À Monsieur Albert Caise.

Hauteville-House, 20 mars 1867.

La question posée par l’anonyme dont vous me parlez s’explique de la façon la plus simple. Ces matières sont de bien peu d’importance, mais ce qui est certain, c’est que vous avez raison et que l’anonyme n’a pas tort.

La parenté de l’évêque de Ptolémaïs est une tradition dans ma famille. Je n’en ai jamais su que ce que mon père m’en a dit. M. Buzy, ancien notaire à Épinal, m’a envoyé spontanément quelques documents, qui sont dans mes papiers.

Personnellement, je n’attache aucune importance aux questions généalogiques. L’homme est ce qu’il est, il vaut ce qu’il a fait. Hors de là, tout ce qu’on lui ajoute et tout ce qu’on lui ôte est zéro. D’où mon absolu dédain pour les généalogies.

Les Hugo dont je descends sont, je crois, une branche cadette, et peut-être bâtarde, déchue par indigence et misère. Un Hugo était déchireur de bateaux sur la Moselle. Mme de Graffigny (Françoise Hugo, femme du chambellan de Lorraine) lui écrivait : mon cousin. Le « spirituel et savant anonyme » a raison, il y a dans ma famille un cordonnier et un évêque, des gueux et des monseigneurs. C’est un peu l’histoire de tout le monde. Cela existe très curieusement dans les îles de la Manche. (Consulter les Travailleurs de la Mer. — Tangrouille…)

En d’autres termes, je ne suis pas Tangroville, je suis Tangrouille... J’en prends mon parti. Si j’avais le choix des aïeux, j’aimerais mieux avoir pour ancêtre un savetier laborieux qu’un roi fainéant.

Je vous remercie, Monsieur, de votre lettre, où je sens un très noble et très sympathique esprit, et je vous offre l’expression de toute ma cordialité.

Victor Hugo.

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