X Aube

Un immense frisson émeut la plaine obscure.

C’est l’heure où Pythagore, Hésiode, Épicure,

Songeaient ; c’est l’heure où, las d’avoir, toute la nuit,

Contemplé l’azur sombre et l’étoile qui luit,

Pleins d’horreur, s’endormaient les pâtres de Chaldée.

Là-bas, la chute d’eau, de mille plis ridée,

Brille, comme dans l’ombre un manteau de satin ;

Sur l’horizon lugubre apparaît le matin,

Face rose qui rit avec des dents de perles ;

Le bœuf rêve et mugit, les bouvreuils et les merles

Et les geais querelleurs sifflent, et dans les bois

On entend s’éveiller confusément les voix ;

Les moutons hors de l’ombre, à travers les bourrées,

Font bondir au soleil leurs toisons éclairées ;
Et la jeune dormeuse, entr’ouvrant son œil noir,

Fraîche, et ses coudes blancs sortis hors du peignoir,

Cherche de son pied nu sa pantoufle chinoise.

Louange à Dieu ! toujours, après la nuit sournoise,

Agitant sur les monts la ronce et le genêt,

La nature superbe et tranquille renaît ;

L’aube éveille le nid à l’heure accoutumée,

Le chaume dresse au vent sa plume de fumée,

Le rayon, flèche d’or, perce l’âpre forêt ;

Et plutôt qu’arrêter le soleil, on ferait

Sensibles à l’honneur et pour le bien fougueuses

Les âmes de Baroche et de Troplong, ces gueuses !

Jersey, 28 avril 1853

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