À Champfleury.

Bruxelles, 5 août 1867.

Cher confrère, les errants et les absents ont du malheur, être à Guernesey, venir à Bruxelles, passer deux fois la mer, tout cela est cause que j’ai lu en juillet votre Belle Paule publiée en mai.

J’entre tout de suite en matière. J’aime ce livre, je l’aime parce qu’il est vrai et profond, parce qu’il dédaigne les petits moyens, parce qu’il va droit au grand but de l’art, la création des types par l’observation et l’intuition, parce qu’il est d’un charmant style, parce qu’il est dédié à moi et écrit pour tous, extension qui double l’honneur de la dédicace. Oui, pour tous. Un jour viendra où, grâce à l’enseignement universalisé, grâce à la crue du grand jour dans les esprits, les œuvres d’art seront, avant toutes, les œuvres populaires. Le peuple, au fond, est un délicat. Il aime les poëtes, il veut l’idéal, il préfère un astre à un lampion. Les écrivains tels que vous ont une haute fonction près de lui. Le vulgaire n’est point le populaire. Et ne pas être vulgaire, c’est une raison pour être populaire. Il y a dans le peuple un sens exquis et une volonté sévère. Cela aussi est le fond de l’artiste. Donc continuez. Succès invite. Talent oblige.

Votre roman est d’un bout à l’autre vie et vérité. C’est observé, c’est vu, c’est réel ; en même temps la touche de l’art relève partout le détail nature ; de là un livre. Je l’ai lu si attentivement que je vous signale une faute d’impression. Il y a quelque part Castelbajac pour Castelgaillard.

Je vous remercie des heures charmantes que La Belle Paule m’a données, et de celles qu’elle me donnera encore. J’aurai plus d’un rendez-vous avec elle dans ma solitude et nous nous promènerons souvent ensemble au bord de la mer.

Votre ami

Victor Hugo.

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