VIII

Ô Dieu, puisque voilà ce qu’a fait cette armée,

Puisque, comme une porte est barrée et fermée,

Elle est sourde à l’honneur,

Puisque tous ces soldats rampent sans espérance,

Et puisque dans le sang ils ont éteint la France,

Votre flambeau, Seigneur !

Puisque la conscience en deuil est sans refuge ;

Puisque le prêtre assis dans la chaire, et le juge

D’hermine revêtu,

Adorent le succès, seul vrai, seul légitime,

Et disent qu’il vaut mieux réussir par le crime

Que choir par la vertu ;

Puisque les âmes sont pareilles à des filles ;

Puisque ceux-là sont morts qui brisaient les bastilles,

Ou bien sont dégradés ;

Puisque l’abjection aux conseils misérables,

Sortant de tous les cœurs, fait les bouches semblables

Aux égouts débordés ;

Puisque l’honneur décroît pendant que César monte,

Puisque dans ce Paris on n’entend plus, ô honte,

Que des femmes gémir ;

Puisqu’on n’a plus de cœur devant les grandes tâches,

Puisque les vieux faubourgs, tremblant comme des lâches,

Font semblant de dormir ;

Ô Dieu vivant, mon Dieu ! prêtez-moi votre force,

Et, moi qui ne suis rien, j’entrerai chez ce corse

Et chez cet inhumain ;

Secouant mon vers sombre et plein de votre flamme,

J’entrerai là, Seigneur, la justice dans l’âme

Et le fouet à la main,

Et, retroussant ma manche ainsi qu’un belluaire,

Seul, terrible, des morts agitant le suaire

Dans ma sainte fureur,

Pareil aux noirs vengeurs devant qui l’on se sauve,

J’écraserai du pied l’antre et la bête fauve,

L’empire et l’empereur !

Jersey, 7-13 janvier 1853.

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