à Auguste Vacquerie. H-H, 9 avril, samedi.

Cher Auguste, notre pauvre Kesler est mort, il est mort le 6 avril. Nous l’avons enterré hier. J’ai prononcé sur la fosse quelques paroles. Je vous les envoie. Il y a quatre ans, le voyant à la côte, je lui offris de me charger de lui, de façon que n’ayant plus aucune de ses dépenses à sa charge et étant défrayé de tout par moi, il pût consacrer le produit de ses leçons à amortir ses dettes. Il accepta, et ce fut ainsi. Depuis quelques mois il déclinait. Il a fait une imprudence le 7 janvier, le tour de l’île en voiture par un froid très vif. De là une bronchite. Il s’est couché. Il ne s’est plus relevé. Il était nostalgique, et il avait le cœur malade. Il laisse un frère, qui est son héritier. Ce qu’il laisse de meubles et de livres suffira à peine à payer le reste de ses dettes. Je me suis chargé des frais de l’enterrement. Je lui ai acheté un terrain à perpétuité dans le cimetière du foulon. Je l’ai fait mettre dans un cercueil doublé à l’intérieur de flanelle blanche et drapé à l’extérieur de drap noir, cloué sur le bois. On l’a porté à bras au cimetière. Huit hommes se relayaient. Il avait demandé par testament de n’être conduit à aucune église, me disant qu’il ne voulait pas d’autre prêtre que Victor Hugo . On a fait sa volonté. Il y avait une foule énorme, très respectueuse. On l’a descendu dans cette terre qui est à lui. Hélas ! Le voilà maintenant propriétaire. ôtez de mon speech tout ce qui vous semblera dangereux. On ne peut pas faire de procès à des lignes de points. Après que j’ai eu parlé, un anglais s’est approché de M Talbot, directeur du star , et lui a dit : vous allez publier le discours de V H ? — oui, en français et en anglais. — envoyez-m’en quarante exemplaires, a dit l’anglais. Mon speech est à cette heure dans tous les journaux anglais. Ne parlez pas de ce que j’ai fait pour Kesler, à moins que de certaines attaques, toujours possibles de la part de la police et de ses journaux, ne le rendent nécessaire. Je vous embrasse et suis à vous du plus profond de mon cœur. V.

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