À Auguste Vacquerie.

Bruxelles, 3 août, samedi.

Puisque je n’ai pu vous serrer la main ici, je veux, cher Auguste, que cette lettre vous souhaite le Welcome à Paris. C’est bien le moins que vous doive Hierro après votre triomphe d’Hernani. Vous voilà donc de retour avec, j’espère, les rhumatismes de moins. La nymphe Aquadora de Wildbad vous aura guéri et inspiré, car vous m’avez envoyé, comme échantillon de son savoir-faire, à cette muse, les plus charmants vers possibles. Parce que vous n’êtes plus malade, ce n’est pas une raison pour vouloir que j’enterre tout le monde, vous compris. Heureusement il n’en sera rien.

Ce n’est pas une raison pour vivre
Que d’être vieux.

Tiens ! revoilà Hernani. Eh bien, parlons-en. Le Théâtre-Français ne me semble point haïr les relâches quand il s’agit de ce montagnard. Relâche pour M. Ponsard. Soit. (Je comprendrais un relâche pour Molière ou Voltaire mort, mais pour M. Ponsard ? À ce compte, il me semble difficile que le Théâtre-Français ne fasse pas dix ou douze relâches mortuaires par an). Maintenant M. Delaunay. Deux relâches, ce me semble, c’est beaucoup. De mon temps on se servait de ces moyens-là pour tuer un succès. C’était connu. Cela s’appelait le coup de pertuisane. Aussi, quand un théâtre tenait un succès, et tenait à ce succès, il faisait apprendre les rôles en double, et l’on n’avait pas la cruauté de troubler le deuil d’un fils qui vient de perdre sa mère, on respectait sa douleur, et la pièce continuait, sans relâche, son cours de repréisentations. Bref, je ne crois point à la bonne volonté intime du Théâtre-Français. Si vous trouvez que j’ai le flair juste, dites-en un mot à M. Thierry. Si lundi Hernani, interrompu à 6 000 fr., reprend avec 5 000, je trouverai ce chiffre énorme. On n’aura réussi qu’à le blesser. Et puis, pourquoi changer les jours ? pourquoi dérouter le public ? pourquoi ? je crois je deviner. Demandez à notre cher Meurice qu’il vous redise un mot de M. Camille Doucet à M. Berton. Mot fort aigrement dit. Et à ce propos, Meurice est-il à Paris ? y sera-t-il le 10 août ? pourrai-je tirer sur lui les 10 ou 12 mille francs qu’il m’a annoncés ? J’en aurais grand besoin pour cent choses, entre autres pour en détacher deux ou trois fafiots de mille afin de transplanter toute ma maisonnée de Bruxelles sur le Drachenfels, dont le bon grand air ferait du bien aux yeux de ma femme et aux poumons du petit citoyen Georges. Si Meurice est à Paris, et si je puis tirer sur lui 10 août, voudrez-vous m’en écrire un mot. Je sens que j’accable mes amis avec toutes les peines que je leur donne, mais je vous aime de tout mon cœur.

V.

Avez-vous lu ce vers sur Sarcey pendant la 1re de Hernani ?

D’acte en acte on voyait s’allonger ses oreilles.

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