VIII Aux femmes

Quand tout se fait petit, femmes, vous restez grandes.

En vain, aux murs sanglants accrochant des guirlandes,

Ils ont ouvert le bal et la danse ; ô nos sœurs,

Devant ces scélérats transformés en valseurs

Vous haussez, — châtiment ! — vos charmantes épaules.

Votre divin sourire extermine ces drôles.

En vain leur frac brodé scintille ; en vain, brigands,

Pour vous plaire ils ont mis à leurs griffes des gants,

Et de leur vil tricorne ils ont doré les ganses,

Vous bafouez ces gants, ces fracs, ces élégances,

Cet empire tout neuf et déjà vermoulu.

Dieu vous a tout donné, femmes ; il a voulu

Que les seuls alcyons tinssent tête à l’orage,

Et qu’étant la beauté vous fussiez le courage.

Les femmes ici-bas et là-haut les aïeux,

Voilà ce qui nous reste !

Voilà ce qui nous reste !Abjection ! nos yeux

Plongent dans une nuit toujours plus épaissie.

Oui, le peuple français, oui, le peuple messie,

Oui, ce grand forgeron du droit universel

Dont, depuis soixante ans, l’enclume sous le ciel

Luit et sonne, dont l’âtre incessamment pétille,

Qui fit voler au vent les tours de la Bastille,

Qui broya, se dressant tout à coup souverain,

Mille ans de royauté sous son talon d’airain,

Ce peuple dont le souffle, ainsi que des fumées,

Faisait tourbillonner les rois et les armées,

Qui, lorsqu’il se fâchait, brisait sous son bâton

Le géant Robespierre et le titan Danton,

Oui, ce peuple invincible, oui, ce peuple superbe

Tremble aujourd’hui, pâlit, frissonne comme l’herbe,

Claque des dents, se cache et n’ose dire un mot

Devant Magnan, ce reître, et Troplong, ce grimaud !

Oui, nous voyons cela ! Nous tenant dans leurs serres,

Mangeant les millions en face des misères,

Les Fortoul, les Rouher, êtres stupéfiants,

S’étalent ; on se tait. Nos maîtres ruffians

À Cayenne, en un bagne, abîme d’agonie,

Accouplent l’héroïsme avec l’ignominie ;

On se tait. Les pontons râlent ; que dit-on ? rien.

Des enfants sont forçats en Afrique ; c’est bien.

Si vous pleurez, tenez votre larme secrète.

Le bourreau, noir faucheur, debout dans sa charrette

Revient de la moisson avec son panier plein ;

Pas un souffle. Il est là, ce Tibère-Ezzelin

Qui se croit scorpion et n’est que scolopendre,

Fusillant, et jaloux de Haynau qui peut pendre ;

Eclaboussé de sang, le prêtre l’applaudit ;

Il est là, ce César chauve-souris qui dit

Aux rois : voyez mon sceptre ; aux gueux : voyez mon crime ;

Ce vainqueur qui, béni, lavé, sacré, sublime,

De deux pourpres vêtu, dans l’histoire s’assied,

Le globe dans sa main, un boulet à son pied ;

Il nous crache au visage, il règne ! nul ne bouge.

Et c’est à votre front qu’on voit monter le rouge,

C’est vous qui vous levez et qui vous indignez,

Femmes ; le sein gonflé, les yeux de pleurs baignés,

Vous huez le tyran, vous consolez les tombes.

Et le vautour frémit sous le bec des colombes !

Et moi, proscrit pensif, je vous dis : Gloire à vous !

Oh ! oui, vous êtes bien le sexe fier et doux,

Ardent au dévouement, ardent à la souffrance,

Toujours prêt à la lutte, à Béthulie, en France,

Dont l’âme à la hauteur des héros s’élargit,

D’où se lève Judith, d’où Charlotte surgit !

Vous mêlez la bravoure à la mélancolie.

Vous êtes Porcia, vous êtes Cornélie,

Vous êtes Arria qui saigne et qui sourit ;

Oui, vous avez toujours en vous ce même esprit

Qui relève et soutient les nations tombées,

Qui suscite la Juive et les sept Machabées,

Qui dans toi, Jeanne d’Arc, fait revivre Amadis,

Et qui, sur le chemin des tyrans interdits,

Pour les épouvanter dans leur gloire éphémère,

Met tantôt une vierge et tantôt une mère !

Si bien que, par moments, lorsqu’en nos visions

Nous voyons, secouant un glaive de rayons,

Dans les cieux apparaître une figure ailée,

Saint Michel sous ses pieds foulant l’hydre écaillée,

Nous disons : c’est la Gloire et c’est la Liberté !

Et nous croyons, devant sa grâce et sa beauté,

Quand nous cherchons le nom dont il faut qu’on le nomme

Que l’archange est plutôt une femme qu’un homme !

Jersey, mai 1853.

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