VI À ceux qui dorment

Réveillez-vous, assez de honte !

Bravez boulets et biscaïens.

Il est temps qu’enfin le flot monte,

Assez de honte, citoyens !

Troussez les manches de la blouse.

Les hommes de quatrevingt-douze

Affrontaient vingt rois combattants.

Brisez vos fers, forcez vos geôles !

Quoi ! vous avez peur de ces drôles ;

Vos pères bravaient les titans !

Levez-vous ! foudroyez et la horde et le maître !

Vous avez Dieu pour vous et contre vous le prêtre ;

Dieu seul est souverain.

Devant lui nul n’est fort et tous sont périssables.

Il chasse comme un chien le grand tigre des sables

Et le dragon marin ;

Rien qu’en soufflant dessus, comme un oiseau d’un arbre,

Il peut faire envoler de leur temple de marbre

Les idoles d’airain.

Vous n’êtes pas armés ? qu’importe !

Prends ta fourche, prends ton marteau !

Arrache le gond de ta porte,

Emplis de pierres ton manteau !

Et poussez le cri d’espérance !

Redevenez la grande France !

Redevenez le grand Paris !

Délivrez, frémissants de rage,

Votre pays de l’esclavage,

Votre mémoire du mépris !

Quoi ! faut-il vous citer les royalistes même ?

On était grand aux jours de la lutte suprême.

Alors, que voyait-on ?

La bravoure, ajoutant à l’homme une coudée,

Était dans les deux camps. N’est-il pas vrai, Vendée,

Ô dur pays breton ?

Pour vaincre un bastion, pour rompre une muraille,

Pour prendre cent canons vomissant la mitraille,

Il suffit d’un bâton !

Si dans ce cloaque on demeure,

Si cela dure encore un jour,
Si cela dure encore une heure,

Je brise clairon et tambour,

Je flétris ces pusillanimes,

Ô vieux peuple des jours sublimes,

Géants à qui nous les mêlions,

Je les laisse trembler leurs fièvres,

Et je déclare que ces lièvres

Ne sont pas vos fils, ô lions !

Jersey, septembre 1853.

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