choc des monarchies que les états-Unis d’Europe. Vous les verrez. Je ne les verrai pas. Pourquoi ? C’est parce que je les ai prédits. J’ai, le premier, le 17 juillet 1851, prononcé (au milieu des huées) ce mot : les états-Unis d’Europe. donc, j’en serai exclu. Jamais les Moïses ne virent les Chanaans. Tre lettre m 4 a fait venir les larmes aux yeux. Comme vous m’aimez ! Et comme je vous aime ! Oui, je crois comme vous que la réapparition du rappel eût été utile. En ce moment-ci, être démocrate c’est être patriote. Défendre Paris, c’est défendre le monde. homo sum, donc je défends Paris. Que je voudrais vous voir ! Charles, Claretie et Frédérix partent en ce moment pour Virton. On se bat tout près de là, à Carignan. Ils vont voir, de la bataille, ce qu’ils pourront.

à Hippolyte Lucas. 15 septembre. Cher confrère, je reconnais là votre vieille et forte amitié. Je vous remercie du fond du cœur ; je tiens en réserve votre offre excellente pour ma bru et pour mes deux petits-enfants. Quant à moi, je suis venu à Paris pour des devoirs suprêmes, et j’ai l’intention de peu me ménager. Je ne ferai pas au bombardement l’honneur de me déranger pour lui. Merci pour mon petit Georges et ma petite Jeanne. Je serre votre vaillante et cordiale main. Victor Hugo.

à Nadar. 23 septembre. Je reçois votre lettre excellente en retard. Mais l’occasion se représentera, j’espère. Si le gouvernement voulait, il n’aurait qu’à se servir de mes deux appels aux allemands et aux français. Distribués par vos ballons, ils seraient très utiles. Tous nos exemplaires sont épuisés, et le papier nous manque. Le gouvernement en a, dites-le lui, qu’il fasse tirer à des millions d’exemplaires et distribuer (par vous, du haut du ciel) ces deux appels aux deux peuples, l’effet sera, je crois, incalculable. Si vous le pouvez, dites-le à qui de droit. — je presse vos vaillantes mains. Victor Hugo.

au général Trochu. Paris, 25 septembre. Général, un vieillard n’est rien, mais l’exemple est quelque chose. Je désire aller au danger et je veux y aller, sans armes. On me dit qu’un laissez-passer signé de vous est nécessaire. Je vous prie de me l’envoyer. Croyez, général, à toute ma cordialité. Victor Hugo.

à Madame Jules Simon. vendredi matin octobre. Puisque vous me laissez le choix du jour, je choisis le plus proche, et demain soir samedi à 6 h et demie. Je serai bien heureux de recevoir M Jules Simon à notre cantine de famille de la rue de Rivoli. Nous n’aurons qu’un de vos fils, et nous ne vous aurons pas, ceci tempérera notre joie ; mais je comprends vos tristesses et je m’incline. Mon ambition serait de m’approcher de votre mari par l’intelligence et de vous par le cœur. Je mets à vos pieds mes plus tendres respects. Victor Hugo.

à Nadar. lundi 17 octobre. Je ne demande pas mieux que de monter au ciel par vous. Merci. ex imo corde. V H.

à Jules Claretie. 17 octobre. Mon éloquent confrère, votre débâcle est un mélange d’histoire et de prédiction ; présent et avenir mêlés. Je lis ces nobles pages à travers toutes mes émotions et tous mes devoirs ; je les prends, je les quitte, je les reprends ; j’en sors charmé, j’y reviens avide. Vous savez comme j’aime votre talent, votre style, votre foi, votre vaillance. Je vous serre les deux mains. Victor Hugo.

à Auguste Vacquerie. 22 octobre. Je prie M Auguste Vacquerie de vouloir bien remettre pour les victimes de la guerre sur l’argent de la souscription des îles de la Manche, déposé par moi entre ses mains, la somme de cinq cents francs à Madame Paul Meurice. Victor Hugo.

au directeur du siècle. Monsieur le directeur du siècle , les châtiments n’ont jamais rien rapporté à leur auteur, et il est loin de s’en plaindre. Aujourd’hui, cependant, la vente des cinq mille premiers exemplaires de l’édition parisienne produit un bénéfice de cinq cents francs, je demande la permission d’offrir ces cinq cents francs à la souscription pour les canons. aux électeurs du xve arrondissement.

5 novembre. Midi. Je suis profondément reconnaissant de l’honneur que me fait le quinzième arrondissement en pensant à moi, je remercie mes vaillants et chers concitoyens, mais j’ai déjà décliné et dû décliner plusieurs candidatures que m’ont offertes d’autres arrondissements. Je suis absolument résolu, à moins d’incidents inattendus, à n’accepter en ce moment aucune fonction. Dans les graves conjonctures où nous sommes, je me fais une loi d’effacer ma personnalité, pour mieux remplir, dans toute leur plénitude, les humbles et grands devoirs du citoyen. Victor Hugo.

à Paul De Saint-Victor. 7 novembre. Cher grand écrivain, je viens de lire votre page magnifique sur les châtiments . Laissez-moi vous écrire ce que je vous ai dit déjà, combien je vous honore et je vous aime. Gloire à vous qui avez toujours tenu haut le drapeau de l’idéal. Je vous remercie. Victor Hugo.

Si vous voyez avant moi Madame Lia Félix, félicitez-la de son grand succès et de son grand talent.

à Jules Simon. lundi soir 21 novembre. Cher confrère et cher ministre, je veux donner au peuple une fête républicaine, lui offrir gratis une lecture des châtiments dans la salle de l’opéra que l’empereur souillait et que le peuple glorifiera. Vous êtes un noble esprit et un grand cœur. Vous m’y aiderez. La société des gens de lettres, dont nous sommes tous deux présidents honoraires, attend cela de nous. On me parle des objections de M Perrin, démissionnaire. M Perrin et ses objections sont de peu de poids devant le peuple et devant le devoir républicain. Je vous remercie d’avance de l’ordre immédiat que vous donnerez. Votre ami. Victor Hugo.

à Noël Parfait. jeudi, midi novembre. Mon cher poëte, je vous remercie de la loge. Je n’y puis aller, vous le savez, mais vous aurez une spectatrice bonne et charmante, Madame Paul Meurice. — quant à la double représentation Châteaudun et canon , nous sommes d’accord. Peu m’importe le théâtre. Je tiens au dimanche, pour avoir le plus d’argent possible, pour les veuves et pour le canon, qui, hélas, fera des veuves, mais prussiennes. Nous donnerons donc, deo volente, ces deux soirées deux dimanches de suite, au théâtre-français. Votre théâtre jouera, avec M Charpentier, bien heureux d’être le fiancé de Mlle Favart, le 5 e acte d’Hernani , et vous y ajouterez le 5 e acte de Lucrèce Borgia joué par Mme Laurent. Je pense que m’acceptant sous la forme Hernani , vous m’accueillerez sous la forme Lucrèce Borgia . — et nous ferons deux bonnes actions. à vous cordialement. Victor Hugo.

à Edgar Quinet. 7 décembre. Mon illustre ami, votre belle et noble lettre est une émotion pour moi. J’y sens votre main serrant la mienne. à bientôt. Mettez-moi aux pieds de votre généreuse et charmante femme. tuus. Victor H.

à Monsieur E De Biéville. jeudi 22 décembre. Mon cher et cordial confrère, vous avez écrit sur Napoléon le petit une page éloquente que le rappel a reproduite. Je serais heureux de vous serrer la main. Si vous n’avez pas peur d’un dîner de famine, vous seriez bien aimable de venir vous asseoir à ma cantine, pavillon De Rohan, r Rivoli 172 après-demain samedi à 6 h et demie. Votre ami. Victor Hugo.

à Joseph Magnin. 29 décembre. Monsieur et cher ministre, je vous demande une exception, mais je vous la demande pour une exception. T Gautier est, comme poëte, comme écrivain, comme critique, comme artiste, un des hommes qui honorent notre temps. S’il s’adressait à vous directement, vous feriez ce qu’il désire ; il me croit un crédit qu’il a, certes, plus que moi ; mais puisqu’il le veut, je vous fais sa demande. La voici : Gautier a un cheval, ce cheval est réquisitionné, Gautier l’aime, et vous prie de l’épargner. Le cheval est chez M Deligne, avenue Malakoff, 16. Vingt-quatre heures de sursis sont accordées. Un mot de vous suffit pour changer ce sursis en grâce. Ce mot, vous le direz ; et en le disant, vous sauverez une vie et vous ferez plaisir à deux poëtes, Gautier et moi. Je vous remercie d’avance par mon plus cordial serrement de main. Victor Hugo.


à Edgar Quinet. 8 janvier. Cher Quinet, les bombes tombent chez vous, je les attends chez moi. Je ne crains rien pour vous qui êtes un de ceux sur qui Dieu veille, mais j’ai besoin de vous envoyer mon plus tendre serrement de main, ainsi qu’à votre noble femme. tuus. Victor H.

à Auguste Vacquerie. 6 février. Cher Auguste, je vais faire le relevé des chiffres de notre pauvre caisse de secours, n’osant pas vous donner la peine de le faire. Je ne sais plus trop où elle en est, mais mes petites paperasses sont en règle. Dans tous les cas, je ne crois pas grever trop le reliquat en vous priant de remettre 20 francs sur cet argent des victimes de la guerre à la personne qui vous portera ce mot. à vous. Victor Hugo.

à Paul Meurice. Bordeaux, 18 février. Cher Meurice, voici ma première minute de loisir, elle est pour vous, pour Madame Meurice, pour Auguste Vacquerie. Ah ! Que vous me manquez tous ! Vous manquez à mon cœur, vous manquez à ma conscience, vous manquez à mon esprit. Jamais je n’ai eu plus besoin de vous qu’en ce moment où je ne vous ai plus. Je ne sais si cette lettre vous parviendra. Le caprice prussien est impossible à prévoir aussi bien qu’à limiter. Enfin, nous voilà ici. Rude voyage. Victor vous a écrit et vous l’a conté. Arrivés ici le 14 à deux heures, pas de logis, tous les hôtels pleins ; à dix heures du soir nous ne savions pas encore où nous coucherions. Enfin nous sommes sous des toits, et même chez des hôtes sympathiques. Ne chambre coûte 300 francs par mois. Maintenant, de vous à moi, la situation est épouvantable. L’assemblée est une chambre introuvable ; nous y sommes dans la proportion de 50 contre 700, c’est 1815 combiné avec 1851 (hélas ! Les mêmes chiffres un peu intervertis), ils ont débuté par refuser d’entendre Garibaldi qui s’en est allé. Nous pensons, Louis Blanc, Schoelcher et moi, que nous finirons, nous aussi, par là. Il n’y aura peut-être de ressource, devant les affreux coups de majorité imminents, qu’une démission en masse de la gauche, motivée. Cela resterait dans le flanc de l’assemblée et la blesserait peut-être à mort. Nous avons réunion de la gauche tous les soirs. Nous faisons, Louis Blanc et moi, d’énormes efforts pour grouper la gauche. Beaucoup d’entente et une forte discipline nous permettront peut-être de lutter. Mais obtiendrons-nous cette entente ? Pas un journal pour nous. Nous sommes en l’air. Aucun point d’appui. le rappel publié ici rendrait d’immenses services. Un de vous devrait venir. Pour juger cette situation, il faut la voir. De loin, vous ne vous en doutez pas. Que je suis loin de ces charmants jours de votre hospitalité ! J’avais des bombes au-dessus de la tête, mais j’étais près de votre cœur. Toutes nos mains pressent la vôtre. Mettez mes plus tendres respects et ma reconnaissance sans bornes aux pieds de Madame Meurice. Mon adresse est : 37, rue de la course.

19 février. J’ajoute quelques lignes en hâte. Vous savez que le peuple de Bordeaux m’a fait le lendemain de mon arrivée une ovation magnifique. Cinquante mille hommes dans la grande-place ont crié : vive Victor Hugo. le lendemain, l’assemblée a fait garder militairement la grande-place par de l’infanterie, de la cavalerie et de l’artillerie. Comme j’avais crié : vive la république, et que le peuple avait multiplié ce cri par cinquante mille bouches, l’assemblée a tremblé. Elle s’est déclarée insultée et menacée. Cependant je n’ai pas soulevé d’incident. Je me réserve pour le jour décisif. C’est l’avis de la réunion de la gauche, où siègent Louis Blanc, Schoelcher, Joigneaux, Martin-Bernard, Langlois, Lockroy, Gent, Brisson, etc., et qui m’a nommé son président. Cette réunion se tient tous les soirs rue Lafaurie-Monbadon, 77. Hier, on a agité des questions très graves : le futur traité Thiers-Bismarck, l’intolérance inouïe de l’assemblée, le cas probable d’une démission en masse. On croit l’assemblée capable de ne vouloir entendre aucun orateur de la gauche sur le traité de paix. Il va sans dire que je remplirai là les suprêmes devoirs. Ce matin, le président du cercle national de Bordeaux est venu mettre ses salons à ma disposition. La sympathie de la ville pour moi est énorme. Je suis populaire dans la rue et impopulaire dans l’assemblée. C’est bon. Et je vous serre dans mes bras.

au même. 1 er mars, 9 heures du soir. Je viens de parler. Je vous écris. J’entends crier dans la rue un journal du soir la tribune . Je l’envoie acheter. Il y a un compte rendu sommaire de la séance. J’y coupe ceci : M Victor Hugo déclare dans une magnifique improvisation qu’à ses yeux la paix même telle qu’on la présentait n’était pas honteuse pour la France, mais qu’elle était infâme pour la Prusse qui, en abusant ainsi d’une victoire obtenue par les plus vils moyens, se déshonorait aux yeux du monde et de l’histoire. Je vous envoie ces lignes. Elles ne résument pas du tout mon discours. Lisez-le au moniteur . Je crois que vous jugerez utile de le reproduire ainsi que celui de Louis Blanc. Vous serez frappé de la différence d’accueil que nous fait la droite. Elle me hait, mais je l’ai fermement matée. En somme, très grand effet sur l’assemblée, qui sera, je crois, plus grand sur la France.

au même. 2 mars matin. le rappel m’arrive enfin, depuis quinze jours je n’en avais pas aperçu un numéro. C’est une joie dans notre groupe. Je coupe dans le moniteur mon discours et je vous l’envoie avec les paroles polies, mais bêtes, de M Tachard. Il ne m’a pas compris. En revanche, vous verrez combien j’étais d’accord avec ce que vous et Vacquerie écriviez dans le numéro du 1 er mars. (entre nous, la gauche est en miettes. J’aurais voulu une démission en masse après le vote infâme du traité. Impossible. J’en viendrai probablement à ma démission isolée. Conseillez-moi, mais vite.) tuus. V.

Charles est assez gravement souffrant depuis 10 jours.

au même. 8 mars, 4 heures. Cher ami, évènement. L’assemblée et la ville sont en rumeur. Je viens de donner ma démission. Voici comment et pourquoi. Garibaldi a été nommé dans je ne sais plus quel département. Le rapporteur est monté à la tribune et a proposé l’annulation de l’élection, vu que Garibaldi n’est pas français . Applaudissements violents de la droite. Le président a dit : je mets l’annulation aux voix. Personne ne demande la parole ? J’ai dit : si ! Moi. Profond silence. J’ai bien parlé (vous verrez mes paroles dans le moniteur ). Mais la droite était furieuse. Elle a insulté Garibaldi. Alors j’ai dit : Garibaldi est le seul des généraux français engagés dans cette guerre qui n’ait pas été vaincu. -là-dessus, épouvantable tempête. Cris : à l’ordre ! Dans un intervalle entre deux ouragans, j’ai dit : je demande la validation de l’élection de Garibaldi . Cris plus effroyables encore : à l’ordre ! à l’ordre ! Nous voulons que le président rappelle M Victor Hugo à l’ordre ! — tumulte et orage inexprimablement furieux. J’ai fait de la main un geste. On s’est tu. J’ai dit : -je vais vous satisfaire. Je vais même aller plus loin que vous (profond silence). Il y a trois semaines vous avez refusé d’entendre Garibaldi. Aujourd’hui vous refusez de m’entendre, cela me suffit. Je donne ma démission. L’effet a été immense. Ils sont consternés. Vous aurez demain la chose in extenso dans le moniteur . à vous ex imo . V H.

à Paul Meurice et à Auguste Vacquerie. 14 mars. Chers amis, je n’y vois pas, j’écris à travers les larmes ; j’entends d’ici les sanglots d’Alice, j’ai le cœur brisé. Charles est mort. Hier matin, nous avions déjeuné gaîment ensemble, avec Louis Blanc et Victor. Je donnais le soir un dîner d’adieu à divers amis, au restaurant Lanta, à huit heures. Charles prend un fiacre pour s’y faire conduire, avec ordre de descendre d’abord à un café qu’il indique. Il était seul dans la voiture. Arrivé au café, le cocher ouvre la portière, et trouve Charles mort. Il avait eu une congestion foudroyante suivie d’hémorragie. On nous a rapporté ce pauvre cadavre que j’ai couvert de baisers. Depuis quelques semaines, Charles était souffrant. Sa bronchite, gagnée à faire son service d’artilleur au siège de Paris, s’était aggravée. Nous comptions aller à Arcachon pour le remettre. Il aurait bu de l’eau de pin. Nous nous faisions une joie de passer là en famille une ou deux semaines. Tout cela est évanoui. Ce grand Charles, si bon, si doux, d’un si haut esprit, d’un si puissant talent, le voilà parti. Hélas ! Je suis accablé. Je vous ai envoyé une dépêche. Quand ce mot vous arrivera, je pense que Victor sera en route pour revenir à Bordeaux. Je veux emporter Charles. Nous le mettrons à Paris avec mon père ou à Villequier avec sa mère. Aimez-moi. V.

à Madame Edgar Quinet. 15 mars. Bordeaux. Madame, vos paroles me pénètrent comme une lumière. Vous êtes la grande compagne d’un sublime esprit. Je suis accablé de douleur. Les cœurs comme le vôtre sont le point d’appui de ceux qui souffrent. Aimez-moi. J’embrasse Quinet. Je suis à vos pieds. Victor Hugo.

à Paul Meurice et à Auguste Vacquerie. 17 mars. Chers amis, Barbieux part et vous portera ce mot. Il nous précédera d’un jour. Nous partirons demain vendredi 18 et nous serons à Paris samedi 19, vers midi. Nous arriverons avec le cercueil de ce doux et grand bien-aimé. Je voudrais le déposer près de mon père. Il y a de la place, celle que je me réservais. La tombe de mon père est au père-Lachaise. Il faudrait qu’elle fût ouverte et toute prête. Voulez-vous, mes admirables amis, vous charger de tout cela ? Corbillard, voitures, etc. Le corbillard nous attendrait à la gare d’Orléans, ainsi que les voitures, et nous irions droit au cimetière. Voilà trois nuits que je n’ai dormi. Je vous embrasse, chers, chers amis. V H.

à Jules Janin. Paris, 20 mars. Vous vous souvenez, vous m’aimez. C’est un rayon dans mon deuil. Le fils tout petit prenait votre main dans la sienne ; le père vieux appuie son cœur sur votre cœur. Je suis accablé, mais debout. Cette vie n’est qu’un commencement, j’attends la fin. Cher vieil ami, je vous aime bien. V.

à Madame édouard Bertin. 20 mars. Je pars, madame, je vais à Bruxelles pour la liquidation de cette jeune communauté. Ce nid si vite brisé. Vous savez comme j’aime édouard, comme je vous aime, comme j’aime Mademoiselle Louise. Je vous remercie de votre douce lettre. Mon cœur saigne et vous bénit. Vous avez tous été charmants pour son enfance. Je me mets à vos pieds, madame, et j’embrasse mon vieil ami édouard. V H.

à Paul Meurice et à Auguste Vacquerie. Bruxelles, dimanche 26 mars. J’ai enfin un moment pour respirer, et je vous écris. J’ai trouvé ici les affaires de mes pauvres petits dans le plus déplorable état. Le passif égalera au moins l’actif. Demain le conseil de famille ( provisoire, vu la présidence d’un juge de paix étranger) se réunit chez moi. On nommera le subrogé tuteur provisoire , et l’on autorisera l’ouverture de l’inventaire. Un seul créancier, M Conaës, arrive avec une créance de 16790 fr. Cher et doux ami, je vous accable de mes affaires, au moment où vous avez sur les bras les affaires publiques. Nous n’avons ici que des communications intermittentes avec Paris. Les lettres arrivent en retard, les journaux, peu. M’envoyez-vous le rappel ? Je n’en ai pas reçu un numéro. Hier, cela semblait très grave ; aujourd’hui on dit Paris calmé. Je voudrais causer de tout cela avec vous. Il y aurait une situation intermédiaire à prendre ; l’intermédiaire d’aujourd’hui serait l’arbitre de demain. Je pense que le rappel a dû prendre position dans ce sens. De grandes fautes ont été faites des deux côtés. Du côté de l’assemblée, ces fautes sont des crimes. Comment la gauche a-t-elle laissé passer sans protester le rapport demandant l’adoption du projet infâme qui rétablit sur leurs sièges les quinze misérables juges, Devienne en tête ? Je comptais, moi, parler là-dessus. Ah ! Quand les cinq milliards seront payés et les prussiens partis, la vraie situation commencera. -nous aussi, nous aurons un arriéré à réclamer de cette inepte et coupable assemblée. — ajournons jusque-là. — du fond de mon chaos de formalités et d’ennuis je vous envoie mon plus tendre embrassement. ex imo.

je me mets aux pieds de Madame Meurice. Ces dames l’embrassent et aspirent au retour. Est-il donc impossible que le rappel nous parvienne ?

aux mêmes. Bruxelles, 18 avril. Chers amis, nous sommes ici toujours en proie à la liquidation de Charles, qui se soldera d’une façon bien onéreuse. les misérables, je l’espère, aideront un peu. Vous, là-bas, vous continuez d’être admirables. Voici encore une chose que j’ai faite. On me dit qu’elle peut être utile et qu’il faut vous l’envoyer. Je la crois utile en effet, mais je subordonne, comme toujours, mon avis au vôtre. Décidez s’il faut publier cela, et à quel moment. pas de représailles me semble un cri nécessaire. La commune, chose admirable, a été stupidement compromise par cinq ou six meneurs déplorables. Serez-vous assez bons pour annoncer que ces trois pièces : un cri, pas de représailles, dans le cirque, font partie d’un demi-volume que je publierai bientôt sous ce titre : Paris combattant (question : aimeriez-vous mieux : Paris héroïque ? ). Les deux guerres seront dans ce livre, la guerre étrangère où j’ai été présent, la guerre civile dont j’ai été absent. Le livre sera comme un compartiment actuel de la légende des siècles . Plus Paris semble tomber, plus je le relèverai. Je remets tout ceci en vos mains. Plus mon vieux cœur. Chers amis, je ne vous aimerai jamais assez. V.

Nous avons ici M Ernest Lefèvre qui, dans notre deuil, nous donne cette joie de dîner avec nous tous les jours. Ah ! Nous parlons de vous !

à Paul Meurice. 4 mai. Cher Meurice, vous savez ma foi absolue en vous deux, lisez ceci. Si vous ne le croyez pas publiable, mettez la chose dans votre poche, et n’en parlez même pas à Auguste. Si vous avez doute, consultez-vous tous les deux, et décidez. — ce que fera votre duumvirat sera bien fait. — cette chose sera dans Paris combattant ; ce n’est pas une raison pour que le rappel l’insère ; vous traversez un moment dont vous êtes seuls juges, le voyant de près. Dans Paris combattant, les vers auront sur eux le reflet colorant de tout le livre ; dans le rappel, ils ne l’auraient pas. Cependant, comme je propose nettement de mettre la statue du peuple sur la colonne à la place de la statue de Bonaparte, cela, ce me semble, leur donne toute justice et toute justesse. — ce que je vous demande, c’est de ne prendre conseil, moi mis de côté, que de ce que vous croirez le mieux. Publiez, ou ne publiez pas, ce sera bien. Ah ! Quand vous verrai-je, doux ami ? Mettez mes plus respectueux et mes plus absolus dévouements aux pieds de Madame Meurice. Je baise ses belles mains et je serre vos mains vaillantes. à bientôt, j’espère. Je ne me sens pas utile, sans quoi il va sans dire que je serais à Paris. tuus. V.

La commune ! Quelle belle chose cela eût pu être en face de cette odieuse assemblée ! Mais, hélas ! Il y a une pauvre et honnête fille qui meurt de faim. Je l’ai empêchée de se jeter à l’eau. Elle demeure rue st-Benoît, impasse st-Benoît, n 8. Voulez-vous être assez bon pour lui faire remettre 50 francs de ma part. Elle s’appelle Mlle Montauban. Elle a été actrice. Si on pouvait la caser dans les misérables cela serait bien.

à Jules Janin. Vianden, 11 juin. Merci cher poëte, votre lettre éloquente me touche vivement. Vous avez raison de me féliciter. J’ai fait mon devoir. Je suis chassé et content. Vous êtes assez bon pour souhaiter mon portrait, mais je ne l’ai pas. Et ici il n’y a pas de photographes. C’est un pays magnifique et sauvage où la chambre noire, le chlorure d’or et le nitrate d’argent sont inconnus. Le soleil, dans ce vallon un peu farouche, fait des fleurs et des fruits, et ne copie pas les hommes. Quand vous reverrai-je ? Bientôt, j’espère. Tout notre groupe vous envoie sa meilleure cordialité, et je salue votre noble esprit. Victor Hugo.

à Paul Meurice. Vianden (Luxembourg), vendredi 19 juin. Votre lettre ! Votre liberté ! Nous avons eu un éblouissement de joie. Tout notre petit groupe a brusquement rayonné au milieu du grand deuil où nous sommes, patrie et famille. Oh ! Oui, venez vite. Nous avons à parler de tout. Victor excursionne, mais reviendra pour vous. Nous allons nous retrouver ensemble dans ce Vianden où, à chaque pas, je pensais à vous ; mon expulsion ne songeait qu’à votre prison. Quel bonheur de vous revoir. J’ai beaucoup travaillé. Tout s’est sinistrement agrandi. Je crois que cela fera bien en volume. Paris combattant ne suffit plus ; le livre s’appellera l’année terrible . Il commencera par turba et finira, après avoir traversé la chute de l’empire et l’épopée des deux sièges, par la catastrophe actuelle, d’où je ferai sortir une prophétie de lumière. Oui, notre avis est qu’il serait bon de faire tout de suite reparaître le rappel . Venez, mon doux et cher conseiller, veni spiritus ! si vous pouviez venir plusieurs , vous savez ce que je veux dire, comme ce serait charmant ! On est très bien ici pour 6 francs par jour. Dites-le aux amis. Mme Meurice a été admirable ; parbleu ! Je le crois bien ! Je me mets à ses pieds. Que je serais heureux de la voir ! Tout notre groupe vous embrasse éperdument, elle et vous. Grand esprit, grand cœur, doux frère et doux maître, je vous aime. Oui, j’ai bien fait de protester, et j’ai arrêté net la lâche reculade du gouvernement belge. Il admet maintenant les vaincus. Aussi j’ai écrit de lui (dans ma lettre finale) : il m’a expulsé, mais il m’a obéi. avez-vous lu cette lettre ? Que de choses à vous dire ! Je vous embrasse, je vous embrasse. Arrivez !

au même. Vianden. hôtel Koch, 1 er juillet. Victor est revenu hier, venez, et la famille sera complète. Vous aurez, vous et Madame Meurice, chacun une chambre, à l’hôtel de Luxembourg ou chez M Pauly Strasser, bourgmestre, l’hôtel Koch étant plein. (je loge moi-même dans une maison à côté.) vous resterez avec nous le plus longtemps possible, et vous me permettrez de vous inviter à déjeuner et à dîner tous les jours, et tout le temps de votre séjour. Que de choses à nous dire ! Les journaux publient une liste radicale commençant ainsi : Victor Hugo, Gambetta... — mais... enfin nous causerons. M Le Bailly éditeur, a dû vous remettre 100 fr pour moi, prix d’une autorisation qu’il m’a demandée pour vieille chanson du jeune temps . L’institut a-t-il payé ce semestre ? Je n’oublie pas la traite de 1000 fr que j’ai souscrite au rappel . Encore bien des choses à régler. Quel besoin de vous voir ! Et quelle joie ! Doux ami, je vous serre dans mes bras. Tous nous vous crions : venez vite ! V.

au même. Vianden, 29 juillet. J’accepte votre offre excellente pour cette traite de 1806 fr. C’est là une de ces tuiles comme il n’y en a que trop dans la liquidation de mon bien-aimé Charles. N’importe. Je ferai face à tout. En attendant, ex imo corde, merci. J’espère être en mesure de vous envoyer demain ce que vous me demandez pour le volume actes et paroles , à cela près de quelques pièces. La lettre adressée à vous et à Auguste ne sera pas la conclusion, vu qu’elle a pour date mai . Que dites-vous de l’affaire inouïe des tableaux du louvre volés par Victor, recélés par moi ? La farce du 27 mai est presque arrivée à la tragédie, celle-ci dépasse la comédie. Je ne croyais pas qu’il y pût avoir quelque chose au-dessous de la magistrature française. Hé bien, il y a la magistrature belge. Quelle éclipse que votre départ ! Comme nous vous aimons ! Comme je vous aime ! V.

Ces dames embrassent tendrement Madame Meurice. Mettez-moi à ses pieds. à bientôt. Oui, si cela durait, il faudrait mettre ces gens en demeure de vous laisser reparaître.

au même. 1 er août. Voici tout le fascicule qui contient l’incident belge. J’ai tâché de ne mettre que le nécessaire. J’ai ôté le nom de La Cecilia, vu sa réclamation. Ce qui me reste à donner pour compléter le volume fera à peu près autant de matière que ce fascicule. Un peu plus peut-être. Cher doux ami, je vous serre dans mes bras. tuissimus.

au même. Vianden, 5 août. Je commence par vous remercier. Je vous rends grâces de parer encore cette tuile de 1711 fr. Je crains que dans tout cela il n’y ait beaucoup de billets de complaisance . Si vous saviez qu’à Bruxelles, et à une seule personne, M Conaës (lisez Connas ) j’ai dû payer pour 16000 fr de ces billets. — enfin j’obéierai à tout. Je paierai tout, et, ô ma providence, je vous dis merci ! Passons à notre spirituel et cher Blum. Vous savez comme je l’aime. Mais que faire ? le journal des débats m’a récompensé de toutes mes cordialités de vieil ami par la plus complète hostilité. La dignité m’oblige, en attendant réparation, à répondre à l’hostilité au moins par la froideur. Puis-je demander quelque chose à ces amis ennemis ? évidemment vous répondrez non. Quant à m’adresser directement au préfet de la Seine, c’est moins possible encore. Vous-même m’avez conseillé dans ce que je voulais faire pour Rochefort, de garder vis-à-vis le gouvernement un escarpement absolu. Dites tout cela à notre ami Ernest Blum ; il sera le premier à comprendre les nécessités de ma situation. N’est-ce pas votre avis ? Mais ce que je ne puis faire, Louis Blanc le pourrait, et il me semble que par Charles Blanc on réussirait certainement. Pesez tout cela, ô mon admirable ami. Je me mets aux pieds de Madame Meurice. Ces dames l’embrassent tendrement et la remercient. Votre. V.

Vous avez dû recevoir mes fascicules belges.

à François-Victor. Vianden, 8 août. Mon bien-aimé enfant, tu n’as donc pas reçu, 1 une lettre de Meurice à moi adressée, et à laquelle j’avais mis quelques lignes d’en-tête pour toi. -2 un billet de moi (par Alice) contenant un extrait de journal, et t’annonçant un nouveau billet Charles-Barbieux de 1711 fr payable le 8 août, ce qui fait 3500 fr exigibles en moins de quinze jours. Je te faisais part de tout cela ; et je t’envoyais mon applaudissement car tes deux lettres sont charmantes, Meurice en est ravi, elles ont fait grand effet à Paris, et l’on y a ri de la justice belge comme à Bruxelles on rit de la justice française. — mon Victor, pas de bonheur sans toi. Reviens vite. Nous t’attendons vendredi. Tâche de nous amener M Jean Fontaine. Transmets-lui cette lettre. C’est un noble esprit et un noble cœur. Alice va revenir avec Georges. Nous sommes ici trois cœurs (dont un petit, Jeanne) qui te crions : reviens ! — je t’embrasse tendrement.

à édouard Lockroy. Vianden, 10 août (grande date). Cher confrère, Versailles vous a mis en prison, Paris vous met à l’hôtel de ville. C’est bien fait. Quand donc les hommes comprendront-ils que rien n’est bête comme de persécuter ? La persécution est de l’espèce écrevisse ; elle va toujours du côté opposé à celui où elle veut aller ; elle réussit l’avortement ; elle couronne ceux qu’elle veut décapiter. Donc tout est bien. Le conseil municipal de Paris a besoin d’hommes comme vous. Vous y représenterez l’art et le progrès. Vous serez secondé, du reste, je le crois, par le préfet, M Léon Say, que je tiens pour un homme très distingué, intelligent et libéral. Je suis très en froid avec les débats , que possèdent mes amis et que rédigent mes ennemis ; mais cela ne m’empêche pas de rendre justice à M Say. Vous trouverez en lui, je n’en doute pas, beaucoup d’appui pour tout ce qui peut rendre à Paris sa grande et haute splendeur. Le théâtre sera une de vos principales préoccupations. J’entrevois que le théâtre-français va redevenir un théâtre de coterie, ce que du reste il a toujours été depuis quarante ans. La porte-saint-Martin est morte comme Jeanne D’Arc, non pas vierge (vu la biche aux bois et le pied de mouton, etc.) mais martyre. Renaîtra-t-elle ? Le vaudeville existe. C’est un beau théâtre. Il pourrait rendre à l’art et à Paris de grands services, mais il faudrait qu’il fût bien dirigé. Votre ami et le mien, M Ernest Blum, serait, selon moi, l’homme. Vous l’appuierez, n’est-ce pas ? Je ne suis rien et je ne puis rien ; mais vous, qui êtes l’esprit, le talent, le cœur et la volonté, puisque vous avez le mandat, vous aurez à coup sûr, l’influence. Je serais charmé d’apprendre que M Blum a réussi. On n’en trouvera pas un plus spirituel, ni un plus honnête. La république a des amis dans le conseil municipal de Paris. Ils seront, certes, avec vous. Rien qu’au point de vue littéraire, que de grandes choses pourraient faire les hommes chargés de cette immense tutelle municipale de Paris. Les peuples sont libres par la littérature autant que par la politique. Preuve, Athènes. Faites de votre mieux, mon cher collègue d’autrefois, mon cher confrère de toujours. Votre ami, Victor Hugo.

à bientôt.


â Paul Meurice. Vianden, 10 août. Voici ma lettre à Lockroy pour Blum. Elle va, je crois, au but. Voici ce que j’ai dit à Bordeaux en refusant de monter sur le grand balcon pour parler à l’immense foule de la place. Je vous enverrai plusieurs autres speeches dans les bureaux et dans les réunions de la gauche. Cher ami, n’oubliez pas la lettre de Garibaldi, après la séance du 8 mars. Je ne comprends pas que vous n’ayez pas trouvé dans le fascicule belge mes trois lettres finales. Elles y étaient, toutes les trois sur le même feuillet ; le dernier. Aurait-on ouvert le paquet, bien que chargé ? Il y avait une note de moi sur Kerwyn et Anspach. Que Madame Meurice est bonne ! Quelle charmante attention ! Je vais étudier ces plans si bien faits, avec Alice et Victor qui me reviennent demain. Je travaille. Quel besoin j’aurais d’être près de vous ! On dit que l’état de siège sera levé le 15. le rappel reparaissant ramènerait Victor, et moi par-dessus le marché, mais cette solitude va à mon travail. C’est égal. à bientôt. — à toujours.

au même. vendredi, 18. Vianden août. Cher ami, nous comptons partir mardi 22 pour Mondorf. Vous pouvez toujours m’écrire ici ; les lettres me suivront, et dès que nous serons à Mondorf, je vous écrirai. Je profiterai de Mondorf pour mon éventualité de sciatique. — voici, sous ce pli, les en-tête des quatre premières pièces du recueil. Cela doit être sobre, bref, précis, concis. Mais je ne puis aller plus loin sans avoir les pièces sous les yeux. Serait-il possible de m’envoyer les épreuves en placards ? Vous déciderez. J’ai reçu une lettre de la pauvre et honnête Mlle Montauban. Vous avez été bon pour elle. Si Blum réussit, recommandez-la lui. Je la lui recommanderai aussi. Mais vous êtes plus puissant que moi ; c’est tout simple, vous êtes meilleur. Ces dames embrassent tendrement Madame Meurice. Mettez-moi à ses pieds. tuus. V.

au même. Diekirch, 23 août. Complication. Le gouvernement belge se décide, sous la pression de l’opinion, à faire semblant d’informer sur le guet-apens nocturne du 27 mai. Je suis ici pour déposer devant le juge d’instruction de Luxembourg, délégué par commission rogatoire du parquet bruxellois. J’ai fait précéder ma déposition d’une déclaration que vous lirez dans les journaux. Je suis absolument de votre avis quant aux vers à insérer. Attendez quelques jours, je vous enverrai une pièce plus immédiatement passionnante que à qui la faute ? Et un peu moins personnelle (et surtout sans noms à retrancher) que expulsé de Belgique . Je crois que ce sera mieux. Cher doux ami, je serai samedi soir à Mondorf, ou du moins à Afflize-Près-Mondorf (sorte de faubourg), hôtel de Paris . Vous pourrez m’écrire là. Que je voudrais vous y avoir comme à Vianden ! Tous ces dérangements me gênent beaucoup, mais je vous enverrai prochainement la suite et la fin du recueil actes et paroles . — quant à des titres pour les divisions, j’hésite un peu, et je vous soumets mon hésitation. N’y a-t-il pas inconvénient à côtoyer le pittoresque ? Il faut que le livre ait l’aspect sévère d’un document. Des chiffres. — quelques titres çà et là, — comme Paris , — puis Bordeaux , — puis Bruxelles , — puis Vianden , indiquant les grandes divisions naturelles du livre, cela ne vaudrait-il pas mieux ? Je vous soumets cela. à bientôt. à toujours. V.

M Barbieux m’a en effet prévenu qu’il y avait près de 8000 fr de traites de Charles à payer. Mais sa lettre semblait faire espérer beaucoup de temps pour les échéances. C’est le coup sur coup qui est inattendu, et qui m’embarrasserait gravement si vous n’aviez été là, ô ma providence.

au même. 31 août. Altwies. Je rectifie mon adresse. J’habite non Afflize (qui n’existe pas) mais Altwies près Mondorf (Luxembourg). Mon noble et doux ami, je pense bien à vous. On copie les vers que je vous ai annoncés. Vous les recevrez dès que la copie sera faite. (à ce propos, seriez-vous assez bon pour me renvoyer les deux autres pièces afin d’épargner les yeux fatigués de ma généreuse copiste ? ) le docteur Marchal, médecin de ces eaux, lui commande à elle, et me commande à moi une saison entière, à elle pour sa goutte plus intense que jamais, à moi pour ma sciatique qu’il s’agit de consigner à la porte déjà entrebaîllée de cet hiver. Nous ne pourrons donc être à Paris avant le 25 septembre. Du reste, Victor qui suit le traitement hydrothérapique, et moi qui suis le traitement thermal, nous utilisons notre séjour. Hier nous avons vu Thionville, jadis défendu par mon père, et livré par le général bonapartiste de 1870. Rien de plus émouvant pour moi. Voulez-vous être assez bon pour faire jeter cette lettre à la poste ? Nous verrons Metz, et nous tâcherons de voir Strasbourg. Victor prend des notes du plus haut intérêt, dont le rappel profitera. On dit que l’état de siège ne sera pas levé avant le 15 septembre. Oh ! Que je voudrais vous tenir ici pour quelques jours ! Je vous lirais des choses qui vous plairaient, je crois. Je n’ai pas encore reçu les placards du recueil a et p . Mettez-moi aux pieds de Madame Meurice. à vous profondément. V.

au même. Altwies, 1 er septembre. Voici la pièce annoncée. Je la croyais absolument sans danger pour le rappel reparaissant ; mais au moment de l’envoyer, je la relis, et j’y trouve peut-être deux ou trois vers scabreux, à moins qu’une vraie liberté ne revienne. Décidez. Choisissez entre ça et expulsé de Belgique . Il va sans dire que vous pourriez faire des retranchements indiqués par des points. Je vous ai écrit hier. Il m’est doux de causer avec vous tous les jours. On ne sait plus que croire ici. Nous continuons de boire de l’eau. tuus. V.

au même. 3 septembre. Altwies. Vous savez que j’obéis toujours volontiers à mon premier mouvement, mais vous êtes un tel ami que, toutes les fois que je le peux, je soumets mon émotion à votre jugement. J’ai été remué par les paroles de Jules Favre (affaire Laluyé). à mon avis, il n’a pas pris la question d’assez haut. Il eût dû proclamer ma maxime pro jure contra legem . Il eût dû dire : le faussaire, c’est la loi, qui exige qu’un enfant soit laissé à un faux père. is pater est est monstrueux. Je suis le vrai père. J’ai dit la vérité quand la loi voulait le mensonge. J’accuse la loi. Cela eût été maladroit, mais beau. Il eût perdu son procès devant le tribunal et l’eût gagné devant la conscience. Quoi qu’il en soit, sa situation et ses paroles m’ont touché, et je lui ai écrit. Mais je fais passer la lettre par vous, la voici, jugez-la, et ne l’envoyez que si vous l’approuvez. Vous connaissez les faits mieux que moi qui n’ai même pas lu le factum Millière. Ce que vous ferez sera bien fait. Jetez la lettre à la poste, ou au feu. Je ratifie d’avance votre verdict. Je dois dire que Victor trouve la lettre généreuse, mais en déconseille l’envoi. Décidez.

Vous trouverez sous cette enveloppe la suite des placards revus. Vous y trouverez mon discours avec plusieurs interruptions rétablies qui me semblent utiles, notamment les approbations de Thiers et de Dufaure. J’ai retranché ou modifié quelques mots de mes trois appels du commencement. Il m’est arrivé de prendre dans cette prose des choses que j’ai mises dans mes vers où elles sont mieux ; vous les voyez disparaître ici, mais vous les reverrez reparaître là. Ainsi (aux allemands) je remplace : c’est à Paris que l’on sent le battement du cœur de l’Europe par : que l’on sent vivre l’Europe. Vous retrouverez le battement du cœur dans l’année terrible . De même pour les autres changements. Donc ne me désapprouvez pas trop. à bientôt. Nous vous aimons bien. Je prends aujourd’hui ma douzième douche. Après vingt et une, je serai libre. — Dubuffle nous a bien fait rire. -je vous serre dans mes bras. Effusion de nos remerciements à Madame Meurice. J’ai corrigé dans mon discours beaucoup de fautes d’impression du journal officiel .

au même. Altwies, 6 septembre. Nous pensons, Victor et moi, qu’il vaut mieux laisser les hommes de l’exil à Lacroix. Seulement nous voudrions voir le traité. Il est à Bruxelles dans les papiers de Charles. Impossible de l’avoir en ce moment. Voulez-vous être assez bon pour prier M Lacroix de nous en envoyer copie ? J’ai fait droit à votre observation sur le rappel des 19 ans d’exil d’une façon que vous approuverez, j’espère. Je vous envoie la feuille 1 re en placard telle que je l’ai retouchée. — il me semble qu’après les sections i, ii, iii, iv, une cinquième serait utile, v, qui remettrait en lumière mes efforts antérieurs de fraternité entre les peuples. Si vous m’approuviez, vous couperiez dans la préface de Paris-guide mes paroles de concorde aux allemands (vers la fin de la préface, je n’ai pas le livre) et dans le rappel (vers le 25 juillet 1870) ma lettre aux femmes de Guernesey . Je vous envoie le texte qui accompagnerait ces citations. Vous trouverez dans ce paquet la section les châtiments remaniée et complétée d’après vos indications et vos conseils. Vous éveillez avec raison mon attention sur les citations du rappel . Si l’on entrait dans cette voie, il faudrait citer mon entrée dans Paris, plus importante que ces représentations, et bien d’autres choses encore. Il faudra citer le rappel , mais quand ce sera nécessaire. Ainsi l’enterrement de Charles , ainsi la citation de mon opinion sur la location des églises ; ainsi (peut-être) la physionomie de l’assemblée dans la séance où j’ai dû donner ma démission ; vous verrez dans la façon dont j’ai disposé la section châtiments que je réduis tout au fait. J’ai retrouvé des lettres (une à Chaudey, qui me semble intéressante) et des chiffres. J’ai pu préciser un certain nombre des représentations dont nos agents dramatiques n’ont pas gardé trace (ils auraient dû pourtant conserver mes signatures renonçant à mon droit d’auteur). Il faudra, n’est-ce pas, clore la division Paris par la citation totale des chiffres pour tous les représentants élus et finir le livre par le chiffre du 2 juillet, après lequel viendra, très courte, ma conclusion. 5 heures du soir. — votre dernière lettre m’arrive. Comme vous me parlez admirablement de ces vers ! Que c’est bon d’être compris par une âme profonde comme vous ! V.

La poste va partir. Je n’ai pas le temps de relire la copie. Serez-vous assez bon pour m’envoyer épreuve ? Mais peut-être serai-je à Paris avant le tirage. L’état de siège dure toujours, ce qui, à mon grand regret du reste, nous donne un peu de temps.

au même. 15 septembre. La lettre, à vous deux adressée, est à la copie. Le prochain courrier vous la portera probablement. Je vous envoie les i, ii, iii et v de la section Bruxelles . Votre lettre formera la division iv. Je crois que vous trouverez le tout bien arrangé ainsi. Ce volume en somme, bien que composé de documents et de pièces, me paraît, par son enchaînement, avoir un certain intérêt. Je renvoie aux notes sous le titre post-scriptum de l’incident belge , le fait des tableaux de Victor et le simulacre d’instruction contre lequel vous avez lu sans doute ma protestation. Est-il vrai que l’état de siège durera autant que l’absence de l’assemblée ? Si dans ma lettre, à vous deux adressée, et qui résume avec quelques développements tout ce que je vous ai écrit pendant la commune, vous trouviez des choses dangereuses au point de vue de la pseudo-liberté de la presse qui sévit en ce moment, avertissez-moi. Ne voulant pas être jugé sous la république par les juges impériaux, je ne veux pas de procès, et je mettrais des points, je m’exilerais plutôt que de me laisser traduire devant ces gens-là ; je ne dois paraître devant la magistrature de Bonaparte que comme juge. Je l’ai dit, je dois le faire. à vous ex imo .

à Jean Aicard. Altwies, près Mondorf, 18 septembre. J’ai tout reçu, la lettre et le livre. Cher poëte, vous êtes une âme douce et haute, et vous avez traduit votre âme dans ce pathétique livre à deux versants, rébellions et apaisements . Vous méritiez de faire ce beau et profond vers qui résume toute la famille des poëtes : les inspirés du beau, les indignés du mal. Vous êtes indigné parce que vous êtes inspiré. Je crois, au rebours de mon grand Juvénal, que c’est l’inspiration qui fait l’indignation. Les cœurs médiocres ignorent les grandes colères. J’ai lu votre livre, si riche en émotions vraies puissamment dites ; je le relirai. Je le porterai à Paris où je vais rentrer, moins applaudi que l’an passé, mais plus fier. Oui, j’ai bien fait ; je le sais. Vous le savez aussi, vous, noble poëte, grand cœur. Vous sentez bien, vous tous, généreux esprits, que je suis avec vous et que ma vieillesse fraternise avec votre jeunesse. Je porte le drapeau, et les coups sont pour moi ; mais la gloire est pour vous. Je vous serre la main, et je vous envoie mon applaudissement le plus ému et le plus cordial, cher poëte. Victor Hugo.

à Mademoiselle Louise Bertin. 18 septembre 1871. Altwies, près Mondorf. Luxembourg. Chère Mademoiselle Louise, voulez-vous être assez bonne pour remettre ce mot à Madame édouard Bertin. Je baise votre main en silence. Vous savez comme j’aimais édouard, grand talent comme vous, grand cœur comme vous. Sa peinture était sœur de votre musique. Croyons à la vie supérieure et espérons. Tendre et profond respect. V H.

à Madame édouard Bertin. 18 septembre 1871. Altwies, près Mondorf. Que vous dire, madame ? Vous perdez un mari, je perds un ami, ma douleur n’a pas la force de consoler la vôtre. édouard était le vieux et bon camarade de mon esprit. La vie avait fini par séparer nos destinées, non nos cœurs. Je crois à une vie ultérieure et supérieure, nous nous reverrons. Ce grand talent sur la terre est à cette heure un grand esprit dans le ciel. Je suis triste ; il n’y a pas d’autres douleurs que celles-là, perdre ce qu’on aime. En perdant édouard, il me semble que je perds quelque chose de moi-même : je songe aux causeries intimes et douces de notre jeunesse ; quel charmant passé évanoui ! Mon fils Victor est absent en ce moment, dès son retour il s’empressera de vous écrire. édouard a été pour lui presque un père, et vous, madame, vous avez été pour lui plus qu’un ange. Je mets à vos pieds mon tendre et profond respect. Victor Hugo.

à L Bochet. 22 septembre, Altwies. Cher monsieur, nous recevons le télégramme. Cette condamnation de Rochefort passe tout. Elle me décide à partir sur-le-champ pour Paris. Qu’y a-t-il à faire ? Je le ferai. Dites-le lui. Je suis son ami. J’écrivais il y a quelque temps ces vers qui seront dans mon livre l’année terrible . Montrez-les à Rochefort, il verra que mon vieux cœur est toujours à lui. Petit Georges est un peu souffrant, mais malgré les lenteurs calculées des chemins prussiens, nous espérons être à Paris le 25. Croyez à ma cordialité. Victor Hugo.

à Thiers. Paris, 28 septembre. Monsieur le président, j’aurais à vous entretenir au sujet de la condamnation de Henri Rochefort. Je désirerais savoir quel jour et à quelle heure je pourrais avoir l’honneur d’être reçu par vous. Recevez l’assurance de ma haute considération. Victor Hugo.

à Paul Meurice. 9 octobre. Cher doux ami, communiquez ceci à Auguste. Ce que vous déciderez sera bien. J’ai capitonné de mon mieux. Je crois que tout est aussi peu accrochant que possible, avec ces atténuations. Jugez souverainement. à vous. ex imo. ai-je besoin de revoir une épreuve ?

à Madame Jules Simon. Paris, 18 octobre. Madame, il s’agit d’une bonne action, et vous ne me trouverez pas importun. Je connais votre cœur. M Henry Maret agonise à l’hôpital militaire où il a été durement enfermé. Sa jeune femme au désespoir m’écrit. J’avais écrit pour M H Maret à Mme Lambrecht, mais c’était le 7 octobre et le 8 M Lambrecht mourait ; malheur à contre-coup, car en frappant M Lambrecht, il a atteint M Maret. M Henry Maret a deux petits enfants ; c’est un écrivain d’esprit et de talent, qu’il ne faut pas condamner à mort parce qu’il est condamné à la prison. Son admission dans une maison de santé le sauverait. Je crois me souvenir que M Jules Simon, le jour où il m’a fait l’honneur de dîner chez moi l’an passé, s’y est rencontré avec M Henry Maret. Un mot de vous à M Jules Simon et un mot de M Jules Simon à M Casimir-Perier sauverait M Maret. Il s’agit simplement de remplacer l’hôpital militaire, peu fait pour des écrivains, par une maison de santé. Vous le voudrez, madame ; je n’ai pas besoin de vous en prier ; je me borne à appeler votre attention sur cette jeune femme et sur ces deux petits enfants, et je mets leur douleur et mon respect à vos pieds. Victor Hugo.

à Paul Meurice. 30 octobre. Cher ami, voici la lettre. à propos du plébiscite, vous verrez que j’ai, comme toujours, tenu compte de vos observations. Pour une simple lettre, des moins ou des astérisques auraient un peu de prétention ; des blancs conviendraient mieux et suffiraient à marquer les repos et les divisions. Il faudrait donc un blanc de deux lignes ou d’une ligne et demie partout où j’ai mis une barre rouge. Vous m’approuvez, n’est-ce pas ? à vous. ex imo. V.

au même. jeudi 4 novembre. Cher Meurice, on peut aller aussi vite qu’on voudra. La fin de la copie est prête. Seulement il me semble inutile de la donner trop tôt pour qu’elle traîne à l’imprimerie. Les 10 premiers mois sont donnés. Il ne me reste à donner que juin et juillet (les plus longs, il est vrai) et l’épilogue (une page). Votre. V.

à Paul De Saint-Victor. 5 nov. Que de choses dans votre beau livre. Quelle puissante page que le gros Guillaume ! Et tant d’autres ! — je voudrais causer avec vous. Je vous dirais mes dissidences. Sur la Prusse nous sommes d’accord, sur la commune aussi. Seulement l’assemblée est pire. Vous êtes un noble esprit, toujours tourné vers l’idéal. Nous nous rencontrerons toujours dans la lumière. Je suis votre ami. Victor Hugo.

à Monsieur Edme Laurency. 7 novembre. Monsieur, le livre dont vous êtes le publicateur se rattache à cette famille de livres mystérieux dont font partie la bible hébraïque et les autres bibles de l’orient. Les apocryphes , sur lesquels aucun jugement sain n’a encore été porté, sont un des groupes de ce grand ensemble d’œuvres étranges, mi-partie d’esprit terrestre et d’esprit visionnaire. Tous ces livres, à commencer par le zend-avesta et à finir par le koran , sont acceptés par la science comme sujets d’études, et ils offrent un sérieux intérêt aux poëtes, qui ont pour contemplation l’idéal, et aux philosophes, qui ont pour visées l’infini. à ce double point de vue, je lirai votre livre. Je crois vous l’avoir dit déjà, je crois en Dieu, parce qu’il m’est mathématiquement démontré, et je suis de ceux qui pensent, avec Arago, qu’en dehors des sciences exactes, on ne peut rien affirmer ni rien nier. Cette réserve respectueuse devant le possible est la loi de ma conscience. Je laisse ouverte la porte de ma pensée, et tout rayon y peut entrer ; mais mon œuvre, que je tâche de faire utile, demeure personnelle, par obéissance même pour l’inconnu qui donne à chacun de nous une fonction sur la terre ; et je sens que j’accomplis le vrai devoir humain en maintenant absolument la liberté solitaire de mon esprit. Je vous remercie de votre honorable dédicace, et je vous offre ma plus cordiale sympathie. Victor Hugo.

à Auguste Vacquerie. vendredi soir 10 novembre. Que vous seriez gentil, cher Auguste, de venir dîner avec nous, en étroite intimité, après-demain dimanche, à 7 h, 55, rue Pigalle ! Mettez ma requête aux pieds de Mesdames Lefèvre. Nous les espérons avec vous. Nous vous demanderons de venir ainsi une fois toutes les semaines, avec Ernest Lefèvre quand il sera là. Vous ne nous refuserez pas. C’est si bon de s’aimer de près ! Votre vieux compagnon d’exil. V.

à Jules Janin. 10 novembre 1871. Mon éminent confrère, je n’étais pas hier à l’institut, j’y étais pourtant ; ma présence publique vous était inutile ; mais vous savez bien que mon cœur et mon esprit étaient là où l’on vous applaudissait. Je suis fier d’être nommé dans votre noble et beau discours. Vous appartenez à la grande académie historique, composée des seuls noms qui surnagent, très diverse, une pourtant ; vous êtes dans cette légion d’esprits une lumière. Il y a en vous quelque chose d’Horace et quelque chose de Diderot ; on vous écoute comme le premier et l’on vous aime comme le second. Je suis à vous de tout mon cœur. Victor Hugo.

à Madame Eugène Garcin. Paris, 14 novembre. Je vous remercie, madame, de m’avoir fait lire votre page éloquente et indignée contre les bourreaux de la terreur blanche. Non, la peine de mort politique ne sera pas rétablie. Cette dernière honte sera épargnée à la France. Malheur à ceux qui relèveraient l’échafaud ! Je fais, madame, le même effort que vous. Quelles que soient les férocités béantes, dans la minute étrange où nous sommes, j’espère que nous leur ferons obstacle, et que la justice, identique parfois à la clémence, prévaudra. Vous avez bien voulu vous souvenir de mon nom, je mets à vos pieds, madame, mes remerciements et mes respects. Victor Hugo.

à Paul Meurice. 20 novembre. Cher doux ami, encore un souci que je vous donne. Mais quelle idée avez-vous d’être ma providence ! Cela vous accable d’ennuis. Voici la déclaration à intercaler dans la note relative au dénouement de l’incident belge . Cela fait, le volume est complet, qu’on m’envoie épreuve, et l’on peut paraître. tuus. V.

N’êtes-vous pas d’avis qu’il faudrait clicher ce volume ?

à Monsieur Léo Neddy. Paris, 26 novembre. Vous me communiquez, en manuscrit, le remarquable travail intitulé : 30 novembre. — Champigny et signé Léo Neddy. Vous me demandez ce que j’en pense, je réponds : publiez-le. Il faut que le jour se fasse sur la déplorable défense de Paris ; cet affreux siège, terminé par une capitulation fatale, se résume en deux mots : peuple héroïque, chefs incapables. Débloquer Paris était possible ; Paris débloqué, c’était la France sauvée. Commencer l’histoire est le devoir des contemporains ; l’achever est le droit de la postérité. Je vous félicite de commencer, et je vous engage à continuer. Victor Hugo.

à Paul Meurice. mardi 27 novembre. Cher Meurice, voici ce qu’attend M Mosler. Il m’a semblé qu’il valait mieux séparer ma réclamation et ne pas la mêler à la lettre d’envoi des 4500 fr. Est-ce votre avis ? Il importe que M Aymard ne se dessaisisse des deux traites qu’en recevant le traité de mon fils avec M Lacroix. Nous avons affaire à la mauvaise foi même. Je n’ai absolument rien reçu de l’odéon. à vous profondément. V.

à Albert Lacroix. Paris, 20 décembre. Monsieur A Lacroix, éditeur. En vous envoyant la lettre ci-jointe et les deux traites, rachat du livre les hommes de l’exil , je crois devoir vous rappeler que vous avez reçu en dépôt pour moi, il y a trois ans bientôt, la somme de mille francs , payée par l’éditeur allemand, acquéreur de la traduction de l’homme qui rit . Je vous prie de me rembourser cette somme. Vous aurez à décider si, ayant réclamé des intérêts pour les 4000 francs que je vous rembourse au nom de mon fils, il vous convient d’en payer pour les 1000 francs que vous me devez. Agréez mes salutations. Victor Hugo.

à Auguste Vacquerie. jeudi soir. Cher Auguste, j’ai cru devoir conseiller à Victor la plus grande cordialité envers un homme qui a écrit sur sa mère et sur notre deuil la page émue que vous connaissez. Vous ne me blâmerez pas. Quelle page poignante et puissante, le meurtrier ! je l’ai lue ce matin, je vais la relire ce soir. à vous profondément. V.

À Auguste Vacquerie.

Jeudi soir [1871].

Cher Auguste, j’ai cru devoir conseiller à Victor la plus grande cordialité envers un homme qui a écrit sur sa mère et sur notre deuil la page émue que vous connaissez. Vous ne me blâmerez pas. Quelle page poignante et puissante, le Meurtrier ! Je l’ai lue ce matin, je vais la relire ce soir.

À vous profondément.

V.

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