À Monsieur Durandeau.

Hauteville-House, 11 juillet.

Je suis avec vous, et vous êtes avec moi. Mon jeune et généreux confrère, sans l’âme point d’homme, sans Dieu pas de peuple, sans responsabilité point de liberté.

La responsabilité, c’est la persistance du moi. Donc l’âme survit.

Je n’insiste pas sur ces évidences.

La page des Misérables, citée par la Libre Conscience, est toute une profession de foi. Vous trouverez vingt pages semblables dans tous mes autres livres, dans les Contemplations, dans le William Shakespeare, dans Les travailleurs de la mer.

Oui, je suis avec vous.

La fatalité d’Hernani n’est pas la mienne. Le poëte n’est pas le personnage. Je serais donc alors tous mes personnages ?

La nécessité et la liberté sont les deux quantités de l’infini : quantités illimitées comme l’infini lui-même ; la nécessité est visible dans l’univers, la liberté est visible dans l’homme. Toutes les fois que la nécessité empiète sur la liberté et l’opprime, elle s appelle fatalité.

Le poëte dénonce cet abus de l’inconnu. C’est ce que j’ai fait dans Notre-Dame de Paris, dans Les Misérables, dans Les Travailleurs de la Mer.

Au nom de qui cette dénonciation ? Au nom de la liberté.

Ananké ! Voilà ce que combattent Claude Frollo, Jean Valjean et Gilliatt.

Je vous écris tout ceci à la hâte. Je pars lundi pour Bruxelles. Je vois dans les journaux de Paris que je suis à Paris. On m’affirme que personne n’en doute. Pourtant je suis ici. E pur si muove ! Que voulez-vous que j’y fasse ? Il y a des gens pour croire les petites choses fausses, comme il y a des gens pour nier les grandes choses vraies.

Croyons en Dieu, mon cher poëte, car c’est croire à la lumière ; croyons à l’âme, car c’est croire à la liberté.

Je vous remercie de votre éloquente et noble page sur Hernani.

Et je vous serre la main.

Victor Hugo.

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